L’incroyable révisionnisme littéraire de Faurisson

Il est impossible – ou plus exactement interdit – de dire du bien de Robert Faurisson. Ses fameuses recherches et publications sur un sujet il est vrai pour le moins scabreux, ont occulté – non pas à jamais, mais pour des dizaines d’années – les études incroyablement novatrices, dans le domaine littéraire, de cet agrégé de lettres et docteur ès lettres et sciences humaines, longtemps enseignant, à la Sorbonne, puis à Lyon-2. On ne peut se contenter d’écrire que cette occultation est regrettable, car il s’agit à proprement parler d’un scandale. Des artistes, des chercheurs, des enseignants, ont parfois été honorés, pour la qualité de leurs travaux, malgré les crimes ou les délits qu’ils avaient commis. On pense, spontanément, à Jean Genet, à Henry de Monfreid, au cinéaste José Giovanni, ou encore, bien avant eux, au peintre Le Caravage.

Robert Faurisson, lui, n’est pas un criminel. Pourtant ses travaux littéraires sont contestés non pas en raison d’une faible qualité ou d’un intérêt limité, mais uniquement du fait que son nom reste attaché à d’autres travaux, historiques, ceux-là, classés sous le label « révisionnisme historique », et parce que ces travaux ont porté sur « l’holocauste ». C’est un peu – toutes proportions gardées – comme si on réfutait les qualités littéraires de Victor Hugo, au motif qu’en exil à Jersey, il pratiquait le spiritisme et croyait à la communication avec sa fille décédée Léopoldine, par le biais de tables tournantes.

De ce point de vue, le très dense ouvrage du professeur Faurisson, Mon révisionnisme littéraire, qui vient de paraître, constitue une minuscule entorse à cette censure absurde et scandaleuse (lire l’article d’Armand Mathieu dans Présent du 29 décembre 2018 : « Robert Faurisson au jardin des Lettres »).

A-t-on lu Rimbaud ?

J’ai raconté dans les pages de Présent, à l’occasion de l’annonce du décès de Robert Faurisson, comment un enseignant du lycée Saint-Exupéry de Fameck (Moselle) m’avait – nous avait – fait découvrir l’étude de Faurisson sur Rimbaud et plus spécialement sur le fameux poème, supposé hermétique, Voyelles. Toute la classe de terminale avait été subjuguée par les révélations sur la symbolique rimbaldienne. Cela se passait en 1971, avant que la notoriété de Faurisson ne se focalise sur d’autres questions.

Le professeur, pourtant parfait soixante-huitard, nous avait distribué le texte de Faurisson, qui venait d’être réédité par Jean-Jacques Pauvert, sous le titre A-t-on lu Rimbaud ? suivi de L’affaire Rimbaud.

Quelques années auparavant, l’étude de Faurisson avait suscité une formidable polémique littéraire. Dans les pages de la revue Bizarre (la revue de Jean-Jacques Pauvert), de France-Observateur (l’ancêtre de L’Obs), du Monde, d’Accent grave (la revue de Jean Ferré) et dans des dizaines d’autres revues et journaux à orientation plutôt littéraire, les rimbaldiens s’en étaient donné à cœur joie. Pour André Breton, la thèse de Faurisson sur l’interprétation de Voyelles avait été jugée « agitante au possible », « assez éblouissante » pour André-Pieyre de Mandiargues, ou « révolutionnaire » pour Robert Poulet. Seul ou presque l’écrivain Etiemble, dans Le Monde, avait critiqué Faurisson, le traitant de « paranoïaque », de « schizophrène », d’« érotomane ».

On se souvient que Faurisson avait tout simplement trouvé la clé cachée, évoquée par Rimbaud lui-même dans le second vers de Voyelles. Voyelles, nous révélait Faurisson, est un poème érotique (voire graveleux, précise-t-il) sur la femme, un blason du corps féminin, chaque voyelle représentant une partie de ce corps : A, le sexe, E, les seins, I, la bouche, O, les yeux, U, la chevelure. Une fois cette symbolique mise au jour, la relecture du poème fait apparaître les évidences, l’érudition de Faurisson complétant les éventuelles difficultés d’interprétation (la couleur verte pour le U des cheveux, par exemple).

Le 10 février 1962, dans les pages du Monde, Faurisson avait répondu à Etiemble, la polémique avait enflé, puis s’était pratiquement éteinte, tout simplement parce que l’explication était lumineuse.

Désormais l’interprétation de Faurisson fait autorité, comme font autorité ses analyses sur Lautréamont, Apollinaire, Gide ou Larbaud. Pourtant, malgré la demande, ses textes n’étaient pas réédités. « Jean-Jacques Pauvert ne voulait pas entendre parler d’une réédition. Il n’était pas hostile mais il avait peur. Vers 1984, un éditeur parisien s’enhardit. Il décida de rééditer le livre. Mais il reçut des menaces (…) ». Il renonça à cette publication, raconte Faurisson, et fit savoir que « s’il avait en fin de compte renoncé à publier mon livre sur Rimbaud, c’était parce que j’avais écrit d’autres livres – passablement abjects – qu’il ne voulait pas avoir l’air de cautionner ».

Nous y voilà : il est interdit de dissocier l’œuvre novatrice de Faurisson sur Rimbaud de sa « croisade » pour le révisionnisme historique. La comparaison avec Genet, Monfreid, Giovanni ou Le Caravage prend ici tout son sens.

Une apologie des horreurs

Faurisson appliqua en effet par la suite, comme chacun sait, sa méthode impertinente d’enquête et de remise en cause des idées reçues, au domaine infiniment plus délicat du sort des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Sur ce plan, ce que l’on sait avec une absolue certitude (et Faurisson ne le conteste d’ailleurs pas), c’est qu’il est sorti infiniment moins de personnes des camps qu’il n’en était entré. Et à partir de là, tous les travaux, aussi scientifiques et charpentés soient-ils, souffrent de deux maux : la passion, qui balaie la raison ; et le sentiment qu’explorer les voies d’un révisionnisme historique dans ce domaine s’assimilerait à une apologie des horreurs, qui furent indubitablement commises dans ces camps, et qu’on ne saurait minimiser, pas plus qu’on ne saurait d’ailleurs minimiser Hiroshima, Nagasaki ou Dresde.

Pour autant, les travaux littéraires de Faurisson n’auraient jamais dû en être affectés, et cet ouvrage de révisionnisme littéraire se lit comme un roman policier, nous faisant voir d’un autre œil l’œuvre de quelques grands écrivains, ceux que nous avons cités, mais aussi Ronsard, Racine, La Fontaine, Baudelaire, Gide, Céline ou Ionesco. C’est un grand livre, qui mérite sa place dans toute bonne bibliothèque, au rayon littérature française, en tout état de cause.

 

  • Mon révisionnisme littéraire. « Le prudent crayon à la main », par Robert Faurisson, Akribeia, 332 p., 2018

 

Francis Bergeron – Présent

 

Photo : Robert Faurisson en 1991.

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