Contre les Gilets jaunes, l’Etat (d’abus) de droit

Les voici donc, les « complices » flétris par Castaner, alors que, venus de Bercy par la Bastille, ils sont au moins 12 000 à défiler samedi, sur le coup de treize heures, sur les Grands Boulevards et parfois sur les trottoirs quand la chaussée est trop étroite. Une marée jaune, à la fois calme, déterminée, joyeuse et sympathique.
Un bon tiers de femmes – dont l’une en fauteuil roulant, plusieurs portant leur bébé attaché dans le dos. Un vieillard arbore ses médailles militaires, quelques gaillards coiffés d’un béret rouge fraternisent avec des gilets rouges cégétistes dont l’un brandit le drapeau de sa centrale, Quelques Maghrébins, quelques Noirs, aucun Asiatique mais un Ecossais en kilt. Des bourgeois en pardessus de cachemire et des ouvriers de La Courneuve ou de Dunkerque. De très modestes retraités luttant pour leur survie et un original en houppelande et tricorne. Ouverts, les Carrefour City et les Monop’ se frottent en tout cas les mains, débitant à toute allure sandwichs, bouteilles de coca et cannettes de bière. On entend « Macron démission » mais aussi Le Chant des Partisans qui, il est vrai, peut comme La Marseillaise se mettre à toutes les sauces. Il ne manque que le slogan « On est chez nous » pour se sentir totalement emporté par la foule.

Boulevard Haussmann, les grands magasins peuvent se rassurer en ce premier shabbat de soldes, c’est toujours le calme plat. C’est au croisement avec l’avenue de Friedland menant à la place de l’Etoile que les choses se gâtent. Etre, ne pas être dans la nasse délimitée par les barrages de police, telle est la question. Certains renoncent, d’autres s’engouffrent, qui devront des heures durant tourner en rond autour de l’Arc de triomphe, très protégé. Et malheur à ceux qui tentent une échappée vers les Champs-Elysées. C’est la technique du « saute-dessus » employée par les BAC dans les banlieues, lors des interpellations de dealers ou d’auteurs de règlements de comptes, qui prévaut. Peut-être comparses de Benalla, des policiers en civil sont masqués – droit d’ordinaire accordé aux seules forces antiterroristes –, munis de flash-ball et simplement signalés par leur brassard. A Friedland, les CRS dispersent sans sommations les manifestants (à distance et non armés) par des rafales de grenades lacrymogènes et de grenades assourdissantes supérieures en décibels au décollage d’un jet, alors que, juridiquement, ces sommations sont obligatoires sauf en cas de légitime défense. « Comme citoyen et comme policier », un commandant de police s’en indigne.

Il n’est pas le seul. Coup dur pour le tandem Macron-Castaner, Amnesty International vient de déplorer le « recours excessif à la force » des policiers lors du mouvement des Gilets jaunes et, se demandant si les violences commises par les prétoriens du régime n’étaient pas plus graves que celles commises par les manifestants (qui comptent désormais dans leurs rangs plus de 1 600 blessés et plusieurs morts), estime nécessaire une « enquête indépendante, impartiale ». Et l’ONG, pour laquelle la plupart des députés LREM ont d’ordinaire les yeux de Chimène, d’exhorter le gouvernement à « respecter le droit français ». C’est aussi, semble-t-il, l’opinion du Défenseur des droits Jacques Toubon qui, saisi par une trentaine de Gilets jaunes victimes d’abus de droit, a ouvert une instruction sur de possibles « atteintes à la liberté » de manifester. Mauvaise nouvelle pour l’Etat-Macron quand on connaît l’opportunisme de Toubon auquel pourrait s’appliquer la définition que donnait Edgar Faure de ses propres ondulations : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. » Un vent assez fort pour balayer celui qui, en toute modestie, se voulait le sauveur de l’Europe menacée par les populismes honnis ?

Camille Galic – Présent

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