Dupleix, empereur des Indes (Vidéo)

Il y a soixante ans (1954), le drapeau tricolore qui flottait sur Pondichéry était amené pour la dernière fois. Il y a deux cent soixante ans (1754), Dupleix, le rajah Dupleix, Dupleix l’empereur des Indes, qui avait proposé cet empire à Louis XV (qui n’était ni Louis XIV, ni Louis XVI, et qui bazardera aussi le Canada), était injustement disgracié et rappelé en France.

« Pas question/Dans ces conditions/De faire long feu dans les Comptoirs de l’Inde » chantait naguère Guy Béart dans une chanson un brin coquine qui énumérait lesdits Comptoirs : Pondichéry, Chandernagor, Yanaon, Karikal, Mahé.

Ce 31 octobre 1954, il est 17 heures 13 quand le drapeau français – tricolore, il était blanc auparavant – descend de sa hampe à Pondichéry. A deux pas de là, face à la mer du Bengale qu’il avait conquise, Dupleix. Sur son socle fait dans les colonnes d’un temple hindou arrachées à la jungle.

Ce jour-là, il y a cinq cipayes, gardes du palais de la Résidence, pour rendre les honneurs. Le lieutenant Meyer, qui les commande, remet le drapeau à Pierre Landy, conseiller diplomatique et dernier fonctionnaire français resté à Pondichéry. C’est fini. « Pas question/Dans ces conditions/De revoir un jour les Comptoirs de l’Inde »…

Une dernière promenade. Dans les pas de Pierre Loti qui passa là – autre date anniversaire – en 1904. Les noms des rues nous parlent : rue Dupleix, rue de la Marine, rue de Bussy, rue de la Compagnie. La « Compagnie », c’est la Compagnie des Indes, bien sûr.

Dupleix, jeune commis de Saint-Malo et de Lorient (sans les Bretons, la France serait restée hexagonale…), est parti pour les Indes à vingt ans. Quelques années plus tard, il se fera bâtir à Pondichéry une réplique de Versailles. Pour rivaliser avec les rois de Golconde. Pour célébrer la naissance du Dauphin, on illuminera tous les lustres d’opéra du palais de la Plus Grande France.

Le 1er novembre, à 6 heures 45, Kerval Singh, consul général de l’Inde pour les établissements français, descend de voiture devant le palais de la Résidence. Les clairons sonnent Aux Champs. Au mât, les couleurs indiennes sont envoyées. Deux pelotons français rendent les honneurs. A 7 heures 30, Pierre Landy quitte la Résidence par la rue Dupleix. Sur ses talons, l’épouse de Kerval Singh se fait présenter le personnel de service et s’installe – c’est nous qu’on est les princesses – dans nos meubles (1). C’est fini.

La veille, l’archevêque de Pondichéry, Mgr Colas (84 ans dont cinquante ans d’Inde), a célébré la messe en l’église Notre-Dame-des-Anges. Les descendants des familles des XVII et XVIIIe siècles, en habits d’apparat, y côtoyaient des Hindous en saris brodés de fils d’or et d’argent. Dans son homélie, Mgr Colas ne se cantonnera pas à la langue de buis :

— Cette terre avait été donnée à la France par les premiers Indiens qui désiraient notre présence et notre assistance militaire. L’Inde, aujourd’hui, nous réclame ces terres – que nous n’avions pas conquises – nous les lui rendons…

C’est fini et « bien » fini. On vient d’abandonner – et ça annonce d’autres bradages – trois cents ans d’histoire et une population qui fut française avant celles d’Alsace, de Lorraine, de Corse… Le jour de la passation de pouvoir, un ancien combattant (2) qui, lui, n’avait rien oublié, va briser le consensus officiel en criant :

— Nous resterons français !

Ce soldat de la Plus Grande France, cet anonyme que j’aime, ce sera – avec Dupleix – mon héros de la semaine.

(1) Tout ce que contenait le palais de la Résidence fut laissé aux Indiens.

(2) Les enfants de Pondichéry se sont battus pour la France sur tous les fronts. Et notamment en Indochine. Du temps que j’étais à Da-Nang, Sud-Vietnam, à quelques jours de l’assaut viet (1975), j’ai eu à protéger des commerçants pondichériens de nationalité française. Mais ça, c’est une autre histoire…

 

 

Alain Sandrs – Présent

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