Les mouvements nationalistes français 1920-1945 de Philippe Guimberteau

Les documents fugitifs sont souvent négligés par les historiens. A tort, car l’étude des tracts, autocollants, affiches et autres plaquettes de propagande peut revêtir une certaine importance quand il s’agit d’étudier l’histoire des partis et des mouvements politiques. De la sorte peuvent être mis en évidence les thèmes de prédilection adoptés pour le recrutement des adhérents ou l’obtention des votes des électeurs, le symbolisme du graphisme, les slogans privilégiés etc. Sur ce plan, l’album cartonné grand format sur papier glacé, où abondent les planches en couleurs, intitulé Les Mouvements nationalistes français 1920-1945, est une vraie réussite. D’autant plus que figurent de nombreuses photos méconnues concernant les personnalités de la mouvance nationaliste. Ainsi remarquera-t-on une photo d’Henry Coston en uniforme des Francistes ou celle du chef de la Solidarité française (SF), le commandant Jean Renaud, remettant le drapeau à une section de province. La documentation réunie est en tout point exceptionnelle et bien souvent inédite.

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Sur la couverture du programme du PSF. (D.R.)

Aucune mise en perspective
Et pourtant, notre insatisfaction est totale. La raison, ou plutôt les raisons ? D’emblée se pose le problème de la méthodologie employée. Il apparaît bien qu’elle est en fonction des documents dont dispose l’auteur, Philippe Guimberteau ! Il s’ensuit que des groupuscules de l’entre-deux-guerres du type Front franc ou Front de la jeunesse tiennent une place démesurée par rapport à leur importance réelle. Plus grave encore est la conception même de l’ouvrage. Il se compose de trois parties : « Les mouvements d’avant-guerre », « Les mouvements de l’Occupation », « Les organisations de l’Etat français ». Comment ne pas parler d’ineptie au vu d’un pareil regroupement sous le vocable d’histoire des mouvements nationalistes ? Les royalistes, les ligues, les Chantiers de jeunesse et, pour faire bonne mesure, la Waffen SS, se trouvent ainsi mêlées, comme dans une suite évidente et naturelle ! Il s’agit là d’un inconcevable salmigondis historique.

Le manque de sérieux apparaît dès le premier paragraphe de l’album, où l’auteur ne craint pas d’affirmer à propos des ligueurs nationalistes des années vingt ou trente : « Lorsque l’heure de l’Occupation sonnera, un bon nombre d’entre eux rejoindra, en zone nord et notamment dans la capitale, les rangs des partis autorisés – ou tolérés – par les Allemands. Ces militants deviendront pour la plupart des partisans inconditionnels d’un “nouvel ordre européen”, espérant alors voir leur pays occuper une place honorable dans “l’Europe nouvelle” d’Hitler. » Pas un mot sur les anciens ligueurs, au nombre particulièrement important, qui rallièrent la Résistance (zones nord ou sud), la France libre, la France combattante ou l’Armée d’Afrique, selon les appellations d’époque. Sans doute n’avaient-ils pas d’uniforme ou le leur n’était-il pas assez seyant ? Voilà pourquoi nous disons – en pesant nos mots – que ce livre est une mauvaise action. Il tend à accréditer les pires infamies des ennemis de la droite nationale qui en tiennent pour l’équation : mouvements nationalistes = Collaboration (à noter que même le maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, en inaugurant le 26 mars dernier la place Mireille-et-Jacques Renouvin, a reconnu dans son discours la place des ligueurs royalistes dans la Résistance).

Notre colère vient aussi du fait que ce type d’ouvrage, avec son côté rutilant, agréable à feuilleter et à lire, est susceptible d’égarer de jeunes esprits non formés politiquement quant à l’appréhension de l’histoire du nationalisme français. Cela dit, en consultant la notice relative à l’auteur de l’album, on comprend mieux ses erreurs ; il se présente comme un collaborateur régulier du magazine Uniformes ; il ne s’agit donc pas d’un historien mais d’un collectionneur, pour qui la couleur d’une épaulette ou la façon de porter le baudrier est plus importante que l’idéologie véhiculée par le mouvement politique en cause.

Rappels nécessaires

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Affiche des Jeunesses patriotes. (D.R.)

Aussi faut-il une nouvelle fois batailler contre l’escroquerie morale et intellectuelle qui consiste à passer sous silence ou à minimiser l’apport des mouvements nationalistes (dits « d’extrême droite ») à la France combattante. Les nationalistes et la Résistance ? Trois points peuvent être tenus pour acquis.

En premier lieu, le nombre de résistants issus de la droite nationale qui reprennent le combat dans les premiers mois suivant la défaite a été particulièrement important. C’est le thème de l’essai d’Alain Griotteray publié en 1985, 1940 : la droite était au rendez-vous (en réalité « l’extrême-droite »). Il y a les grands noms : Henri d’Astier de la Vigerie (Action française puis fondateur des Jeunes France, organe des Jeunesses nationalistes), Pierre de Bénouville (AF et droite radicale), Loustanau Lacau et Marie-Madeleine Fourcade (tous deux venant de l’Ordre national, organe de la Spirale groupe « cagoulard »), Jacques Renouvin (AF, le créateur à Combat des groupes francs) etc. ; il en est beaucoup d’autres qui sont mal connus ou ignorés. Lorsque, le 11 novembre 1940, des lycéens et des étudiants organisent aux abords de l’Arc de Triomphe la première manifestation anti-allemande sur le sol de la patrie occupée, les jeunes nationalistes sont bien représentés, avec de larges éléments issus de l’Action française et du Parti social français (PSF).

En second lieu, toutes les ligues, celles que la gauche se plaît à traiter de « fascistes », ont à des degrés divers fourni des hommes à la Résistance. C’est particulièrement vrai pour les plus dures comme le Faisceau (non seulement Georges Valois, mais aussi son ami Jacques Arthuys, qui diffuse à l’été 1940 ses Lettres aux Français qui réfutent l’armistice, Philippe Barrès, le fils de l’auteur de Scènes et doctrines du nationalisme, Philippe Lamour…), la Solidarité française (fait méconnu : les groupes francs de Combat dans l’Indre sont organisés dès 1941 par Pierre Geynet, un ancien de la SF), également les Jeunesses patriotes. Rien de surprenant à cet engagement. Comme l’écrit le colonel Groussard dans son livre de souvenirs Chemins secrets : « Quelle catégorie d’hommes pouvait-on recruter ? Trois qualités essentielles devaient être recherchées : cran, aptitude physique, et bien entendu patriotisme. Où pouvais-je le mieux trouver ces qualités réunies que chez les personnes qui avaient appartenu, et plus : qui avaient milité, dans les partis dits nationaux d’avant-guerre ? » Quant aux ex-cagoulards de l’Organisation secrète d’action révolutionnaire nationale (OSARN), préparés au travail clandestin, ils s’engagent pour beaucoup dans la résistance dès 1940, tels Maurice Duclos dit Saint-Jacques et Pierre Fourcaud (Compagnons de la Libération).

Enfin, les mouvements nationalistes qui ont procuré le plus d’hommes à la Résistance sont l’Action française et les Croix de feu-PSF.

Le colonel Rémy
Le colonel Rémy a pu écrire : « C’est à cause de la doctrine et de la pensée de Maurras qu’au matin du 18 juin 1940 j’ai décidé de quitter la France. » Il n’est pas le seul : Michel de Camaret, Compagnon de la Libération, Romans-Petit, chef du maquis de l’Ain, Jean-Baptiste Biaggi, du réseau Orion, le jeune Raoul Girardet, lançant dès 1940 les Documents nationaux français et tant d’autres qui suivent un cheminement analogue. A partir de 1942, avec l’invasion de la zone sud par les Allemands, une nouvelle vague de ligueurs d’Action française entre dans la Résistance. En Haute-Loire, un travail universitaire (Etudes maurrassiennes n° 3, 1974) montre qu’ils sont la majorité à suivre cette voie. A Angers, c’est la section d’AF presque tout entière qui passe alors sous le commandement de l’Organisation de résistance de l’armée (ORA).

En ce qui concerne la mouvance Croix de feu-PSF, on peut distinguer deux groupes de militants ayant rejoint la Résistance. Le premier concerne ceux qui se sont émancipés des structures du parti. Parmi les plus connus, il y a Charles Vallin (particulièrement calomnié par les socialistes), André Mutter (Conseil national de la résistance), Pierre Ruhlmann (un des fondateurs de Ceux de la Libération). Le second groupe est constitué des fidèles du colonel de La Rocque qui sont avec lui au sein du réseau Klan, en rapport avec l’Intelligence service depuis février 1942, et dont les prémisses remontent à septembre 1940. Sur les quelque cinq cents cadres PSF déportés, la moitié seulement allait revoir la France. Trois mois avant la capitulation du Reich, à la tribune de l’Assemblée consultative, Jacques Duclos, au nom du Parti communiste, avait demandé l’arrestation des chefs du PSF, qualifié de « parti hitlérien ».

Ignorer les sacrifices de ces patriotes, c’est en quelque sorte les tuer une seconde fois.

Philippe Vilgier – Présent

Philippe Guimberteau, Les mouvements nationalistes français 1920-1945, Uniformes, 208 pages, 45 euros.

Photo en Une:Charles Maurras (chapeau et barbiche) sort de la prison de la Santé entouré par des militants d’AF, après huit mois d’internement pour s’être opposé à la politique anti-italienne de la gauche.

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