Que faire face aux dégâts de la pornographie ?(Vidéo)

Pascale Morinière, vice-présidente des  Associations familiales catholiques (AFC) et médecin généraliste, Pierric Mallié-Arcelin, délégué général de la confédération nationale des AFC, ont acceptés tous deux de nous rencontrer. En plus d’un retour sur les actions qu’ils mettent en place aux AFC, ils souhaitent sensibiliser le plus grand nombre au fléau de la pornographie et de ses dégats.  

Les AFC lancent une campagne contre la pornographie. Pouvez-vous nous présenter des AFC, ce qu’elles sont, leurs actions sur le terrain ?

Pascale M. : Nous sommes une confédération d’actions locales, présents à peu près dans tous les départements français. C’est un grand réseau qui n’est pas tout jeune, puisque cela fait plus d’une centaine d’années que nous existons. Notre mission est de promouvoir, soutenir et servir la famille. Notre ambition est de redonner la juste place de la famille dans la société, en nous fondant sur la doctrine sociale de l’Église, d’où le « C » de catholiques. Si nos adhérents ne sont pas tous catholiques, notre ancrage se trouve dans la doctrine de l’Église.

Notre autre versant est de servir la famille. Nous avons pour cela un certain nombre de services concrets, comme l’aide à la consommation (nous sommes association de consommateurs), les Chantiers-Éducation qui sont une aide concrète aux parents pour les aider dans l’éducation de leurs enfants…

Le président Macron nous a parlé de l’arrivée de la pornographie dans les écoles, vous-mêmes relancez l’action contre la pornographie. Que pensez-vous de son intervention ?

Pascale M. : Nous sommes tout d’abord heureux que le président Macron s’engage sur ce sujet, c’est bien que les pouvoirs publics s’emparent de ces sujets qui ne sont pas neufs. Je vous rappelle l’histoire dans le lycée Montaigne en 2015, il y avait eu des problèmes d’attouchements entre enfants âgés de 10-11 ans, de garçons sur des petites filles.

C’est un sujet sur lequel nous alertons depuis longtemps. Nous sentons que c’est un débat qui arrive sur la place publique, et nous sommes heureux de voir qu’il est pris au sérieux. En effet une fois qu’il est rendu public nous pouvons commencer à véritablement nous en occuper correctement.

Il faut également dire que ce sujet ne concerne pas que les jeunes, même si c’est à cause des jeunes qu’on le remarque, c’est la société complète qui est touchée. Il ne faut pas se voiler la face, c’est parce que des adultes consomment du « porno » que les jeunes consomment du « porno » aussi.

Concernant la pornographie, est-on bien sûr de son impact ? Vous parliez tout à l’heure des attouchements entre enfants, est-ce donc quelque chose à limiter pour les mineurs seulement ? 

Pascale M. : Nous abordons ce sujet-là par deux axes, un axe juridique est un axe éducatif. Je m’occupe plus de l’axe éducatif. Quand on encourage les parents à vouloir le meilleur bien pour leurs enfants, donc à les éduquer. Quand on veut que ses enfants se tiennent à distance de ce genre de choses, on se pose forcément des questions sur ses pratiques, son attitude à soi. Notre rôle n’est pas de rééduquer les parents ou les adultes, c’est à chacun de prendre ses responsabilités. Il n’empêche que nous faisons passer des messages et les adultes les entendent.

Nous savons qu’aujourd’hui il y a un tiers du continent numérique qui est du « porno », c’est-à-dire un tiers de tout ce qui est publié sur Internet. On se rend compte à la vue de ce chiffre de l’impact que cela peut avoir au niveau mondial. Le site Ennocence qui s’occupe de lutter contre le porno auprès des jeunes, dit que l’âge moyen de confrontation est de 11 ans. Une enquête du Figaro disait qu’à 13 ans 30 % des jeunes garçons avaient déjà vu de la pornographie.

Pierric M.-A. : Les AFC ne lancent pas d’action, elles poursuivent celles qu’elles ont lancées. Cela fait déjà un certain temps que nous œuvrons sur ce sujet. Nous constatons que l’affaire Weinstein : « Balance ton porc » a servi de catalyseur. Elle nous a permis de voir que ce sujet pouvait être abordé publiquement. Nous avions l’impression d’être les seuls à nous occuper de ce problème, avec d’autres associations bien sûr, mais qui restent minoritaires et dont l’action est extrêmement peu médiatisée parce que ce n’est pas un sujet à la mode.

Nous en avons profité pour aller rencontrer le cabinet de Marlène Schiappa, et en évoquant cette histoire de « Balance ton porc », en échangeant nos points de vue plutôt différents d’une manière générale… mais qui se rejoignent sur certains points, nous avons évoqué l’éducation, puisque c’est un de nos principaux sujets. Nous leur avons dit : « Comment peut-on déplorer qu’il y ait des porcs quand on éduque les enfants dans une porcherie ? ». La personne que nous avons rencontrée au cabinet nous a dit que Laurence Rossignol s’était déjà saisie de ce sujet lorsqu’elle était ministre et que Marlène Schiappa continue de s’en saisir et de sensibiliser le président Macron. C’est d’ailleurs ce qui a abouti le 25 novembre à cette conférence de presse qui comportait un volet sur l’accès des mineurs à la pornographie.

Nous estimons que cela ne va pas assez loin, puisque la pornographie touche aussi les majeurs, mais c’est un premier pas et nous sommes heureux que le ministère considère le problème, l’envisage et agisse.

Sans rentrer dans les détails, l’action contre le porno en ligne est extrêmement compliquée. Il y a des enjeux commerciaux incroyables, on l’a dit, 30 % du Web c’est du « porno » ! Il y a également des aspects idéologiques ; ce qui m’a toujours frappé, c’est que jusqu’à 17 ans et 11 mois il faut absolument protéger nos enfants, et à 18 ans et un jour c’est « liberté d’expression, ils font ce qu’ils veulent ». 

Il y a autant d’aspects idéologiques que d’aspects techniques. On a des recours en justice depuis maintenant une dizaine d’années ; contre Gleeden particulièrement, site de rencontre extra-conjugale en ligne. On ne gagne pas tous nos procès, c’est un euphémisme, mais nous sommes présents et nous allons jusqu’au bout des procédures.

Dans votre dernière opération de mailing, vous appeliez aux dons pour les opérations à venir. Est-ce que dans les points que vous ciblez et que je rappelle : le proxénétisme virtuel, l’encadrement de l’exhibition sur Internet et la lutte contre la pornographie, vous avez déjà un impact ? Travaillez-vous en lien avec d’autres associations pour une meilleure efficacité ? 

Pierric M.-A. : Nous avons lancé plusieurs actions en justice dans les années 2008-2009 qui sont toujours en cours, c’est vous dire la célérité de la justice à traiter ce genre de sujet qu’elle ne sait pas comment aborder.

Pour prendre l’exemple du proxénétisme virtuel, ce sont des sites sur lesquels des « modèles », pour reprendre le vocabulaire technique employé dans la procédure, pratiquent des actes sexuels à distance, via webcam, à la demande d’un client. Nous souhaitons que ce procédé qui n’a pas d’existence juridique soit reconnu comme du proxénétisme, au moins pour les agences qui mettent cela en ligne. En appel, ils nous ont répondu sur les pratiques commerciales, mais pas sur le proxénétisme à proprement parler, nous partons donc en cassation. Les sites sont relayés à l’étranger ce qui complique l’affaire et l’allonge.

Le mailing que nous avons envoyé a pour objectif de rendre compte de notre action. Les actions sont déjà lancées mais ont un coût : frais d’avocats, études juridiques…

Vous demandiez si nous travaillons avec d’autres associations, la réponse est oui, de manière combinée, c’est-à-dire que nous nous appuyons sur ce qu’elles font pour étayer nos propres propos et nous savons que d’autres s’appuient sur ce que nous faisons.

Pascale M. : Pierric vous a dit que nous ne gagnons pas à chaque fois, il ne faut pas oublier que nous avons gagné à plusieurs reprises. Il est bon de le préciser. Nous avons attaqué un sex-shop qui était à moins de 200 mètres d’une école et nous avons obtenu sa fermeture. Lorsque nous gagnons ce type de procès, cela permet de structurer la jurisprudence. À Paris, il devrait être possible de faire fermer tous les sex-shops.

J’ai à l’esprit également les interventions de SOS homophobie dans les écoles. Nous avions attaqué et nous avons gagné. Puis le gouvernement Hollande est arrivé et s’est empressé de redonner un agrément à SOS homophobie en toilettant un petit peu les statuts pour que cela puisse de nouveau fonctionner. Pour la ligne Azur, nous avons également réussi à la faire fermer.

Considérez-vous ce phénomène comme nouveau à cause du changement de support ? 

Pascale M : Bien entendu le phénomène existait avant, les adolescents allaient acheter de façon honteuse une revue… Aujourd’hui nous constatons tout de même que cela a explosé. Tout le monde à ce petit gadget dans la main, sur lequel on peut avoir accès à la pornographie. Les chiffres montrent une explosion des consultations et de l’impact.

On le voit sur le comportement des jeunes, on le voit sur les chiffres quand on les interroge sur ce qu’ils visionnent, on le voit sur les pratiques sexuelles des jeunes adultes, on les voit sur tous les indicateurs. L’impact n’est pas véritablement remis en question. La partie émergente que nous avons vue avec l’affaire Weinstein, qui a libéré la parole, c’est tout d’un coup la réalisation de quelque chose qui était déjà là auparavant.

Pierric M.-A.  : À proprement parler notre objectif n’est pas de lutter contre la pornographie, notre enjeu c’est de permettre aux parents d’éduquer leurs enfants à une sexualité harmonieuse apaisée et réjouissante. Nos outils sont non seulement les aspects préventifs et coercitifs de la lutte contre la pornographie que nous évoquons depuis tout à l’heure, mais également l’éducation affective et sexuelle qui est un des grands volets que nous travaillons aux AFC.

Encore une fois, être en réaction en permanence c’est bien, il faut savoir le faire, être en proposition c’est mieux, ou en tout cas c’est extrêmement complémentaire. On ne baisse pas la garde sur tous les aspects de la lutte contre la pornographie, mais ça reste un outil parmi d’autres.

Pascale M. : Éducation affective et sexuelle oui, mais aussi éducation à l’écran. Nous sommes d’une génération où nous n’avons pas été éduqués aux écrans, les parents qui arrivent ont été en partie été éduqués à ce phénomène, mais c’est encore trop juste.

Il a donc fallu inventer ce que l’on avait à dire à nos enfants sans pouvoir se fonder sur le modèle que l’on avait reçu soi-même et sans forcément se rendre compte de l’impact des écrans. La nouvelle génération de parents commence à s’en rendre compte. Ils se rendent compte qu’il y a une éducation particulière à faire, car Internet ce n’est pas tout mauvais, mais ce n’est pas tout blanc non plus. Il faut des règles. Et là aussi des règles qui s’appliquent aux parents eux-mêmes.

Quand les parents sont en permanence en train de surfer sur Internet c’est difficile d’éduquer leurs propres enfants. Concernant l’éducation affective et sexuelle, ce n’est plus simplement dire comment on fait les bébés comme ça a pu l’être pour les générations précédentes. Aujourd’hui nous sommes sur la question du comportement, c’est une éducation globale qui touche à l’anthropologie, c’est une annonce de la Bonne Nouvelle sur la personne humaine. La personne humaine en tant qu’homme et en tant que femme et ce que nous sommes appelés à devenir. Quand nous ne prenons pas la parole, nous les éducateurs, nous les parents, ce qui fait l’éducation sexuelle c’est la pornographie. Et donc ils grandissent dans « des poubelles à ciel ouvert ». Avec aucune vision, l’autre est un objet de consommation pour mon plaisir.

Pierric M.-A. : Une réaction dans l’affaire « Balance ton porc » m’a particulièrement marqué c’est celle du professeur Israël Nisand, qui n’est pas de confession catholique, mais qui fait les mêmes constats que nous, est alarmé de la même manière. Il y a une prise de conscience actuelle également chez les personnels de santé, dans les accompagnements familiaux, chez les éducateurs… que les cathos ne sont pas que des réacs qui brandissent des étendards, parce qu’ils sont contre tout. Ils seraient peut-être même des précurseurs sur des sujets qu’on a laissé filer et qui font des ravages.

Pascale M. : La solution ce n’est pas non plus d’enfermer les jeunes et les enfants dans une bulle hermétiquement close. Évidemment il faut mettre des contrôles sur tous les écrans, mais j’ai l’habitude de dire qu’il ne faut pas faire des crustacés avec des carapaces, un crustacé c’est rigide, ça ne se déplace pas très bien, il faut que nous fassions des vertébrés, ce que nous sommes, c’est-à-dire donner une colonne vertébrale. Ça, ça passe par la parole de papa et maman qui passe en premier, qui annonce les choses en premier, qui est capable de s’adapter à l’enfant parce que ce sont les parents qui connaissent le mieux leurs enfants. Ils sont capables de dire au bon moment, de répéter lorsque c’est nécessaire, de dire avec les mots adaptés, la délicatesse qu’il faut… De façon à ce que l’enfant s’approprie une vision sexuée de sa propre personne et qu’il comprenne ce qu’est ce monde sexué dans lequel nous évoluons.

Justement, pour revenir sur ce sujet, vous parliez de l’intervention dans les écoles, est-ce que c’est le rôle d’intervenants extérieurs de faire ces interventions ? Ne faut-il pas simplement donner les outils aux parents, pour que ce soient les parents qui se chargent ensuite de cette éducation ?

Nous donnons les outils aux parents, mais on regarde également la doctrine sociale de l’Église dans laquelle il est dit que les parents sont les premiers éducateurs et les principaux, mais pas les seuls. Il faut parfois avoir assez de lucidité pour être capable de regarder ce qui existe autour de nous et qui, à certains moments, est plus à apte à dire les choses à nos enfants. Je pense par exemple à CycloShow-XY, ou Mission XY… De très beaux outils pour annoncer la puberté aux enfants. Je pense également à TeenSTAR, le CLER, le Pass’AMOUR et un certain nombre d’associations qui se développent et font des très belles choses. Parfois les parents nous disent qu’ils se sentent démunis, qu’ils n’ont pas les mots, ils peuvent se servir de tout ça.

Nous observons que dans d’autres pays les choses se passent différemment. Par exemple aux Pays-Bas, il y a chaque année une semaine d’intervention dans les écoles sur l’éducation sexuelle. Les Pays-Bas ne sont pas particulièrement un pays pro-Vie, depuis qu’ils ont mis ces interventions en place ils observent une diminution des grossesses chez les adolescentes, une diminution des maladies sexuellement transmissibles, une entrée dans la vie sexuelle active qui se fait plus tardivement…

Même si c’est imparfait la connaissance n’est pas que de la morale, savoir comment mon corps fonctionne, comment fonctionne le corps de l’autre… avoir des connaissances permet d’améliorer la situation. Nous ne nous enfermons pas dans des bunkers, faisons notre boulot de parents avec une parole libre et ouverte avec les enfants. Sachons également regarder autour de nous et trouver des relais pour parfaire ce que l’on fait.

 

Lu sur L’homme nouveau

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