Mitterand, un jeune homme de droite

Jusqu’à sa mort (en mai 1995), François Mitterrand, qui était pourtant la personnalité la plus exposée de France, demeura un mystère. Des révélations tardives sur son passé (plutôt trouble) aux indiscrétions concernant Mazarine, sa fille adultérine, « Tonton » s’est révélé un personnage plus complexe que le slogan « La force tranquille », utilisé lors des présidentielles de 1981, ne le laissait supposer. Une complexité qui s’explique en partie par les événements survenus durant sa jeunesse, et auxquels le scénariste belge Philippe Richelle et le dessinateur français Frédéric Rébéna consacrent un admirable album de bande dessinée.

1935. François Mitterrand a 19 ans et ne sait pas encore qu’il accédera à la plus haute fonction de l’État quelques 45 ans plus tard. Jeune bourgeois catholique, vichyste puis résistant, il incarnera la gauche française. Discret et cultivé, épris de littérature, ce « Prince de l’ambiguïté » est avant tout fin stratège et meneur d’hommes. Des prisons allemandes à la France libre, sa jeunesse s’inscrit dans les tourments de l’histoire du XXe siècle…

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Un parcours atypique et romanesque
Si le personnage de François Mitterrand demeure controversé, ceux qui en connaissent la genèse conviennent du fait que sa vie fut des plus romanesques. « La révélation tardive de son passé vichyste, par exemple, a alimenté ce constat », confirme Philippe Richelle. « Ça a ajouté à son parcours tout à fait atypique, exceptionnel, tortueux une dimension effectivement romanesque ». Mais d’autres contingences, survenues au cours de ses années « d’apprentissage » (entre 1935 et 1945), ont contribué au mythe, comme sa rétention en stalag suivie de son évasion, sa participation (aux fins de réinsertion des prisonniers) au gouvernement de Vichy, son entrée en résistance et bien d’autres, toutes relatées dans l’album.
Dès lors, rien d’étonnant à ce qu’un scénariste, fut-il belge, s’empare de cette grande figure de la France du siècle dernier. « François Mitterrand m’intéresse et m’intrigue fortement depuis près de vingt ans », précise Philippe Richelle. « Même avant, remarquez : Je me souviens qu’en 1981, alors que j’étais en terminale, notre prof de lettres nous avait presque obligés à acclamer son élection. Globalement, on était aussi excités que nos jeunes voisins français, on sentait poindre un souffle nouveau dans la vie politique. Même si la suite nous a tous quelque peu déçus – et c’est un euphémisme ! ».

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Issu de la droite traditionnaliste
Établi à partir d’une documentation solide – mais sans la consultation de ses héritiers -, ce portrait présente donc un jeune Mitterrand dont l’orientation politique, comme l’indique le titre de l’album, était, au départ, à l’opposé de celle qui le fera entrer à l’Élysée. « C’était bien un jeune homme de droite, mais il existait plusieurs droites à l’époque. Lui était issu de la droite traditionaliste, provinciale et profondément catholique, et qui n’avait jamais vraiment accepté la République », selon Philippe Richelle.

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L’ouverture par la souffrance
En focalisant sur les diverses circonstances qui l’ont lentement vu « basculer » vers le socialisme, le livre insiste sur l’un des traits de caractère fondamentaux de Mitterrand : son ouverture d’esprit. « C’était un personnage complexe, plein de contradictions. Mais malgré le fait qu’il ait été “façonné” par son extraction traditionaliste, il s’est, peu à peu, construit, il a souffert – notamment au stalag – et fait des rencontres qui ont élargi son horizon intellectuel », note Philippe Richelle. « Ça devait sommeiller en lui car adolescent, il ne limitait déjà pas ses lectures aux seuls écrivains dits “de droite”. Il n’avait peut-être pas lu Marx, tout de même, mais bon… (rires) ».

« Son changement d’orientation politique a donc été très progressif. Il y a d’abord eu la guerre, puis les événements en Algérie… Lui était plutôt favorable à l’autodétermination – pas forcément à l’indépendance. En cela, il se démarquait de la mentalité dominante d’alors. Le paradoxe, c’est qu’il a été ministre de la justice de 1956 à 1957 et qu’il a signé des arrêtés de condamnation à mort, donc j’imagine qu’il a dû faire face à de sérieux problèmes de conscience ».
Las, cet épisode ne figure pas dans ce passionnant premier volume, qui s’interrompt brutalement à la fin de l’année 1944. « C’est un parti pris éditorial », précise Philippe Richelle, « mais un second volume devrait suivre, qui courra de l’immédiat après-guerre à la fin des années 1950 ».

« Mitterrand – Un jeune homme de droite », de Philippe Richelle & Frédéric Rébéna – Éditions Rue de Sèvres, 18 euros

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