Entretien avec Philippe Mesnard, rédacteur en chef de l’Action Française

L’Action Française a publié un communiqué appelant à voter lors des prochaines élections présidentielles. Mais le choix des candidats soutenus semble pour le moins éclectique. Ils sont au nombre de quatre : Asselineau, Dupont-Aignan, Le Pen et Mélenchon. Comment ne pas interroger Philippe Mesnard, rédacteur en chef, sur cette position que l’on peut qualifier de surprenante ?

On note déjà que « tous les moyens même légaux » sont utilisables pour vous, selon le mot de Maurras. Première étape : on ne doit pas s’abstenir ?

— Pas obligatoirement : le Comte de Chambord prônait, dans son manifeste de 1871, « le suffrage universel honnêtement pratiqué ». Est-il légitime d’élire le chef de la nation ? On aimerait que l’abstention ou le vote blanc soient reconnus, entrent en ligne de compte pour désigner le chef ou constater l’échec de la consultation… En l’état actuel des choses, s’abstenir, c’est tenter le pire. Nous considérons qu’un patriote doit voter.

J’ose espérer que les candidats que vous soutenez sont présentés par ordre alphabétique plutôt que par ordre de préférence ?

— La liste n’est qu’alphabétique ! Notre consigne de vote ne signifie pas que les quatre candidats, ou leurs programmes, ont une égale valeur à nos yeux, mais que le critère de la souveraineté, et donc du Frexit, nous paraît aujourd’hui (et depuis 1992) le point déterminant. Et cette victoire d’intérêt national n’appartient à aucun parti.

Ne pensez-vous pas que vous brouillez les pistes en les présentant tous les quatre en ne prenant que l’angle du Frexit ? S’ils veulent tous les quatre sortir de l’Europe (j’en doute pour Mélenchon), ils ne veulent pas le faire du tout de la même façon ?

— Chacun a sa manière, mais on manque de détails. Notre colloque « La République contre le Peuple », en février 2017, allait plus loin pour imaginer le Frexit. Sinon, oui, le seul angle du Frexit est insuffisant. Une fois posé le critère premier de la sortie de l’Union européenne, tous les autres critères de choix, seconds, restent valables. Je ne crois donc pas qu’il y a lieu de s’alarmer de la bolchévisation de l’Action française : la piste est assez tracée depuis un siècle.

Sortir de l’UE est une chose, mais si l’on garde la même politique migratoire, cela n’est-il pas vain ?

— La question migratoire est centrale – avec celles de l’éducation, de l’intégration, du centralisme… Mais l’Union européenne sert de paravent à la caste dirigeante française et à son multiculturalisme idéologique. Caste qui instrumentalise notre appartenance à l’UE pour promouvoir un mondialisme économique et culturel et va jusqu’à ne pas se servir de tout ce que les traités permettent aux nations. On voit bien ce que l’Allemagne et la Pologne font des accords de Dublin (dans deux sens diamétralement opposés) : si les dirigeants français le voulaient, Schengen et Dublin ne seraient pas aussi contraignants. Le Frexit n’est pas en soi l’enjeu politique essentiel, mais il est le moyen absolument nécessaire pour sortir du jeu mortel que joue l’oligarchie. Cette campagne en est l’occasion.

Asselineau, votre premier candidat possible, se garde bien d’évoquer le danger islamiste et l’immigration-invasion. Or vous avez consacré des pages, et même un dossier si je me souviens bien, à ces sujets essentiels. Cela ne vous gêne-t-il pas ?

— Aucun candidat n’est totalement satisfaisant au regard du bien commun de la France, qui est l’objectif de l’Action française. Chaque candidat a ainsi sa mesure phare qu’il martèle, ou sa promesse de changement lié à sa seule personne. Quand on analyse les programmes, on est frappé par le curieux mélange d’intelligence, de bon sens, d’idéologie et de chimère qu’ils recèlent, tous. Ce que nous privilégions, ici, c’est recouvrer la souveraineté de la France, le bien commun aujourd’hui le plus nécessaire.

— Quant à Mélenchon, n’est-il pas pour l’ouverture des frontières ?

— En 2016, il était plutôt pour leur fermeture, au motif que la France ne pouvait pas bien accueillir les immigrés. Il vient de rappeler à Marseille que « l’émigration est toujours un exil forcé, une souffrance ». Cela dit, on voit bien ce qui le sépare de Marine Le Pen sur cette question (entre autres !). Mélenchon est un souverainiste de raison qui réclame de sortir de l’UE, ce qui est bien ; c’est aussi un communiste, un bolivarien, avec des positions dangereuses en économie et scandaleuses sur des questions comme l’avortement et la PMA, ce qui est mal.

— N’est-ce pas une sorte de snobisme d’inclure dans votre liste un candidat d’extrême gauche ? Chercheriez-vous une sorte de dédiabolisation ?

— Si nous avions vraiment voulu être snobs, nous aurions inclus Cheminade ; et laissons le diable à ceux qui érigent les médias en moralistes. Nous avons tous noté qu’au clivage droite/gauche s’ajoutait (plus qu’il ne s’y substitue) un clivage nationalistes/mondialistes, qui renvoie à la question taraudante de l’identité française. Le compromis nationaliste nous incline à privilégier ceux qui pensent que la France doit exister et non pas se dissoudre. Tel est le sens de notre appel.

— D’ailleurs Dupont-Aignan, sans doute lecteur de l’Action Française, vient de déclarer qu’il était prêt à s’allier avec le front de Gauche et Jean-Luc Mélenchon « si c’est pour sauver la France ». Qu’en dites-vous ?

— Voilà un candidat qui a bien compris la hiérarchie des urgences. On peut toujours s’interroger sur le lendemain et le possible marché de dupes, mais il faut d’abord redéfinir le cadre d’action.

— Enfin, offrant un contrepoint amusant à votre communiqué, le Comte de Paris vient d’appeler à voter Fillon par un tweet… Quelle est votre réaction ?

— Le Comte de Paris a fait son analyse, que son seul « touite » ne me permet pas de commenter. Je serais très heureux qu’il accepte un entretien dans l’Action Française 2000 pour que nous puissions confronter nos points de vue !

Propos recueillis par Anne Le Pape pour Présent

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