L’ère des faussaires!

L’actualité culturelle à Paris ? D’abord, bien sûr, l’arrêt brutal au théâtre de l’Atelier des représentations d’Hôtel Europe, la dernière pièce, réduite à un monologue moitrinaire, de Bernard-Henri Lévy que, une décade après son prédécesseur Nicolas Sarkozy et cornaqué par sa nouvelle conseillère à la culture Audrey Azoulay, François Hollande s’était pourtant fait un devoir d’aller applaudir – une double onction présidentielle qui n’aura donc servi de rien. Ensuite le procès d’un galeriste californien qui, ayant acheté des moulages en plâtre de sculptures de Rodin, en avait fait tirer à Vicence (Italie) des copies en bronze sur lesquelles il n’hésitait pas à faire apposer la marque de Rudier, le fondeur habituel du grand sculpteur français, et même, parfois, la signature de celui-ci. Ainsi auraient été écoulées près de deux mille contrefaçons, dont Le Penseur, Eve ou L’homme qui marche, vendues au prix fort à des amateurs états-uniens ou canadiens qu’on n’ose dire éclairés. Ce qui pourrait valoir à l’industrieux Gary Snell, qui faisait également de la retape en France via le site Rodin-art.com, huit mois de prison avec sursis et 30 000 euros d’amende (jugement le 20 novembre).

Le « nouveau Christie » ? Une escroquerie
On le sait, le marché de l’art regorge de faisans, mais que dirait-on de l’héritier d’un peintre illustre qui vendrait pour des toiles authentiques les croûtes d’un tâcheron ? Ce que, toutes choses égales, vient de faire Mathew Prichard, petit-fils très abusif de la « Duchesse de la mort ».

Si, en France, la couverture du « nouveau Poirot » publié comme les précédents par Le Masque sous le titre Meurtres en majuscules conserve une certaine décence, l’édition américaine que j’ai en mains, intitulée The Monogram Murders et sortie des presses de William Morrow/HarperCollins, constitue une véritable escroquerie, le nom d’Agatha Christie occupant la moitié de la page, comme si elle en était l’auteur. Or, rien de moins christien que cet opus interminable et macaronique, au postulat invraisemblable (la sanguinaire vengeance de deux femmes, toutes deux amoureuses d’un jeune pasteur acculé au suicide, s’unissant seize ans plus tard pour punir les responsables) et à l’énigme si inutilement alambiquée que l’exposé de la solution exige cinquante-huit pages.

L’écrivaine — c’est pour le coup que s’impose ce néologisme — Sophie Hannah, complice de Prichard dans cet attentat contre l’Indétrônable, se dit « fan d’Agatha Christie ». L’a-t-elle jamais lue et, d’ailleurs, sait-elle lire ? Les dialogues, dont Christie maîtrisait si bien l’art, ce qui explique d’ailleurs le succès de ses pièces, laissent place ici à de soporifiques monologues. De même chercherait-on en vain trace du délicieux humour anglais dont l’Impératrice du crime parsemait ses romans. Certes, Hannah adjoint à Poirot un comparse mais cet inspecteur de Scotland Yard n’est qu’un ectoplasme.

Quant à Poirot lui-même, calamitas ! Ce n’est qu’une figurine en carton-pâte, s’exprimant dans un français maladroitement traduit en anglais alors que, depuis La Mystérieuse Affaire de Styles, sa créatrice avait fait évoluer le détective belge qui, au fil des romans, pratiquait un anglais de plus en plus coulant. Bien entendu, Ms Hannah, qui ne doit connaître de Poirot que les séries télévisées, le fait s’exprimer à la troisième personne, ce qu’il ne fait jamais dans les livres. Et imagine-t-on le cher Hercule, si respectueux des bons usages, s’exclamant en 1929 – date à laquelle les Monogram Murders sont censés se dérouler – que ce thé est « dégueulasse », en français dans le texte ?

Je ne prétends pas être une experte en christiologie mais, pour les besoins de mon « Qui suis-je ? » sur Agatha (1), je m’étais replongée, avec bonheur, dans son univers et dans son abondante production. Je n’ai retrouvé dans le pavé de Mme Hannah ni sa faculté de donner chair à ses personnages, ni la fluidité de sa langue, ni le plaisir d’écrire si perceptible dans ses romans.

Alors, à lire, Meurtres en majuscule ? Non, à fuir !

Molière pour les nuls
Comme on fuira les pièces de « Molière mis à jour » – Le Malade imaginaire devenu La Grande Nouvelle et Le Tartuffe nouveau – devant lesquelles L’Express s’extasiait le 10 septembre, saluant l’admirable « travail du tandem Philippe Adrien et Jean-Louis Bauer » et de Jean-Pierre Pélaez, un « familier de l’OuLiPo ». S’étant demandé ce que Molière « écrirait aujourd’hui » pour se faire entendre des jeunes – et surtout des Jeunes des cités –, les lascars ont procédé à une « refonte totale » des personnages (Béline, la femme du faux malade Argan, est devenue un transsexuel, quelle audace !) et de leur environnement, et à une « récriture » des textes, éventuellement en alexandrins. Ce qui avait été fait (et dès 1942) par Edmond Brua dans sa Parodie du Cid, en dialecte pataouète du petit peuple d’Alger…

L’objectif du mouvement OuLiPo était de produire de « nouvelles structures destinées à encourager la création ». Or les initiatives tant vantées par L’Express traduisent simplement la stérilité de nos contemporains qui, incapables de créer, tripatouillent. Quand Molière, justement, voulait donner « une nouvelle jeunesse » au Burlador de Sevilla, il ne se contentait pas de traduire Tirso de Molina mais écrivait Dom Juan ou le Festin de pierre. Quand, avant lui, Corneille s’était passionné pour Las Mocedades del Cid, il n’avait pas mis Guillèn de Castro à la sauce des Précieuses, il avait écrit « son » Cid. De même l’Antigone d’Anouilh est-elle, dans la forme et le fond, une création totale, très éloignée de la tragédie de Sophocle. Aucune tromperie sur la marchandise.

Mais nous vivons le temps du fric et du toc.  Aux armes citoyens !

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(1) Ed. Pardès, 128 pages, 12 euros.

Lu dans Présent

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