Genevieve Dormann, la petite sœur des hussards

Par Francis Bergeron

Auteur de nombreux romans à grand succès comme La Fanfaronne (1959), Le Chemin des dames (1964), La Passion selon Saint Jules (1967), Je t’apporterai des orages (1971), Le Bateau du courrier (1974), Mickey l’ange (1980), Le Bal du dodo (1989), La Petite Main (1995), d’ouvrages sur Apollinaire, Colette ou… le point de croix, engagée (à droite), proclamant haut et fort ses opinions royalistes, Geneviève Dormann est décédée le 13 février, à l’âge de 81 ans.

L’année 2000, dans mes souvenirs, est étroitement associée à Geneviève Dormann. Tout avait commencé par un courrier : un courrier de cet écrivain à succès envoyé à l’Association des Amis d’Henri Béraud dont je m’occupais (et dont je m’occupe toujours). Dans ce courrier, Geneviève Dormann expliquait son admiration pour l’écrivain Henri Béraud, un auteur qu’elle avait découvert grâce à son ami, le fameux critique littéraire Kléber Haedens.

Notre association littéraire des amis de Béraud avait eu quelques ennuis avec le maire de Saint-Clément-des-Baleines (île de Ré), où avait vécu et où est enterré Béraud. Et Geneviève Dormann offrait tout simplement ses services pour monter un canular destiné à ridiculiser ce maire sectaire et inculte.

J’ignorais que Geneviève était une spécialiste des canulars, qu’elle s’amusait par exemple à financer des gerbes au nom du président de la République, qu’elle faisait déposer nuitamment sur la tombe du maréchal Pétain, sur l’île d’Yeu.

Avec ses amis Nimier et Blondin, elle en avait fait bien d’autres ! Mais elle avait elle-même été parfois la victime des farces de ses camarades. C’est ainsi qu’à la parution de son roman presque autobiographique La Fanfaronne elle avait reçu, à sa plus grande joie, des lettres et télégrammes de félicitation de Gallimard, de Montherlant, tandis que les plus grands directeurs de journaux réclamaient sa collaboration. Mais toutes ces lettres avaient été écrites… par Roger Nimier ! Quelle méchante farce ! La toute jeune Geneviève en avait pleuré.

Mais quelle triste farce aussi, peu après, que la mort de Nimier, dans un accident de voiture, à 36 ans, au côté d’une jeune femme blonde. Tout le monde pensa, pendant quelques heures, que c’était Geneviève Dormann qui avait perdu la vie à ses côtés, alors qu’il s’agissait de Sunsiaré de Larcôme.

A la fin des années cinquante, Geneviève Dormann est une jeune femme très jolie, très piquante. Les photos de l’époque nous montrent une blonde aux cheveux taillés court, fine, de taille moyenne. Son charme est très particulier et repose sans doute d’abord sur ses grands yeux et son large sourire qui révèle une rangée de dents bien plantées.

Geneviève rêvait de devenir écrivain. Quand parait La Fanfaronne, Roger Nimier la rencontre et publie un grand article dans l’hebdomadaire de Jacques Laurent, Arts. Et voici la jolie blonde lancée dans le Tout-Paris littéraire.

Croiser la route de Nimier, c’était croiser celle d’Antoine Blondin et de toute l’impertinente bande des hussards. Désormais, Geneviève et Nimier ne se quittent plus. Cela signifie que Geneviève ne quitte plus Blondin non plus. Le trio vit essentiellement la nuit, de bistrot en bistrot. Et la fête ne s’arrête que quand Blondin devient intransportable.

Geneviève et Antoine collaborent au même hebdomadaire, Candide, que dirige Gilbert Guilleminault. Mais Blondin n’est pas sérieux : il pisse dans les cendriers, parcourt les couloirs du journal en dessinant avec son urine de grands 8. « J’ai toujours rêvé d’être chef de gare », explique-t-il aux témoins ahuris. Il imitait en effet les employés de gare de son enfance, qui arrosaient les quais en faisant des 8, pour éviter les envolées de poussière, au départ et à l’arrivée des trains.

Une autre fois, Nimier emmène Geneviève Dormann et Blondin déjeuner chez Florence Gould. A ce repas assistaient Jouhandeau et son épouse, Marcel Aymé, qui, comme à son habitude, ne disait pas un mot, et Louise de Villemorin, qui se laissait aller sur l’épaule de Nimier. Soudain Blondin commence à s’agiter. Il prend les convives à témoin et, parlant de leur hôtesse, Florence Gould, s’écrit : « Cette s… veut nous empoisonner. Elle a pris un autre menu que celui qu’elle nous a servi ! »

Autre scandale au cours de ce même repas (ou à un autre) : Blondin prend à partie Jouhandeau, s’indignant que « ce vieux pédé » ait été invité en même temps que lui.

Pour sa part, invitée à une émission de télévision, Geneviève Dormann s’y présente habillée en… pirate !

Comme l’écrit Dominique Jamet sur Boulevard Voltaire, Geneviève Dormann cherchait à imiter ses idoles « jusque dans leurs travers ». Son franc-parler, ses idées politiques (elle s’était fait tatouer une fleur de lys sur l’épaule et adorait la montrer, depuis qu’elle s’était fait refaire la poitrine), ses sautes d’humeur, pouvaient lui valoir quelques inimitiés. Il suffit de lire l’article au vinaigre que lui consacre Josyane Savigneau dans Le Monde de samedi.

Mais de Jean Dutourd à Jean des Cars, elle avait aussi ses réseaux d’amis fidèles et d’admirateurs. J’en faisais partie, et j’avais poursuivi Geneviève Dormann de mes assiduités (toutes littéraires), de son appartement de Poitiers jusqu’à son refuge de l’Île d’Yeu. Car je m’étais mis en tête de publier une biographie de cet écrivain. J’ai enregistré à cet effet des heures et des heures d’interview.

Mais après la lecture de mon travail, Geneviève Dormann n’en avait pas souhaité la publication. Du moins à ce moment là. Lire noir sur blanc tout ce qu’elle avait raconté : ses petites rosseries à l’égard de quelques figures du monde littéraire (Pierre Assouline ne l’avait pas surnommée « Doberman » pour rien, quand même !), toutes ces anecdotes jaillies de sa mémoire, ses relations, adolescente, avec sa famille, ce père héros de la guerre de 14, amputé, député et ministre, sa vie sentimentale, aussi, si agitée, avec son premier mari, le peintre Philippe Lejeune, avec son second mari, le futur académicien Jean-Loup Dabadie, ses rencontres, ses amitiés, avec le journaliste Jean-Marc Kalflèche, avec le couple Haedens, Caroline et Kléber, avec la bande des « grosses têtes » et Kersauson, cela n’avait peut-être plus le même goût. L’ouvrage est donc resté dans un tiroir, et il le restera, à moins qu’un éditeur…

Mais le talent et le panache de Geneviève Dormann, aussi, resteront. Et plusieurs des livres de ce hussard en jupons : Le Roman de Sophie Trébuchet (1983), Amoureuse Colette (1984) peuvent être considérés comme de vrais classiques. C’est sans doute ce qui lui aurait fait le plus plaisir.

« Anticommuniste, anticonformiste, antiféministe, anti… beaucoup de choses ! Elle a en elle une inépuisable capacité de refus »
Pierre Assouline
« Les hussards, c’étaient ses dieux, et elle ne cessait de maudire le hasard qui l’avait fait naître trop tard, dans un monde trop vieux (…) – Nimier, Laurent, Blondin, Déon – dans la compagnie desquels elle aurait tant aimé être le cinquième mousquetaire. Fumant comme un sapeur, buvant comme un Polonais, jurant comme un cuirassier de la belle voix rauque et sensuelle que le tabac fait à certaines femmes, elle imitait ces modèles jusque dans leurs travers. »

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