Charlie Hebdo: de la procédure au terrorisme…

Hommes politiques, harkis, associations catholiques, confrères… Depuis son retour en 1992, par son ton libre, entier et sans concession, Charlie Hebdo a fait l’objet d’une cinquantaine de procès, soit en moyenne un tous les six mois, selon les archives de l’AFP et la page que consacre la publication à ses nombreux démêlés judiciaires. L’actualité la plus récente ne doit pas occulter que le journal satirique s’est attiré de nombreuses inimitiés, d’abord au sein de l’extrême droite et des associations catholiques, notamment dans la seconde moitié des années 1990, puis de plusieurs journalistes ou responsables de groupes de presse remontés contre l’hebdomadaire satirique.

Charlie Hebdo avait été ainsi condamné en 1995 pour « injure » après avoir qualifié la candidate frontiste à la députation Marie-Caroline Le Pen de « chienne de Buchenwald ». Bruno et Catherine Mégret avaient notamment assigné le journal à comparaître à plusieurs reprises pour un article les qualifiant respectivement de « petit rat » et de « gourde », sans jamais obtenir gain de cause. Toujours du côté de l’extrême droite, l’ancien député frontiste Jean-Marie Le Chevallier, maire de Toulon de 1995 à 2001, et Serge de Beketch, son adjoint, avaient intenté plusieurs procès en diffamation à la publication, notamment pour avoir qualifié le premier de déserteur et le second de « pourriture particulée ».
A la même période, Charlie Hebdo s’est également retrouvé dans le viseur des associations catholiques identitaires, et notamment de l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (Agrif), qui lui intente cinq procès entre 1994 et 1998. Le journal, à l’anticléricalisme assumé, ne ménage pas Jean Paul II, qualifié de « pape de merde », et n’hésite pas à appeller à « chier dans tous les bénitiers de l’Eglise ».

Une majorité de verdicts favorables

A partir du début des années 2000, les plaintes contre Charlie Hebdo commencent à s’espacer. Fréquemment attaqué, parfois condamné en premier jugement, mais souvent relaxé en appel, le journal réussit dans les trois quarts des cas à obtenir gain de cause en justice, grâce notamment à une législation française très protectrice vis-à-vis des libertés de la presse.

En tout, d’après les données partagées par le cache du site et les archives de l’AFP, elle n’est condamnée que neuf fois en 48 procès, essentiellement pour injure, comme lorsque le chanteur Renaud, également chroniqueur aux débuts de Charlie Hebdo, avait qualifié une journaliste du Monde de « crétine d’idiote de nulle ». La dernière condamnation du journal date de 2006, là aussi pour la même qualification : deux ans plus tôt, il avait publié un dessin représentant en nazi le ministre de la fonction publique, Renault Dutreuil.
En revanche, les plaintes déposées par les différentes associations communautaires ont rarement débouché sur une condamnation du journal, les tribunaux ayant toujours reconnu son droit à la caricature. L’exception majeure date de 1998, quand l’hebdomadaire et son dessinateur Siné avaient été condamnés à trois mois de prison avec sursis et 30 000 francs d’amende pour une tribune et un dessin « visant précisément les harkis et la communauté qu’ils forment », alors que des enfants de harkis avaient entamé une grève de la faim.

Des procès plus rares mais plus médiatiques
Les procès très médiatiques intentés au quotidien en 2007 puis en 2012 suite à la publication de caricatures de Mahomet masquent l’essoufflement des recours en justice contre l’hebdomadaire satirique. En dehors d’une nouvelle assignation par l’Agrif pour « provocation à la discrimination religieuse » en réaction à un numéro « spécial Pape » de 2008, remportée par Charlie Hebdo l’année suivante, les recours des associations catholiques se sont considérablement raréfiés.

Il en va différemment des actions des associations musulmanes. Comme le rappelait Le Monde, en 2007, la Grande mosquée de Paris, l’Union des organisations islamiques de France et la Ligue islamique mondiale, à l’origine du premier procès pour la publication de caricatures du prophète en 2007, avaient choisi de n’attaquer aux tribunaux qu’en évoquant deux des douze caricatures publiées par Charlie. « En attaquant deux d’entre elles, nous acceptons que l’on puisse caricaturer le Prophète, mais nous n’acceptons pas leur caractère raciste » , expliquait alors Francis Szpiner, l’un des avocats de la Grande Mosquée de Paris.

Des plaintes d’associations de plus en plus secondaires
Elles n’ont pas réitéré leur action en justice en 2012, à la suite de la publication de nouvelles caricatures de Mahomet le représentant en fauteuil roulant, poussé par un rabbin, sous le titre « Intouchables 2 ». En parallèle, plusieurs autres associations musulmanes se sont portées parties plaignantes en 2012, l’Association syrienne pour la liberté, l’Association des musulmans de Meaux et sa région, le Rassemblement démocratique algérien pour la paix et le progrès et l’Organisation arabe unie. L’avocat du journal avait alors évoqué une « réplique de très basse intensité » comparé à 2006.
A l’inverse, la Ligue de défense judiciaire des musulmans a assigné en 2013 Charlie Hebdo devant le tribunal correctionnel de Strasbourg – l’Alsace et la Lorraine sont les seules régions de France où le délit de blasphème existe encore, même s’il n’est plus appliqué depuis 1918. Aucune de ces actions en justice n’a abouti à une condamnation du journal satirique.
En parallèle, l’hostilité vis-à-vis de Charlie Hebdo s’est en partie déplacée du terrain judiciaire à celui du vandalisme, puis du terrorisme. En novembre 2011, à la veille de la publication d’un numéro spécial « Charia Hebdo » consacré aux élections en Tunisie, les locaux du journal ont été la cible d’un incendie criminel. En 2013, Charb apparaissait dans la liste des personnes recherchées mortes ou vives par le magazine de propagande anglophone d’Al-Qaida. Mercredi 7 janvier, c’est un attentat meurtrier qui a visé la rédaction de l’hebdomadaire, faisant au total 12 morts dont 8 membres de Charlie.

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