Ferveur des pierres chrétiennes de Syrie d’Andrée Claire

 

« Priez pour l’Eglise qui est en Syrie… » écrivait en l’an 107 Ignace d’Antioche alors qu’il était emmené à Rome pour y être livré aux bêtes. L’Eglise syrienne ressentira longtemps les bienfaits du martyre de saint Ignace, vivant une extension remarquable jusqu’à l’invasion arabe de cette partie de l’empire byzantin. Les vestiges parlent, églises, monastères… « La Syrie est la province qui, au Ve et au VIe siècle, voit fleurir le plus grand nombre de ces monuments, si bien qu’aujourd’hui encore, on n’en recense pas moins de trois cents. » Andrée Claire présente ce patrimoine exceptionnel. Syrienne, née à Damas, elle vit depuis vingt ans en France et doit trouver que nous le connaissons bien mal.

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C’est pourtant un Français, Melchior de Vogüé, qui au XIXe siècle a été le découvreur de ces ruines étonnantes perdues dans des paysages minéraux et qu’on appelle communément des « villes mortes ». Melchior de Vogüé les étudie, les fait connaître par des livres et des articles. Il contredit Viollet-le-Duc qui voyait l’influence orientale agir sur l’architecture romane à la suite des croisades : cette influence a eu lieu plus tôt, en ces Ve et VIe siècles, temps de pèlerinages et de commerce avant que l’expansion musulmane ne bloque les échanges entre l’Orient et l’Occident.

La parenté entre les constructions syriennes et nos églises romanes est patente. Même respect du mur plein, même goût des baies simples, même amour de l’arc parfait. Même esprit et cohérence des masses. Ouvrir le livre d’Andrée Claire, richement illustré de photographies fournies par l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem, c’est comme ouvrir un album Zodiaque. Corse romane, en particulier, pour l’aspect sauvage des lieux et aussi pour les détails archaïques du pré-roman occidental qu’on trouve dans l’architecture syrienne, par exemple des baies dont le plein cintre est taillé dans un linteau monolithe.

Bien sûr des différences existent. Entre l’Euphrate et l’Oronte les murs sont bâtis en grand appareil, cela leur donne un aspect monumental. Les claveaux des arcs sont souvent appareillés en tas de charge, et la modénature, discrète et fine, est proche de ses origines hellénistiques. Certaines grandes églises ont des portes et des fenêtres qui ne sont pas cintrées, elles sont appareillées en plate-bande. Mais, encore une fois, dans les proportions et les masses, telle abside syrienne est l’exacte préfiguration de telle abside romane.

Certains grands ensembles ont-ils été des monastères ou des noyaux paroissiaux ? Les archéologues en discutent. Ce qui est sûr, c’est que le monachisme syrien des premiers siècles est âpre et inventif. L’exemple le plus célèbre est celui de saint Siméon le Stylite (Ve siècle). Après différentes formes de mortification extrême, et pour fuir les pèlerins qui venaient à lui, il se jucha sur une colonne (stylos) de plus en plus haute (jusqu’à 20 mètres de haut). Les pèlerins affluèrent. Aux approches du lieu, on construisit des porches pour canaliser les fidèles, et une enceinte au pied de la colonne, assez basse pour que ceux-ci pussent apercevoir l’ermite. Quelques années après la mort du Stylite, fut bâtie autour de la colonne une vaste église, « seul centre de pèlerinage de cette ampleur à avoir laissé des traces dans le monde chrétien oriental ». Quelles traces, quelles ruines ! Elles laissent quasi intactes la beauté et la logique de cette architecture syrienne chrétienne où l’œil occidental se sent immédiatement chez lui.

• Andrée Claire, Ferveur des pierres chrétiennes de Syrie, éditions Michel de Maule. 176 pages, nombreuses photos, 28 euros.

SAMUEL

Lu dans Présent

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