On ne peut pas décréter la croissance

Tribune libre de Patrick Simon*

Pendant la campagne électorale présidentielle un débat s’est instauré et s’est maintenu : croissance ou austérité ?

C’est un peu comme si vous demandiez à un enfant : steak frites ou huile de foie de morue, spaghetti sauce tomate ou sirop de ricin ? Ou si l’on vous proposait : préférez-vous gagner plus d’argent en produisant plus ou réduire vos dépenses en produisant moins ? La réponse semble aller de soi, à moins d’être un adepte du père fouettard.

Comment peut-on poser des questions aussi stupides ? C’est pourtant ce que le nouveau président de la République, François Hollande, a fait lorsqu’il a déclaré qu’il n’accepterait pas le traité européen qui a été conclu sur les efforts de stabilité financière et de réduction des dépenses publiques si n’y étaient pas introduit des dispositions sur la croissance. C’est la pensée magique : il suffit d’articuler un mot pour que, par une sorte de tour de prestidigitation, le lapin sorte du chapeau et la croissance reprenne.

Ce sont là des vœux pieux, les anglais disent « wishful thinking ». Mais, comme il faut bien proposer des solutions pour qu’elle vienne cette croissance que l’on invoque rituellement et magiquement, voyons quelles préconisations sont faites et quelle politique va être menée par la nouvelle équipe dans cette perspective.

Ils veulent créer 60 000 postes de fonctionnaires dans l’Education nationale qui seront recrutés pour l’essentiel parmi ceux qui auront raté le Capes et autres concours, au niveau pourtant déjà très bas, c’est-à-dire parmi les plus médiocres. Ces gens en percevant leur traitement pourront augmenter la demande, nous laisse-t-on entendre.

Il s’agit aussi de bloquer le prix de l’essence et le prix des loyers en cas de première location. Cela permettra d’augmenter le pouvoir d’achat : plus de rémunération et moins de dépenses pour chacun. La demande, sera, disent-ils, stimulée.

Il s’agit de revenir à la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler à 18 ans, d’arrêter la règle visant à réduire le nombre des fonctionnaires en n’en remplaçant qu’un sur deux partant à la retraite, et d’augmenter toute une série de dépenses publiques, par exemple l’allocation de rentrée scolaire dont on parle beaucoup en ce moment.

En dehors des dépenses publiques, il y aura aussi un relèvement substantiel du niveau du SMIC. Cette mesure a pour objectif d’apporter une meilleure rémunération à ceux qui sont au bas de l’échelle et qui de ce fait auront plus de pouvoir d’achat et pourront dépenser plus, ce qui relancera la demande. Mais on oublie ici qu’une telle mesure aura pour conséquence d’augmenter le coût du travail, donc de peser sur la compétitivité des entreprises, et qu’elle entraînera inévitablement une montée du chômage. Comme d’habitude ce sont les moins qualifiés, les moins instruits, les moins capables, bref ceux dont le meilleur argument est qu’ils coûtent moins cher que les autres, ce sont ceux-là qui pâtiront de cette belle mesure, aussi généreuse que démagogique car son premier effet sera d’éliminer les plus faibles tout en tassant les salaires plus élevés qui, eux, n’augmenteront pas.

Cet effet de massification des salaires a caractérisé les gestions socialistes et continuera de le faire. L’augmentation du chômage les caractérise aussi. C’est logique : plus on renchérit le coût du travail, plus on distribue des avantages dits « sociaux » et que l’on devrait qualifier d’antisociaux, plus on dissuade l’emploi. Il est clair que le retour de la croissance ne viendra pas avec de telles mesures qui l’inhiberont encore davantage au contraire.

Parmi les mesures prévues par le programme Hollande figure, bien sûr, l’augmentation des impôts et taxes. C’est une constante chez les socialistes : pour redresser un pays on prélève davantage. Le résultat est toujours le même. Plus on prélève, moins l’activité économique est stimulée car on ampute ainsi le pouvoir d’achat des gens, ce qui est contradictoire avec l’objectif précédent.

Je prendrai une image : l’endettement de l’Etat, la dette, représente un trou ; pour boucher ce trou, pour rembourser, on va en faire un autre à côté dans la matière économique, mais à force de faire des trous on risque d’avoir un gruyère et c’est justement ce qui effraie les marchés. Quand la matière « imposable » comme ils disent, se rétrécit ou disparaît, on ne peut plus emprunter sur les marchés. En d’autres termes les mesures du programme Hollande sont incompatibles avec le retour de la croissance.

Elles sont en outre fondées sur une illusion : la croissance ne viendra pas de la demande pour une raison fort simple. On ne dépense pas de l’argent qu’on n’a pas puisqu’il vous est prélevé (en cas d’augmentation des impôts) ou même qui vous est donné par redistribution. Car si c’est un jeu à somme nulle, si l’on retire à l’un pour donner à l’autre, c’est de la monnaie de singe et la confiance n’est pas au rendez-vous. Ce n’est pas cela, la croissance.

La croissance, c’est la création de richesse, l’addition. Elle ne peut s’obtenir que d’une seule et unique manière : stimuler l’offre, ce que l’on appelle une politique de l’offre. C’est ce que Reagan et Thatcher ont fait autrefois (et le chômage est tombé à 5 % dans ces pays). C’est ce que Aznar a fait plus tard en Espagne (et il est tombé à 8 %, regardez ce qu’il est aujourd’hui dans ce même pays). C’est ce que Sarkozy a commencé à faire en 2007 avec la loi Tepa mais la crise de 2008 est malheureusement arrivée et a tout compromis. C’est ce que Mario Monti tente de faire actuellement en Italie.

Posons donc la question : quelles mesures pourraient aller dans ce sens ? Des réformes de structure qui introduiraient de la souplesse dans notre économie trop rigide. L’assouplissement du marché du travail et de la législation sociale (les socialistes font le contraire), l’abaissement des prélèvements, impôts et dépenses publiques qui pèsent sur les gens productifs (les socialistes font le contraire), le droit de déroger, d’innover, d’expérimenter par rapport à la législation impérative (les socialistes font le contraire).

Pour ne pas être trop abstrait, je vous donne une illustration de ce qu’est la croissance : quand Steve Jobs invente l’Ipad ou l’Iphone ou Bill Gates l’ordinateur de proche, il crée un nouveau service; quand on a inventé le téléphone portable, on a créé un nouveau service qui permet d’éviter d’autres dépenses de transport, de correspondance, de temps, bref qui enrichit le monde entier – surtout les personnes vivant dans les pays sous développés lesquelles ont peu de téléphones fixes. Cette invention a amélioré leur situation. Quand un français, dont j’ai oublié le nom, a inventé la carte à puce, c’est la même chose.

C’est cela la croissance : permettre aux créateurs de richesse d’œuvrer sans être spoliés par l’impôt, inhibés par la réglementation, dissuadés par l’absence de concurrence.

Pourquoi y a-t-il de la croissance ailleurs que dans notre vieille Europe et pas dans notre vieille Europe ? Parce qu’il y a chez nous trop d’impôts qui spolient, trop de réglementations qui inhibent, trop de monopoles qui dissuadent.

Le jour où nous réduirons ces trois contraintes, ces trois poids, alors vous verrez la croissance reviendra. Mais on ne peut compter sur François Hollande pour le faire. Ce serait comme demander à chat d’aboyer.

*Patrick Simon est avocat, spécialisé en droit maritime. Diplômé en droit international de l’université de Cambridge, il a enseigné à l’Université de Nanterre. Il s’intéresse aux connexions étroites entre libéralisme et christianisme (plus particulièrement, le catholicisme). Il a reçu le Prix renaissance de l’économie en 2001.

Cet article est publié en partenariat avec l’Institut Turgot.

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