Un MEDEF « souverainiste »

Le MEDEF a créé le mois dernier, sous l’impulsion de Geoffroy Roux de Bézieux, un comité « souveraineté ». Gadget ou volonté de participer à la réappropriation et à la défense de la souveraineté économique de la France ?

Qui n’a succombé un jour au plaisir de fustiger le MEDEF, soupçonné d’être au service du capital apatride, hostile par définition aux frontières, et à la notion même de patrie ? « La patrie est où l’on vit heureux », dit Voltaire. Et un patron du MEDEF est supposé être heureux partout où il fait des affaires, les patrons du MEDEF sont supposés être des « citoyens du monde », au même titre que les marxistes des IIIe ou IVe Internationales. « Nous pendrons les communistes avec les tripes des capitalistes » (ou l’inverse), hurlions-nous dans les camps militants de notre extrême jeunesse. A l’époque le MEDEF s’appelait CNPF, le PC recueillait 20 % des voix, l’URSS occupait la moitié de l’Europe.

Il faut quelques années de plus pour comprendre que les choses sont plus subtiles, et que, s’il n’existe pas de bons internationalistes communistes, on peut rencontrer des patrons patriotes, et chrétiens engagés d’ailleurs (j’en ai personnellement connu plusieurs : François Ceyrac, Yvon Chotard, Ernest-Antoine Seillière, François Delachaux, par exemple), comme il existe des patrons voyous, et même délinquants de haut vol (Bernard Tapie en est un parfait exemple).

La présidence de ce comité « souveraineté » n’a pas été donnée au syndicat des fabricants de camembert ou au P.-D.G. d’une usine de bérets, mais à l’un des dirigeants d’une très grande entreprise d’édition de logiciels, Sopra Steria. Avec ses 42 000 collaborateurs, essentiellement des informaticiens, son chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros, cette société est un fleuron de nos entreprises de services dans le domaine numérique.

On pourrait penser qu’une telle entreprise ne rêve que de frontières abattues, de circulation totale, sans contrôle, des hommes, des capitaux, des produits.

« L’aspiration à maîtriser notre destin »

En fait, très paradoxalement, et contre toutes les idées reçues, la notion de souveraineté nationale (et de souveraineté européenne à l’égard du reste du monde) est devenue capitale pour des entreprises de ce secteur d’activité. Et c’est à bon escient que Roux de Bézieux a choisi un homme de ce sérail-là pour piloter la commission.

La dématérialisation des services, les transferts instantanés d’informations peuvent mettre en cause la souveraineté dans des proportions jamais connues auparavant. On le voit avec les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), leur capacité à implanter leurs services sur la planète entière, mais à gérer leurs flux financiers depuis des paradis fiscaux, et donc sans prendre leur part de contribution aux charges (infrastructures, etc.) dont ils profitent, dans chaque pays.

Mais il y a bien d’autres problèmes : l’espionnage industriel, le vol de données, les recherches étatiques de déstabilisation de concurrents, etc. On pense à la Chine, notamment.

Ce que nous dit le comité « souveraineté », c’est que nous avons besoin de frontières sûres, même si ce sont parfois des frontières virtuelles, nous avons besoin de protections. « Il faut réaffirmer notre souveraineté économique. Ce n’est pas du protectionnisme étroit, mais l’aspiration à maîtriser notre destin », explique le président de la commission, Laurent Giovachini, qui ajoute : « Libéralisme ne veut pas dire naïveté. L’extraterritorialité du droit américain, par exemple, pèse lourd dans la compétition mondiale. »

Dans un entretien au Monde, ce patron du MEDEF se met à parler comme les souverainistes de la campagne des européennes : « Il est temps de concevoir l’Europe comme une puissance économique et non plus comme un espace de libre-échange ouvert à tous les vents. » On croirait lire du Salvini dans le texte !

Et quand il ajoute : « Un des enjeux, c’est que les élites scientifiques et technologiques que nous formons grâce à nos impôts – ceux des citoyens et ceux des sociétés – bénéficient en priorité aux entreprises françaises et européennes », on boit du petit-lait !

Francis Bergeron – Présent

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