Cet autre Cousteau…

Voilà une couverture qui ne manque pas d’intriguer : un livre de Jean-Pierre Cousteau sur Pierre-Antoine Cousteau, qualifié de « l’autre Cousteau ». Dit d’une autre façon, il s’agit d’une biographie écrite par le fils de Pierre-Antoine Cousteau sur ce frère maudit du célèbre commandant Cousteau, explorateur des océans et membre de l’Académie française. Ce grand frère du commandant, Pierre-Antoine, a lui aussi laissé un nom dans les belles-lettres, mais comme journaliste de combat et comme polémiste.

Dans ce genre de spécialités, on se fait, bien sûr, moins de relations qu’en publiant des récits de voyage. Surtout quand les journaux d’élection se nomment Je suis partout, Rivarol ou Lectures françaises. Dans Le Crapouillot de l’été 1973 consacré aux pamphlétaires, sur celui que ses amis appelaient PAC, emporté par la maladie en 1958, à 52 ans, il est noté que « Pierre-Antoine Cousteau constitue sans doute un cas unique dans les annales du pamphlet français » car, dans ses écrits, « c’est l’humour britannique qui domine, un humour au second degré, sec et glacé ».

Après un passage au quotidien Le Journal, son style clair et incisif, ses traits d’esprit, le font remarquer par Pierre Gaxotte qui, au printemps 1932, lui ouvre les portes de Je suis partout (JSP). Si après Munich, en 1938, JSP perdure dans sa prise à partie des « bellicistes », les pacifistes inconsidérés ne sont pas épargnés. PAC traite le ministre Etienne Flandin de « sinistre imbécile » pour avoir télégraphié des félicitations à Hitler : « On n’apaise pas l’Allemagne par des télégrammes de félicitation. On l’apaise en étant fort. » A la déclaration de guerre, le brigadier Cousteau est rappelé, l’occasion pour lui de se moquer des correspondants de guerre qui obtiennent la « croix de guerre avec plumes ». Fait prisonnier, libéré en 1941, va-t-il rejoindre Londres comme le lui conseille son père ? Il choisit, selon sa propre expression, la fidélité à Je suis partout ; il s’agit d’appuyer l’Allemagne contre le bolchevisme. Quatre ans durant, ses articles se succéderont à un rythme effréné. Galtier-Boissière le qualifiera de « plus grand journaliste de l’Occupation ». Le tout sur fond de guerre civile.

Parfois, il se prend à rêver d’une réconciliation entre extrémistes de la collaboration et durs du gaullisme : « L’idéal – je reconnais que c’est de la poésie – serait de refaire la France avec les ultras des deux partis. » La réalité ? Arrêté en Allemagne, il est mis en liberté provisoire à condition de donner sa parole de ne pas s’évader. Se doutant du sort qui l’attend, il tiendra malgré tout à la respecter. Lors de son procès, il n’y eut pas de témoins à charge. On retiendra la déclaration du communiste Jacques Yonnet : « Je l’ai connu en tant qu’ennemi politique en 1936 puis, évadé, pendant l’Occupation, nous nous sommes vus quatre ou cinq fois. Non seulement il ne m’a pas dénoncé, moi et mon réseau mais, très franchement, il me donnait ses opinions. Il a toujours joué franc jeu. C’était un ennemi loyal. Je lui conserve la même estime qu’il avait pour des gens d’en face. C’était un homme d’honneur. » (Yonnet sera illico exclu du PCF et traité dans L’Humanité « d’espion hitléro-trotskiste ».)

Cela n’empêcha pas la condamnation à mort, en novembre 1944 ; gracié cinq mois plus tard, il fut libéré en 1954. Son confrère l’écrivain et résistant Jacques Perret aura cette remarque : « C’est un affreux fasciste, mais j’ai un faible pour les incorrigibles de son espèce. »

Jean-Pierre Cousteau tient à préciser que sa biographie ne se veut pas « universitaire ». Sa démarche est autre ; elle est basée sur l’impressionnante correspondance que PAC entretenait avec sa famille. Il s’en suit que certaines parties sont plus développées que d’autres. Ainsi, concernant les neuf années d’emprisonnement (à Fresnes, Clairvaux et Eysses) de Pierre-Antoine, l’auteur a disposé des sept cent une lettres écrites à sa femme Fernande et miraculeusement sauvegardées.

Ce sont ces lettres qui nous livrent ce qu’il faisait, lisait, écrivait, pensait. S’il accroche Céline pour avoir renié ses « vieilles idées », il est intéressant de voir comment il le juge du point de vue littéraire. Citons : « Je n’arrive pas à finir Mort à crédit. Pourtant je veux aller jusqu’au bout. Mais je me sens envahi par une immense nostalgie de la phrase fignolée, des termes rares et gracieux, de la syntaxe élégante, je me sens envahi par le dégout de l’argot et de la vulgarité, et pour un peu je jurerais de ne plus jamais employer un seul mot de la langue verte. » Car PAC n’hésite jamais à exprimer avec fougue ses dégoûts comme ses enthousiasmes.

Jean-Pierre Cousteau, Pierre-Antoine l’autre Cousteau, Via Romana, 390 pages, 24 euros.

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Philippe Vilgier – Présent

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