Parler pour ne rien dire (Vidéo)

 L’allocution du président Macron avait pour but de distribuer quelques miettes afin de pouvoir mieux conserver le gâteau pour lui, les siens et tous ceux qui l’ont mis au pouvoir et ont financé son trajet politique et sa campagne. Quel est ce gâteau dont il n’est jamais question nulle part? L’État maastrichtien libéral, qu’il faut sauver avec quelques opérations de transferts de caisse susceptible d’être présentés par les médias comme de véritables concessions faites aux gilets-jaunes, qui devraient s’en satisfaire et rentrer chez eux. Ce message s’adressait moins au peuple, qu’il amadoue avec cette danse des mots comme s’il s’agissait d’une danse du ventre, qu’à ceux qui partagent sa vision populicide du monde et qu’il rassurait par la même occasion.

Des augmentations sont annoncées, la plus spectaculaire étant celle du SMIC. De même, les taxes prévues sur les automobilistes et les retraités les plus modestes sont annulées, tout ceci est formulé solennellement. Or, la solennité, chez quelqu’un qui se fit si souvent photographier dans des postures si peu solennelles, n’est plus crédible, sauf auprès des esprits faibles.

Par ailleurs: cet argent que Macron semble donner et ne plus prendre n’est pas de l’argent qui vivrait dans le ciel des idées. Il ne vient ni de la poche de Macron, évidemment, ni de celle de l’Europe qui est pleine de l’or dont le peuple se défait, bien sûr, ni de celle des plus fortunés (les multinationales, les industries polluantes, les GAFA, les fortunes placées dans les paradis fiscaux), mais de l’impôt des citoyens de base. Donc: c’est l’argent des gilets-jaunes que le Roi lui rend parcimonieusement…

Ce que Macron a annoncé avec force sérieux et trémolos dans la voix est ni plus ni moins une variation sur le thème de l’antique jeu de bonneteau qui permet, avec trois gobelets et une pièce, de faire apparaître, disparaître, réapparaître la pièce là où l’on croit qu’elle est, alors qu’elle a été subtilisée, escamotée et qu’elle reste dans la main du maître de jeu: le joueur perd tout le temps, sauf quand le magicien le laisse gagner une fois dans les nuées afin de laisser croire que le jeu n’est pas pipé. Lundi, le magicien a fait croire qu’on pouvait gagner au jeu de bonneteau.

Or Macron ment. J’en veux pour preuve cet aveu qu’il fit d’entrée de jeu: selon lui, avec la crise des gilets-jaunes “ce sont quarante années de malaise qui s’expriment”. Pourquoi dès lors n’a-t-il pas été question une seule fois de l’Europe maastrichtienne, de cet État molosse et moloch, de cet empire qui nous gouverne jusque dans les moindres détails et qui interdit à l’État-Nation de vouloir librement parce que le véritable pouvoir est celui des technocrates du marché libre de Bruxelles et de Strasbourg mais non pas Macron qui en est le voyageur de commerce. Pourquoi ce silence en effet?

Deuxième mensonge: “je prends ma part de responsabilité”. C’est faux. Car, si tel avait été le cas, ce qui s’imposait, c’était d’annoncer un changement de cap. Or, c’est précisément ce que demandent les gilets-jaunes. On ne peut parler d’une crise qui couve depuis quarante ans sans désigner les coupables que sont les présidents de la République depuis Mitterrand jusqu’à lui-même. Car tous, sans exception, ont piloté le bateau avec un seul et même cap: celui de l’Europe libérale. Et, pour mémoire, Macron au si jeune âge eut tout de même le temps d’être le ministre de l’un de ces présidents après en avoir été le conseiller préféré…

Or, c’est ce cap que remettent en cause les gilets-jaunes, et c’est ce même cap dont Emmanuel Macron nous dit qu’il sera gardé… La rue exprime avec vérité que nous voguons vers l’abîme -je le dis depuis des années… Macron affirme qu’il a compris le message et, pour ce faire, il distribue des quignons de pain aux rameurs de la galère que sont les gilets-jaunes. Puis il confirme qu’il faut encore et toujours avancer dans la même direction! Il a parlé impôts, charges, primes, heures défiscalisées, hausse de la CSG, maintien de la suppression de l’ISF, investissement, création d’emplois, fortune immobilière, fiscalité, mais les gilets-jaunes veulent une autre façon de faire une autre politique et non pas une autre façon de faire la même politique.

Dans les manifestations, on a vu nombre de drapeaux bleu-blanc-rouge, mais aussi des drapeaux de région -la fière tête de Maure noire sur fond blanc de la Corse, les bandes blanches et noires avec les mouchetures d’hermine de la Bretagne ou les deux léopards d’or sur fond rouge de la Normandie. Lui est-il venu à l’idée, à ce président, qu’il n’y en eut pas un seul qui fut le drapeau européen qu’il arborait derrière lui pendant son discours, un drapeau dans les plis duquel le drapeau français se perd depuis des décennies? On a également entendu des Marseillaise chantées avec ferveur: a-t-on un seul exemple qu’il fut entonné ici, là, ou n’importe où ailleurs en France, l’Hymne à la joie qu’Emmanuel Macron fit symboliquement jouer devant la pyramide du Louvre le soir de son élection à la présidence de la République?

Cette intervention fut également l’occasion de mensonges par omission. C’est l’une des modalités du mensonge, on l’oublie trop souvent -et sa plus subtile, sa plus fine, sa plus retorse. Car il y fut question de représentation, de diversité, de vote blanc, d’organisation de l’État, de centralisation, de service public dans les territoires, mais rien de concret, du vent, du verbe, des mots. Tout juste l’habituel jeu de pipeau des présidents de la République qui, une fois élus, semblent ne pas se souvenir qu’ils l’ont été et qui ne font pas des discours de présidents, mais des discours de candidats à la présidence de la République.

“Je veux”, “Je veux”, “Je veux”, n’a cessé de dire cet homme qui, pour la galerie médiatique, joue les modestes, fait semblant de reconnaître des erreurs de communication, des fautes de style existentiel, mais qui manifeste de la sorte qu’il se croit toujours Jupiter alors qu’il n’en montre que les attributs -comme un collégien qui, au club théâtre, croirait être Dieu parce qu’il serait grimé avec son costume et une longue barbe blanche!

Autre mensonge : quand il annonce qu’il a bien entendu qu’il y avait des problèmes avec l’immigration et l’identité de la nation et qu’il propose “un débat sans précédent” sur ces questions. De qui se moque-t-il? Il a envoyé le jour même Jean-Baptiste Lemoyne, son secrétaire d’État auprès du ministre… de l’Europe et des Affaires étrangères (sic). Apprécions d’ailleurs en passant que cet intitulé avalise l’idée que l’Europe c’est la France, la France c’est l’Europe et qu’en dehors de ce conglomérat, il s’agit d’affaires étrangères!

Il n’est pas besoin de lire la totalité du Pacte. Il suffit de prendre connaissance des attendus formulés dans l’article 8 de son préambule: “Par le présent Pacte mondial, nous nous engageons collectivement à améliorer la coopération en matière de migration internationale. Les migrations ont toujours fait partie de l’expérience humaine depuis les débuts de l’Histoire, et nous reconnaissons qu’à l’heure de la mondialisation, elles sont facteurs de prospérité́ (sic), d’innovation (sic) et de développement durable (sic) et qu’une meilleure gouvernance peut permettre d’optimiser ces effets positifs (sic)”. Que l’immigration soit un facteur de prospérité et d’innovation et qu’elle ait des effets positifs, cela reste à prouver… Il n’est de toute façon pas sûr que cette prospérité bénéficie à ceux qui manifestent avec un gilet jaune. Quant à la relation entre développement durable et immigration, elle manque également d’une démonstration convaincante. Quant aux effets positifs: il manque un post-it sur laquelle ils seraient listés… Des “migrations bénéfiques à tous”, voilà le projet formulé dans l’article 9 du préambule. On nous dit que la signature de ce pacte n’est pas contraignante: pourquoi dès lors perdre du temps, de l’argent, de l’énergie, à rédiger des textes, réunir des gens afin de parapher un document qui n’engagerait à rien ? On se moque du monde…

Question subsidiaire : quelle a été la trace carbone des avions privés de tous les signataires de ce pacte dont on dit qu’il n’engage à rien et qui sont venus du monde entier à Marrakech? Combien de CO2 a été envoyé dans l’atmosphère pour cette seule messe internationale du politiquement correct? Et si l’on convertissait ce CO2 officiel en CO2 d’une voiture de gilet-jaune obligé de rouler pour effectuer son travail? Pour la trace carbone de l’avion du secrétaire d’État français, combien d’équivalent CO2 en provenance des voitures de gilets-jaunes ?

   Pour résoudre les problèmes de la ruralité abandonnée, des provinces oubliées, des campagnes sinistrées, des campagnes désertées, de la disparition des services publics dans les communes, les petites villes, le sous-préfectures, Macron a une solution : il va rencontrer les maires… “Misère à poil” comme on dit dans mon village! Cette fausse montagne accouche d’une véritable souris. Les maires, il les a déjà reçus le 15 novembre dernier à l’Élysée et, devant ma télévision, j’avais été sidéré par le brouhaha dans lequel ils recevaient son discours! En riant jaune, Macron a été obligé de rappeler à l’ordre plusieurs fois les élus qui préféraient parler entre eux plutôt que de   l’écouter! J’y avais assisté en direct à une terrible leçon sur le défaut d’autorité du personnage. Jupiter ne parvenait pas même à faire la loi dans ce genre de classe d’un collège qui paillait, pépiait et se moquait absolument de ce que le prof avait à dire.

Macron distribue quelques billets de leur argent aux gueux en les invitant à rentrer chez eux et en espérant qu’ils vont croire son boniment: il affirme qu’il a compris cette crise profonde de la société qui remonte à quarante ans, mais, en même temps,  il assure qu’il va garder le cap qui a conduit à cette crise;  il affirme qu’il a compris le malaise social et sociétal et qu’il va y répondre, demain, demain étant le jour où l’on rase gratis, mais, en même temps, il assure qu’il ne changera pas le cap qui a conduit à ce malaise; il affirme  qu’il a compris que l’immigration posait un problème, mais, en même temps, il signe le pacte selon lequel l’immigration n’est pas la cause d’un malaise, mais la chance d’une “prospérité” -c’est le mot du pacte; il affirme qu’il a compris la souffrance du pays en dehors de Paris et promet qu’il va voir les maires de France mais, en même temps, il les a déjà vus à Paris et ils lui ont signifié qu’ils n’en avaient rien à faire de son laïus. De qui se moque-t-il ? Du peuple, comme toujours…

Macron a été, il est et il restera jusqu’à son dernier souffle politique, l’homme lige de l’Europe libérale, de l’État maastrichtien devenu empire. Il a été mis en place pour ça par les milieux d’affaire dont il fait la politique -et non celle du peuple qui se trouve aujourd’hui dans la rue. Le problème n’est pas entre la fin du monde et la fin du mois comme le formulent habilement les conseillers du président à destination des journalistes benêts trop content d’avoir une formule à ânonner, mais, s’il faut une formule, entre la fin de la France et la faim de la France -car cette fin de la France voulue par Macron comme prix de l’Europe maastrichtienne se paie de la faim de la France. Lui qui a choisi la fin de la France se moque comme d’une guigne de la faim de la France. C’est logique car cela découle de son cap qu’il ne veut pas changer. Au balcon médiatique il a jeté lundi soir quelques pièces de menue monnaie au peuple qui l’écoutait en contrebas. Si le peuple croit ce bateleur, Macron aura eu raison de jouer du pipeau.

Pour l’heure, souvenons-nous de la leçon de La Boétie: le pouvoir tient sa force du simple fait que nous y souscrivons. Il nous suffit de ne plus vouloir être esclave pour commencer à cesser de l’être. Mais, pour ce faire, encore faut-il ne pas souscrire aux sirènes de la communication présidentielle relayées par les médias du système. Ce fut du vent, rien que du vent, des mots, rien que des mots.

Michel Onfray

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