Les nouveaux cagots à l’assaut de l’art classique

Après un tableau de Picasso Les Femmes d’Alger, censuré voici moins de trois ans par la chaîne Fox News qui floutait les seins représentés sur sa toile, après un Bacchus du peintre Michaelina Wautier (1614-1689) retoqué pour cause de pudibonderie par l’antenne américaine de l’Office belge du tourisme qui avait imaginé faire ainsi l’éloge de sa gastronomie, c’est au tour de l’Autrichien Egon Schiele, mais également de Modigliani, de Balthus et de Léonard de Vinci d’être les victimes de ce nouvel ordre moral qui joue les censeurs en voulant gommer le sexe dans des œuvres d’art du passé.

Ils ne se rendent évidemment pas compte qu’ils apportent ainsi de l’eau au moulin des musulmans pour lesquels, selon la tradition coranique, les peintres (mais également les sculpteurs) sont considérés comme les pires des créatures, maudites par Mahomet et assimilées aux polythéistes. Et ce n’est pas un hasard si la régie des transports de Londres, et les stations de métro de Cologne et de Hambourg, trois villes fortes de nombreuses populations musulmanes, viennent de se montrer les championnes du puritanisme en caviardant une campagne de publicité autrichienne des nus d’Egon Schiele, auquel Vienne consacre une grande rétrospective à partir de février 2018.

Une regrettable confusion

Et ce sont ces mêmes moralistes d’un nouveau genre qui ne pipent mot lors de l’exhibition du plug anal érigé place Vendôme, de la sculpture à forte connotation sexuelle de l’artiste indo-judéo-britannique Anish Kapoor, Le Vagin de la reine, qui a pollué les jardins de Versailles pendant plusieurs mois, ou de l’exposition bruxelloise montrant un clitoris géant. Mais il s’agissait là d’art contemporain au culte duquel nombre d’idiots utiles sont bêtement soumis. Dès lors, tout est permis aux spéculateurs financiers qui osent les pires transgressions et font croire au vulgum pecus que tout leur est permis dans la mesure où ils font œuvre de création et que la moindre critique serait alors une censure pure et simple qui n’aurait rien à envier aux diatribes de Hitler sur l’art dégénéré. On a pu le vérifier après les cris d’orfraie poussés par les défenseurs de l’art contemporain lorsque des gens facétieux ont dégonflé le plug anal ou endommagé la pseudo-sculpture de Kapoor dans le parc de Versailles.

S’agissant d’Egon Schiele, l’affaire ne manque pas de piquant car les refus allemand et londonien de placarder dans le métro les nus tourmentés de ce peintre qui était passé par la case prison en 1912 à Vienne pour outrage à la morale publique, ont finalement permis à l’office de tourisme de Vienne de tirer parti de ce mauvais pas. De nouvelles affiches ont été renvoyées aux trois villes réfractaires… avec des carrés blancs apposés sur les organes génitaux maudits et sur lesquels on pouvait lire : « Désolé, cent ans, mais toujours aussi scandaleux aujourd’hui. » On peut certes ressentir un malaise à la vue de la nudité des corps peints par l’artiste autrichien, qui angoissaient Franz Kafka, mais ils sont le reflet d’une époque et ce n’est pas en se saisissant des ciseaux d’Anastasie que l’histoire du mouvement de la Sécession viennoise sera rayée d’un trait de plume

 

Les affiches censurées de l’exposition Schiele. Ne pas déplaire aux féministes ni aux musulmans.

 

 

 

En revanche, il est maintenant parfaitement possible à n’importe quel groupe militant désireux de faire entendre sa voix d’utiliser la jurisprudence Schiele pour arriver à ses fins. Et ne parlons pas de l’emblématique réseau social Facebook qui a, l’été dernier, retiré un cliché d’un Nu couché de Modigliani de la page officielle de la Fondation de l’Hermitage à Lausanne. Quant à un dessin d’une Joconde nue acheté en 1862 par le duc d’Aumale, il lui arrive d’être pudiquement recouvert d’un voile pudique quand il apparaît sur ces fameux réseaux. En 2019, il devrait figurer dans l’exposition consacrée au 500e anniversaire de la mort de Léonard de Vinci.

L’affaire Balthus

Dans cette course à la pudibonderie et alors que l’affaire Weinstein a créé un climat propice à toutes les accusations possibles, les Etats-Unis ne sont, bien sûr, pas en reste comme le montre cette pétition lancée sur Internet par une trentenaire décidée à faire du peintre Balthus la nouvelle bête noire des féministes américaines. En moins de 72 heures, en effet, Mia Merrill – c’est son nom – a réuni plus de 7 000 signatures afin que le Metropolitan Museum décroche de ses cimaises une toile de Balthus, Thérèse rêvant. Elle représente une toute jeune fille au jupon rouge assise sur un banc et dévoilant une partie de sa culotte. Les complices de la pétitionnaire ont évoqué un Balthus pédophile. Mais les responsables du musée new-yorkais n’ont pas cédé à leurs caprices de cacher la toile en expliquant que « l’art visuel est l’un des moyens les plus significatifs pour mettre en perspective le passé et le présent ». Quel qu’ait été le penchant de Balthus pour peindre de jeunes adolescents, il reste un peintre majeur du siècle précédent. Et à ce petit jeu-là, on devrait d’ailleurs mettre au pilon Lolita de Nabokov ou Sexus d’Henry Miller, et couvrir d’un voile pudique Le Bain turc d’Ingres, Le Printemps de Botticelli, sans oublier d’ailleurs d’habiller le David de Michel-Ange et nombre de statues antiques du Louvre et de bien d’autres musées. Beaucoup de travail en perspective !

Tartufferie et ligues de vertu

En fait, le nouvel ordre moral aux manettes dans nos sociétés occidentales a entrepris de codifier notre conduite en la soumettant à une sorte d’hygiénisme éthique destiné à ne pas choquer l’oumma musulmane, mais également les nouvelles féministes puritaines et essentiellement sexistes qui manifestent bruyamment contre le harcèlement sexuel, mais se gardent bien, à l’image de la désastreuse Caroline De Haas, de désigner les vrais coupables, se contentant de demander l’élargissement des trottoirs dans les quartiers parisiens envahis par de nombreux migrants.

Faut-il alors s’étonner que ces mêmes féministes aient récemment exigé, à Marseille, la suppression d’un dessin utilisé dans le cadre d’une campagne contre le cancer du sein… et montrant une femme présentant un téton à un appareil de mammographie alors même que la nouvelle Barbie voilée n’a pas suscité de leur part la moindre réaction de rejet ? Leur niaiserie n’a finalement d’égal que le psittacisme qui leur fait répéter ad nauseam une leçon cent fois imposée par la censure ambiante.

Françoise Monestier – Présent

Photo : Les seins peints par Picasso et floutés par Fox News. Ne pas déplaire aux puritains.

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