Un Américain à Paris

L’ex-homme d’affaires et amateur d’art, Robert Rubin, président la Fondation Centre Pompidou, ne mâche pas ses mots concernant la gestion du Centre (1).

« La direction a payé très cher le rédacteur en chef de la revue Beaux-Arts pour qu’il soit co-commissaire de l’exposition ‘Paris-Delhi-Bombay’ en 2011. Outre l’insulte aux conservateurs du Centre, l’exposition était médiocre, le nombre d’entrées peu significatif, et elle a coûté 2 à 3 fois le prix d’une exposition normale ». Néanmoins, « c’est en France que je trouve des passionnés qui aiment les œuvres sans évoquer leur coût. Mais tout cela est menacé ».

Pourquoi ? Cet Américain est fort lucide sur nos lubies : « On demande aux lieux culturels de s’inspirer du modèle américain, de trouver de l’argent, mais sans avoir encore ni les armes, ni la mentalité, ni la culture pour y arriver. » De plus, l’État ne donne pas l’exemple aux collectionneurs qui sont, aux USA, « fiscalement encouragés à donner ». « Là encore, je ne vois pas l’État français prendre ce chemin ». À la suite de l’opération Louvre/Abou Dhabi, quand l’État intime à d’autres musées (y compris au centre Pompidou ) de faire de même, il est injuste, conclut Robert Rubin, car « aucun autre musée que le Louvre ne pourrait refaire cette opération ».

Rubin s’étonne que le centre Pompidou lui ait demandé de trouver une œuvre de Jeff Koons : « C’est incroyable, il n’y en a aucune dans les collections ». En 2008, on a donné à Koons, dit-il, « les clefs de Versailles, on lui a fait une publicité énorme, son principal collectionneur américain, Eli Broad, était impliqué dans l’exposition, François Pinault, son collectionneur français aussi, et le monde muséal français n’en a pas profité pour lui demander quelque chose en retour » ! C’est sûr, on n’est pas doué, quoique j’en connais qui se consoleront facilement de la carence en Koons.

Pour chercher du mécénat, les Français s’y prendraient donc mal : les historiens ou conservateurs ne sont pas formés à cela. Or « ce sont les professeurs réputés qui séduisent les grands donateurs », car ces derniers « se fichent des gestionnaires ». Il est donc capital que les responsables d’un musée soient des conservateurs, « c’est le cas dans les musées américains » où ils ont autorité sur l’action et la programmation. En France, « curiosité française », dit Rubin, le pouvoir « place des conseillers à des postes où ils sont peu légitimes ». Or « les personnes parachutées ne se contentent pas de gérer mais interviennent sur les questions de fond : choisir les expositions, attribuer l’argent, commenter… Autant de responsabilités qui, j’insiste, devraient être assumées par un conservateur ».

Conclusion à méditer : « Il est plus facile à un conservateur d’apprendre la gestion qu’à un gestionnaire d’apprendre l’art ». Et c’est un Américain, ex-homme d’affaires, qui le dit !

> Le blog de Christine Sourgins

1. Le Monde du 25 février 2012, page 2.

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