Le Maquis de Montmartre, la face cachée de la luxueuse avenue Junot (Vidéo)

À la charnière des XIXe et XXe siècles, ce petit village, planté au milieu d’une friche au coeur du 18e arrondissement de Paris, intrigue et inspire les plus grands artistes de l’époque.

Des ruelles en terre, des enfants qui courent, des marchandes des quatre saisons devant des bicoques en bois… Non, vous ne vous trompez pas, vous êtes bien à Montmartre. Mais en 1900, quand la Butte n’était encore qu’un terrain vague, au temps du Maquis. Peu connue, cette période de l’histoire de la Butte Montmartre a façonné l’image champêtre de ce quartier du 18e arrondissement de Paris.

Le Maquis matérialisait l’époque charnière de l’entre-deux siècles : le passage d’un Montmartre rural, avec ses moulins et ses vignes, à un Montmartre ouvert sur la modernité du XXe siècle. Investi dès les années 1890, il disparaît à partir de 1909 avec le percement de l’avenue Junot. Longtemps perçu comme un bidonville, il fut bien plus que cela.

Le Maquis de Montmartre s’étendait entre les rues Caulaincourt, Lepic et Girardon, à l’emplacement exact de l’avenue Junot. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le versant ouest de la Butte n’était alors que des champs. Intégré à la capitale en 1860, Montmartre n’a vraiment commencé à se peupler qu’à partir des années 1890, au moment où les paysans ont vendu et loué leurs terres. De nombreux habitants de Paris se sont alors rués sur ces bouts de terrains, cédés pour une misère.

« La population qui a occupé le Maquis est extrêmement difficile à cerner, et encore plus à estimer, raconte Jean-Manuel Gabert, historien de la Butte Montmartre. Beaucoup étaient des réfugiés de la capitale qui ne pouvaient plus payer leur loyer. On voyait principalement des chiffonniers, des marchands des quatre saisons, des rempailleurs, des ferrailleurs, des personnes qui ramassent des choses pour en “biduler” d’autres… Bref, toute sorte de personnes, mais toujours sans le sou », explique-t-il.

Contrairement à ce que pouvaient en penser les Parisiens de l’époque, la vie dans le Maquis était socialement organisée : commerce, bon voisinage, solidarité, chacun y menait normalement ses affaires. Proche du bidonville sous certains aspects (insécurité et manque d’hygiène), le Maquis rappelait davantage l’ambiance d’un petit village de campagne.

Les cartes postales de l’époque donnent souvent une image idyllique du Maquis. La réalité était moins poétique. Certaines zones, plus marginales, subissaient un niveau de délinquance élevé. Nombreux étaient les voleurs de Paris qui venaient s’y réfugier. Ces voyous, ce sont les Apaches qui terrorisent la capitale en ce début de siècle. « On pouvait par exemple voir dans le Maquis, en pleine journée, des jeunes gens se battre au couteau, avec parfois un mort à l’issue du règlement de compte », raconte Jean-Manuel Gabert.

Pourquoi une telle insécurité ? Probablement parce que la géographie de Montmartre faisait du Maquis une planque idéale pour les hors-la-loi. « Les fortes dénivellations de Montmartre permettaient de facilement s’échapper des maisons lors de descentes de police, poursuit le spécialiste. Certaines habitations avaient plusieurs sorties à des niveaux différents de la rue. Aujourd’hui encore, des appartements ou des caves s’ouvrent sur des rues bien plus basses. »

Impossible d’évoquer le Maquis de Montmartre sans parler des personnages invraisemblables, aussi intrigants que fous, qui l’ont peuplé. Paco Durrio par exemple. « C’était un artiste espagnol venu s’installer à Paris pour son travail, raconte Jean-Manuel Gabert. Il était alors très proche de Paul Gauguin, dont il possédait une trentaine de tableaux dans son chalet du Maquis. Un jour, il prit un autre Espagnol sous son aile, Manolo. Durrio, le voyant très pauvre, lui laissa son chalet le temps d’un voyage en province.

« Manolo se révéla être un arnaqueur : à son retour, Durrio découvrit que toutes ses précieuses œuvres avaient disparu. Il bondit sur son convive pour lui faire avouer à qui il les avait vendues. Il courut ensuite racheter ses tableaux au brocanteur complice. Heureusement, le marchand les lui rendit pour pas grand-chose. Par la suite, quand Manolo devait expliquer son acte, il répondait dans un sarcasme : “Mais quoi ? C’est un malin ce Durrio, acheter une collection de Gauguin pour seulement 200 francs !” »

Les nombreuses personnalités fantasques du Maquis ont intrigué et attiré les grands artistes de l’époque. Maurice Utrillo, Vincent Van Gogh, Auguste Renoir (et Jean, son fils, avec qui il vécut au Château des Brouillards), Francisque Poulbot, Tristan Tzara… Autant d’esthètes dont la vie et l’ambiance de ce village au cœur de Paris ont inspiré nombre d’œuvres.

Depuis, la situation a radicalement changé. « Le lieu le plus pauvre de la capitale, avec ses artistes bohèmes à la créativité incroyable, s’est transformé à la fin du Maquis en un véritable Sunset Boulevard réservé aux villas d’artistes fortunés, constate Jean-Manuel Gabert. On est passé d’un extrême à l’autre en seulement quelques années. »

À partir de 1909, l’avenue Junot commence à être percée. Elle traverse le Maquis de part en part, remplaçant ses cabanes et ses chalets par des hôtels particuliers style art déco. « La logique immobilière de l’époque voulait que l’ensemble de la Butte soit rasé, puis réaménagé », explique Rodolphe Trouilleux.

La spéculation financière est interrompue par la Première Guerre Mondiale, mais reprend inéluctablement en 1920. Jusqu’en 1940, quelques îlots d’irréductibles maquisards subsistent encore. Au final, tous sont expropriés au nom de la modernité du nouveau siècle. Signant définitivement la fin du Maquis de Montmartre, un microcosme hors du temps vite rattrapé par son époque.

Aujourd’hui, la Butte garde en héritage son environnement pittoresque et son air de petit village. Seul vestige du Maquis, une parcelle inviolée est conservée par ses habitants depuis maintenant plus d’un siècle au 65, rue Lepic. Classée et protégée en 1991, elle est le symbole d’une époque riche, mais oubliée.

La majorité des habitations étaient des cabanes, « des maisonnettes construites de bric et de broc,précise Rodolphe Trouilleux, historien de Paris. On raconte même que les serrures étaient conçues avec des boîtes de sardines, ajoute-t-il. Ceux qui avaient un peu plus d’argent possédaient quant à eux de véritables petits chalets en bois. On aurait dit un village suisse », sourit l’historien, pour qui ce côté champêtre constituait le charme du lieu.

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