Le déplorable modèle économique des musées!

Dans un contexte de stagnation économique morose, la France se muséifie toujours plus. Du Musée du pruneau (Lot et Garonne) au Musée de la chemiserie (Argenton-sur-Creuse) en passant par le Musée de la pierre à fusil (Indre), il existe en France une véritable passion pour l’exposé historique par le biais d’une concentration d’objets en un même lieu et son ouverture au public. Chaque commune veut son musée, même si la plupart de ces musées – parfois privés, mais le plus souvent mis en place et gérés par les pouvoirs publics, ou au moins subventionnés par eux – restent désespérément vides.

A l’heure des restrictions budgétaires annoncées, qui devraient se traduire par une forte diminution des recettes de la taxe d’habitation, et malgré le côté quelque peu désuet de cet outil face aux possibilités d’internet, les projets d’ouverture de nouveaux musées et de rénovation de musées se multiplient aux quatre coins de la France. Commune, communauté de communes, département, région, ministères, chacun y va de sa contribution dans un empilement de subventions destinées à boucler des budgets que les billets d’entrée n’alimentent guère. D’autant que beaucoup de musées sont gratuits, et que la plupart des autres – à l’exception des plus grands d’entre eux – comportent des journées gratuites, chaque semaine ou chaque mois. Mais le constat est aussi facile à faire que beaucoup de ces musées sont des déserts empoussiérés, leur « privatisation » occasionnelle permettant de les animer parfois, le temps d’une journée ou d’une soirée.

Les musées totalement privés coûtent évidemment infiniment moins cher à la collectivité, mais ils bénéficient presque tous, néanmoins, directement ou indirectement, de subventions : dotation financière d’une municipalité, installation d’une signalétique, publication de brochures, achat massif de tickets d’entrée pour les clubs du troisième âge et autres…

Actuellement, environ 200 musées sont en cours de mise en place ou de profonde rénovation. Le prestigieux musée de la Marine, installé au Palais de Chaillot, comme chacun sait, mais qui aurait davantage sa place à Nantes, Bordeaux, La Rochelle ou Marseille, est par exemple fermé pour cause de rénovation, pour un coût annoncé de 50 millions d’euros. Quand on sait que 60 % des recettes du musée sont constituées de subventions, on comprend bien que ces dépenses (à la charge du ministère de la Défense et nécessitant cette fermeture… pour une durée de cinq ans !) n’ont pas vocation à entraîner un quelconque retour sur investissement. Est-ce bien le moment que le ministère de la Défense se défausse de 50 millions d’euros ? Cela est une autre histoire.

Ce musée possède 30 000 pièces, mais il est rigoureusement impossible (et il serait contre-productif) de les présenter toutes au public. L’essentiel des pièces (tableaux, maquettes de bateaux, objets historiques) est conservé dans des réserves. Mais cette rénovation aura au moins l’avantage de permettre un inventaire, un tri, ce qui devrait aboutir au prêt permanent de quelques objets à des musées maritimes de province.

On peut néanmoins s’interroger sur l’intérêt de conserver 30 000 pièces jugées mineures et qui ne seront sans doute jamais montrées au public. A l’heure des recherches de recettes budgétaires sans nouvelles augmentations d’impôts, ne serait-il pas temps de vendre (ou revendre) aux collectionneurs celles de ces pièces jugées de moindre intérêt ? Quitte à ce que ceux-ci les prêtent, à l’occasion, pour des expositions spécialisées ?

On parle ici des 30 000 pièces du musée de la Marine, mais que dire alors du musée Matou de Toulouse ? Ce musée, consacré à l’affiche et à l’art graphique, ne compte pas moins de 205 000 documents. Une vie entière ne suffirait pas pour les voir tous et en lire le descriptif ! Le musée vient d’être rénové et agrandi, mais là aussi ne serait-il pas temps de rendre au public, aux collectionneurs, une partie de ces 205 000 documents, dont la captation, avec l’argent de nos impôts, contribue à faire monter les prix au détriment des collections privées ?

Quelques milliers de visiteurs par an…

Quelques musées drainent des foules considérables (Le Louvre, Orsay etc.), soit l’essentiel des 60 millions de visiteurs annuels, mais la plupart des autres musées n’attirent guère que quelques milliers de visiteurs par an.

Y a-t-il un modèle économique permettant de faire vivre un musée ? Oui, sans doute. Cela passe certainement par un développement de l’interactivité (le côté ludique), par les privatisations temporaires, par l’installation de restaurants et de boutiques, de salles pour conférences et spectacles vivants, de ventes aux enchères (des objets des réserves moins intéressants ou encore en liaison avec les commissaires-priseurs spécialisés), le musée se transformant de ce fait en véritable pôle culturel justifiant d’y passer une journée entière, voire plus, façon Puy-du-Fou.

Dans les banlieues de beaucoup de villes de province, les zones commerciales parviennent à fixer un public la journée entière, de Décathlon en Cultura en passant par l’étape MacDo. Il suffirait de peu de chose pour que certains musées réussissent le pari du pôle culturel global. Cette demande-là existe, et n’est guère satisfaite, pour l’heure.

 

 

Francis Bergeron -Présent

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