Les derniers jours de Versailles

On l’oublie souvent mais, sous la Révolution, la ville fut « Berceau de la liberté ». Théâtre fastueux de la monarchie française, Versailles fut aussi un haut lieu du crépuscule de l’ère royale. C’est là, à quelques encablures de la chambre du roi, que se jouèrent les premiers actes de cette vaste tragédie.

Pour revenir sur ces journées méconnues, il fallait un connaisseur de la vaste fresque comme du détail local. Cet expert à l’œil horloger, c’est Alexandre Maral, conservateur général du château. Il nous emmène au cœur d’une ville en ébullition, peuplée de députés fiévreux, d’agents obscurs et d’habitants curieux allant à l’Assemblée comme au spectacle. On va de la Chapelle royale à la Salle du Jeu de Paume, des Menus Plaisirs à la Cour d’honneur.

C’est jour après jour, du 1er janvier au 6 octobre 1789, qu’Alexandre Maral tient en haleine le lecteur dans son dernier ouvrage : Les Derniers Jours de Versailles. L’historien revient longuement sur l’ouverture et la mutation des Etats généraux. C’est l’histoire d’un événement charnière aux conséquences apocalyptiques. En quelques semaines, on passe brutalement d’un monde à l’autre. Au départ, il s’agit d’une démonstration institutionnelle dominée par le monarque assis sous un dais fleurdelisé. Puis vint le coup sensationnel de députés du Tiers-Etat décidant, en toute illégalité, de se constituer en Assemblée nationale. D’acteurs du Très Grand Conseil, ils se muèrent ainsi en représentants de la nation régénérée.

C’est encore à Versailles que ces députés abolirent, lors de la fameuse nuit du 4 août, les privilèges historiques de la France entière. Non pas les seuls privilèges personnels au bénéfice des membres de l’aristocratie, mais aussi tous les droits et libertés des corps, corporations professionnelles, villes ou provinces. D’un trait de plume, l’héritage juridique pluraliste d’une France « hérissée de libertés » (F. Funck-Brentano) était jeté à bas. Versailles, encore et toujours, où se produisit le terrible affront des 5 et 6 octobre, la marche des Parisiennes sur le palais versaillais et les menaces contre la famille royale. Celle-ci devait quitter Versailles pour les Tuileries. On connaît le jugement d’Edmund Burke : « Je ne pouvais croire que je verrais de mon vivant tant de désastres s’abattre sur cette princesse, au milieu d’un peuple composé d’hommes d’honneur et de chevaliers ! J’aurais cru que dix mille épées bondiraient hors de leurs fourreaux pour la venger ne fût-ce que d’un regard qui aurait pu l’insulter. Mais l’âge de la chevalerie est passé. Celui des sophistes, des économistes et des calculateurs lui a succédé ; et la gloire de l’Europe est éteinte à jamais. » Derrière le théâtre versaillais, c’est un nouveau monde qui naît, celui de la représentation nationale, du nivellement égalitaire, de l’individualisme et de la régénération. La Terreur déjà se profile. Ces jours, les derniers de Versailles, sont-ils vraiment terminés ?

 

Alexandre Maral, Les Derniers Jours de Versailles, Perrin, 700 pages.
 

Tugdual Fréhel – Présent

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