« Le Québécois du XXIe siècle se coupe de ses racines »

 

Rencontre avec Rémi Tremblay

La Fédération des Québécois de souche se présente comme « un réseau d’hommes et de femmes, Québécois de souche, partisans du principe de l’union sacrée entre une terre et son peuple ». Outre l’animation de son site internet, la FQS publie une revue papier, Le Harfang, pour laquelle notre dessinatrice Chard a fourni quelques dessins… A l’origine du Harfang, Rémi Tremblay. Il est FQS depuis 2011 et l’un des porte-parole de l’organisation. Il nous donne un aperçu du Québec version « pays réel ». – S.M.

harfang— Tout d’abord, pouvez-vous dresser un état des lieux rapide des forces politiques au Québec ?

— Avant toute chose, je crois qu’il est important de spécifier qu’au Québec nous vivons dans une monarchie de type britannique. Bref, chaque comté élit un député qui, lui, élira le Premier ministre. Donc, pas de proportionnelle ni d’élection du chef d’Etat. Cela crée évidemment des problèmes pour les petits partis qui, bien qu’ils reçoivent un certain pourcentage de votes, n’obtiendront pas de députés. Ce système, loin d’être parfait, explique pourquoi, aux élections du printemps, le Parti libéral fut élu avec une majorité des sièges bien que seulement 18 % des Québécois en âge de voter l’aient fait pour eux.

Si les Français croient que le PS et l’UMP c’est du pareil au même, ils seront estomaqués de constater la similitude entre les trois grands partis au Québec. Nous avons le Parti libéral (centre gauche, fédéraliste), le Parti québécois (centre gauche souverainiste) et la Coalition Avenir Québec (centre gauche, autonomiste). Bref, au plan des idées, les trois partis ont un programme interchangeable. Ils s’entendent comme larrons en foire sur tous les sujets (immigration, justice, taxation, enjeux sociétaux…), sauf sur le statut du Québec au sein du Canada.

— Le Parti québécois n’est-il pas proche de la droite nationaliste ?

— Vu de l’étranger, peut-être, mais c’est une mauvaise perception. Le PQ est très semblable au Scottish National Party, un parti impossible à taxer de droite. Pour ce qui est de la droite, il n’existe qu’un parti libertarien (Parti conservateur), mais même ce parti ne fait que récolter quelques milliers de votes sans aucun espoir de faire élire un député.

Il existe également un parti de gauche extrême, semblable au Front de Gauche de Mélenchon, mais celui-ci est relativement marginal, avec seulement trois élus.

C’est dans la société civile que les groupes nationalistes sont plus actifs. Il existe une multitude de groupes défendant notre langue et certains groupes plus nationalistes mais, à l’exception de la Fédération des Québécois de souche, tous nient le volet ethnique de notre identité.

— Nous, Français, sommes mal renseignés sur la réalité de l’immigration au Québec. Quelle image avez-vous, de votre côté, de l’état actuel de la France ?

— Nous devons malheureusement dire que nous utilisons souvent la France comme un exemple de ce qui attend le Québec si nous ne modifions pas de façon drastique nos politiques d’immigration. Ici, il est bien connu que l’immigration de masse est un fléau pour la France, avec tous les problèmes que cela amène. Les émeutes des banlieues et l’islamisation continuelle ont été médiatisées au Québec, mais étonnamment, personne ne semble être en mesure d’apprendre des erreurs des autres, et nous accueillons au prorata plus d’étrangers que la France.

— Quel retentissement a, au Québec, la victoire du Front national aux élections européennes ?

— Nous avons été surpris par le manque de couverture de la victoire FN aux élections européennes. Les médias canadiens et québécois s’intéressent aux élections présidentielles françaises et américaines, mais ne portent que très peu d’attention aux élections de mi-mandat, aux municipales ou aux élections européennes. Dans les médias de masse, il n’y eut donc que très peu de réactions ou de commentaires, alors que les médias suivaient de très près la dernière présidentielle. Cela ne vous surprendra pas qu’hormis deux ou trois chroniqueurs, les médias dénoncent en bloc le Front national, qui incarne un peu le mal absolu.

En fait, le Front national et Jean-Marie Le Pen ont souvent servi au Québec d’insultes politiques ou de point de référence pour ce qui est inacceptable. Une chroniqueuse voulant nous diaboliser a même récemment affirmé sur les ondes que nous représentions la droite du Front national, preuve de notre infréquentabilité et que, comble du malheur, nous rejetions Vatican II !

— Et pour votre mouvement, quelle signification ont ces 24 députés européens du FN ?

— Pour nous, la montée du Front national signifie que c’est possible. C’est possible ! Pour nous qui n’avons pas de partis de droite nationale, les succès électoraux européens sont très encourageants. Nous suivons de près les partis nationalistes européens et également les référendums suisses. Ici, à cause du système parlementaire en place, nous ne pouvons nous lancer dans l’aventure électorale. Un jour peut-être, mais pour le moment nous n’avons pas les ressources pour investir dans un exercice qui serait probablement très coûteux et qui rapporterait peu.

— Comment définiriez-vous l’identité québécoise ?

— Il est toujours un peu difficile d’expliquer quelque chose qui pour nous va de soi. Notre identité est triple : linguistique, religieuse et ethnique.

Tout d’abord, cela fait plus de 400 ans que notre peuple lutte pour sa survie. Petit peuple francophone dans un continent anglo-saxon, la langue est probablement le porte-étendard de notre identité. Nous avons de nombreuses politiques pour défendre notre langue, mais l’immigration est aujourd’hui une menace directe à sa survie. Il suffit de se rendre dans un quartier multiethnique de la métropole pour constater que le français n’y est plus présent et que l’anglais le supplante.

Evidemment, la religion est également partie prenante de notre identité, que l’on soit croyant ou non. Tout au Québec est catholique. Les grandes universités, les hôpitaux, les écoles furent bâtis par les ordres religieux. Les villages portent pour la plupart des noms de saints, et d’ailleurs tous les villages sont groupés autour des églises, anciennement le lieu de rencontre hebdomadaire de la population. Bien que, depuis quelques décennies, la foi ait pris du recul, notre peuple est encore très attaché au catholicisme et c’est la raison pour laquelle une majorité de Québécois s’opposent au retrait du crucifix à l’Assemblée nationale.

Ethniquement les Québécois, aussi appelés Canadiens français, sont d’origine européenne, descendants des colons français mais aussi des colons écossais, anglais et irlandais. Aujourd’hui, c’est la reconnaissance de ce volet de notre identité qui nous différencie des autres groupes supposément nationalistes. Tout le monde comprend qu’entre nous et un Haïtien francophone et catholique, il existe un monde de différence. Ceux qui tentent de nier le caractère ethnique de notre identité nient l’évidence même.

— En quoi consiste ce que vous appelez « un multiculturalisme à la sauce québécoise » ?

— Le multiculturalisme fut imposé au Canada sans l’accord du Québec au moment même où le pays ouvrit ses portes à l’immigration de masse et où un virage sociétal s’enclencha, avec notamment la dépénalisation de l’homosexualité. Le gouvernement de Pierre Eliot Trudeau, qui a mis ces mesures en place, était très anti-québécois et le multiculturalisme fut perçu comme une tentative d’Ottawa de noyer le Québec. Avec le multiculturalisme, les revendications canadiennes françaises devenaient une revendication parmi tant d’autres et nous n’avions pas plus de légitimité que les musulmans ou les Asiatiques.

Il faut aussi garder en tête que le multiculturalisme est bien ancré dans le reste du Canada, qui a une vision très utilitariste de la société. Les accommodements religieux envers les minorités sont acceptés sans aucun problème, alors qu’au Québec, les accommodements dits raisonnables créent un tollé de protestations, même s’ils ne nous affectent pas. Je prends l’exemple de la cabane à sucre : la population était outrée d’apprendre qu’une cabane à sucre avait permis un repas halal et avait permis la prière musulmane. Aucun Québécois n’a été brimé, mais ce fut perçu comme un affront à nos traditions et une majorité des Québécois s’est scandalisée de cet accommodement. Dans le reste du Canada, ce genre d’accommodement aurait été vu comme plutôt positif.

— Quelle a été la réaction des responsables politiques ?

— Dans ce contexte, les soi-disant élites québécoises ont compris que le multiculturalisme n’était pas en vogue et que, si on voulait éviter un dérapage, il fallait réagir. Deux philosophes payés par l’état, Charles Taylor (un marxiste) et Gérard Bouchard, ont élaboré un multiculturalisme à la québécoise pour mieux faire avaler la pilule. L’interculturalisme naquit. Ce terme, ainsi que sa définition abstraite, ne sont que de la poudre aux yeux. C’est le même multiculturalisme destructeur, voilé sous un nouveau vocable. Malheureusement, plusieurs Québécois ont été dupes et, alors qu’ils dénonçaient de façon véhémente le multiculturalisme, ils défendent maintenant l’interculturalisme, même réalité simplement rebaptisée.

— Vous êtes vous aussi confrontés à une « charte de la laïcité ». Cette laïcité qui s’en prend au catholicisme au lieu de tempérer les religions exogènes. Comment lutter contre ce relativisme très particulier puisqu’il est orienté ?

— Les dernières élections ayant poussé le Parti libéral au pouvoir, il n’y aura pas de « charte de la laïcité. » Il est donc très difficile de spéculer sur cette charte et sur ses effets. Le gouvernement qui a voulu la faire passer, le gouvernement du Parti québécois, affirmait vouloir tempérer les religions exogènes en bannissant les kippas, turbans, voiles islamiques de la fonction publique et en interdisant, ou du moins en encadrant, les demandes « d’accommodements raisonnables. » D’après les promoteurs de ce projet, les catholiques n’auraient pas été affectés et même le crucifix de l’Assemblée nationale et l’assermentation sur la Bible aurait été conservés.

Nous ne croyons pas que cette charte soit la réponse convenable aux problèmes d’accommodements raisonnables et à la présence croissante d’islamistes. En fait, d’un côté, il faut revoir les politiques d’immigration qui sont la cause de ce problème et de l’autre, il faut affirmer notre identité. Je doute que, dans les pays qui affirment leur identité haut et fort, de tels problèmes existent.

Face à l’islamisme, l’effacement n’est pas une solution. Au contraire, il faut s’affirmer et cesser de jouer le jeu de la rectitude politique, un jeu dans lequel nous seront toujours perdants.

— Votre défense du catholicisme est-elle simplement une lutte pour des symboles culturels, ou s’incarne-t-elle dans la foi ?

— La Fédération des Québécois de souche est une coalition. Nous avons donc des gens qui sont non croyants, tout comme nous avons des gens de la tradition et même un prêtre qui s’est récemment joint à notre équipe. Nous combattons sur une base commune et tous nous croyons en la religion catholique comme étant, certes, un symbole identitaire et culturel, mais également historique. Nous ne souhaitons pas de théocratie mais croyons que toutes les religions ne se valent pas et que la religion catholique doit retrouver son statut privilégié au sein de notre société.

— Les Français ont beaucoup aimé Les invasions barbares de Denys Arcand. Le film fait-il un portrait fidèle d’un pan de la société québécoise, bourgeoisie cultivée mais ayant renié sa part « identitaire » ?

— Pour ce qui est du déracinement identitaire des Québécois, c’est dur à admettre, mais oui, le Québécois du XXIe siècle se coupe de ses racines. Le phénomène est d’autant plus visible dans les grandes villes comme Montréal, qui sont devenues cosmopolites. Les Québécois qui résident encore à Montréal n’ont plus grand-chose de québécois et se distinguent uniquement des Torontois ou des New-Yorkais par la langue.

Dans les régions, l’enracinement et les traditions sont plus présentes. Les gens peuplant les régions et les villes de moindre importance sont toujours attachés à leur identité et le mode de vie plus traditionnel y est beaucoup plus commun. Malheureusement, les gens des régions ne vivent pas le multiculturalisme et ont donc beaucoup de difficultés à se mobiliser contre une menace qui est trop hypothétique et abstraite pour eux.

Propos recueillis par Samuel Martin

Lu sur Présent

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