L’ancienne bourgeoisie en France

 Par Yves Chiron

Xavier de Montclos, professeur émérite d’histoire de l’université de Lyon 2, spécialiste d’histoire religieuse, publie une édition révisée et augmentée d’une étude sur la bourgeoisie, « émergence et permanence d’un groupe social du XVIe au XXe siècle ».

Il y a un mépris et une caricature de la bourgeoisie qui ont la vie dure. Le mot « bourgeois » est employé le plus souvent péjorativement. On pourrait aisément faire une anthologie de l’antibourgeoisisme qui irait, sans être exhaustif, de Flaubert (« J’appelle bourgeois quiconque pense bassement ») à Jacques Brel (« Les bourgeois, c’est comme les cochons, plus ça devient gros, plus ça devient bête… »), de Robert Poulet ( son livre J’accuse la bourgeoisie, paru en 1976) à Alain de Benoist.

Caricature et idéologie se mêlent dans cet antibourgeoisisme qui n’est que rarement raisonné et qui, dans tous les cas, manque de démonstrations historiques.

La bourgeoisie, comme catégorie sociale, a pourtant quelque mille ans d’histoire. A l’origine, comme l’a montré Régine Pernoud dans sa grande Histoire de la bourgeoisie (2 vol., 1962), elle est en lien avec la renaissance du commerce en Occident au XIe siècle, le développement des villes et l’apparition d’un mouvement communal qui essaie de s’affranchir des dominations seigneuriales. Au fil du temps, il y aura une diversification au sein même de la bourgeoisie : marchands-bourgeois, bourgeoisie d’office (c’est-à-dire exerçant des charges politiques), volonté chez certains d’accéder à la noblesse.

Xavier de Montclos, qui s’intéresse principalement à l’ « ancienne bourgeoisie » (c’est-à-dire à celle qui existait sous l’Ancien régime et a perduré au XIXe et XXe siècle), insiste sur l’importance de l’éducation – avec l’apparition du collège au XVIe siècle – dans la constitution de cette bourgeoisie et la transmission de ses valeurs. Dans le chapitre consacré aux XVIIIe-XIXe siècles il explique, à l’encontre d’une image encore largement répandue, que les bourgeois n’ont pas été les artisans de la Révolution où ils auraient été, en leur globalité, les fossoyeurs de la noblesse. « Sous la Révolution, écrit X. de Montclos, l’ancienne bourgeoisie, dont une partie a accédé à la noblesse de robe, est restée très majoritairement fidèle à l’Eglise et à la religion ». Les bourgeois, en leur plus grand nombre, ont été « participants de ce catholicisme actif que l’on observe à la veille de la Révolution dans les associations de laïcs et de prêtres qui poursuivent la tradition dévote du XVIIIe siècle » et « ces bourgeois, sous la Révolution, cachent des prêtres réfractaires, donnent leurs appartements pour que s’y déroulent des cérémonies religieuses clandestines ».

L’effondrement de la bourgeoisie ?

 

Xavier de Montclos, qui a consacré plusieurs travaux à l’histoire de Lyon note que, dans cette ville, la bourgeoisie du grand négoce et la noblesse d’échevinage, qui ont participé à l’insurrection de Lyon contre la Convention en 1793, sont largement présentes dans les organisations qui symbolisent le renouveau religieux du début du XIXe siècle. A Lyon comme à Paris, ils sont très actifs aussi dans le développement du catholicisme social (antilibéral autant qu’antisocialiste). On les retrouve encore dans les zouaves pontificaux qui viennent au secours de Pie IX dans les années 1860.

Xavier de Montclos n’évite pas les clichés et quelques erreurs (p. 50, p. 89) quand il évoque l’Action française. Mais on doit relever l’intérêt des riches « Notices familiales », lyonnaises ou parisiennes, qui terminent l’ouvrage et sont comme l’illustration concrète des démonstrations de l’auteur. On pourrait prolonger les exemples, à travers des dynasties bourgeoises de Bordeaux, de Toulouse, de Nantes ou du Nord.

Plus que conservatisme égoïste la bourgeoisie, comme groupe social, a été transmission (patrimoniale, culturelle, morale, religieuse). Faut-il en parler au passé ? La réponse ne peut sans doute pas encore être donnée.

L’historien René Rémond avait observé, quant à la tradition et à l’abandon des usages, « un renversement des perspectives et presque de valeurs » à partir des années 1950. Mais il avait du mal à l’expliquer, sinon à y voir l’ouverture au « grand vent de la modernité ». X. de Montclos constate, lui aussi, à propos de la famille, que « le modèle séculaire que l’ancienne bourgeoisie avait placé au premier rang de ses valeurs sociales et religieuses se désagrège ».

L’ampleur et le succès des « Manifs pour tous », en 2013 et 2014, ne sont peut-être pas un démenti à cette tendance, parce que ces manifestations ont contenu trop de non-dits.

Xavier de Montclos, L’ancienne bourgeoisie en France, Picard, 150 pages.

Lu dans Présent

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