Pensées, répliques et anecdotes de Claude Chabrol

Bien qu’inégales les « pensées, répliques et anecdotes » de Claude Chabrol (1930-2010) recompilées aux Editions Le Cherche-midi font, malgré tout, notre bonheur. Ça nous change des baveux du septième art, ce terminal des prétentieux où chacun crie son génie (incompris) face caméra et nous assène des leçons de morale. Le cinéma est une chose trop grave pour la confier aux cinéastes. Ces gens-là sont tellement sérieux qu’ils déprimeraient une assemblée d’anciens combattants.

Et puis, Chabrol tient une place à part dans nos cœurs, c’est notre tonton de province, libidineux, farceur, un poil réac, notable desserré du col, satiriste en charentaises qui cache sa subtilité derrière l’image de bon vivant. Comme dans un plat en sauce, il avait tendance à noyer le poisson. Avec lui, il fallait se méfier des évidences. Il était bien trop intelligent pour se laisser aller au jeu des confidences. Enfin, un type qui osait déclarer au début du XXIème siècle « J’adore les vieux vins, les vieux films, les vieux livres, les vieilles femmes » a d’emblée toute notre sympathie, voire notre respect éternel. La nostalgie du monde d’avant n’est pas une vilaine maladie. Elle est même plutôt un signe de vitalité. Contrairement aux adorateurs de la modernité, ceux qui professent le bonheur au forceps, l’avenir de l’Homme est dans le rétro. Chabrol les repérait de loin ces farauds, ils parlent en statistiques, la novlangue des boutiquiers. De toute façon, un réalisateur qui a épousé Stéphane Audran et fait tourner Dominique Zardi se place forcément au-dessus des parties. C’est intouchable !

Chabrol, la misogynie joyeuse
La filmographie du « mégalomane modeste » ou de « l’anarchiste sournois » comme il aimait à se définir, ressemble à nos bulletins scolaires, quelques fulgurances inoubliables, des notes dans la moyenne et puis des gadins mémorables. Dans ce fourre-tout qui se présente comme un pain surprise, on retrouve ses lubies avec plaisir : la hantise des femmes grignoteuses (la chair ne ment pas), Godard l’acolyte refoulé, la bêtise du genre humain ou l’adultère comme variable d’ajustement du mariage. Ce phallocrate de bon aloi mettait le paquet : « La femme supporte souvent mieux le veuvage que la ménopause » ou « J’ai un faible pour les jolies femmes qui ne m’attirent pas physiquement ».

Chabrol avait la misogynie joyeuse, juste histoire de faire causer les cons. La nourriture, autre source d’inspiration, le mettait en transe artistique. « Je rêve de filmer la cuisson d’un bar en croûte de sel » ou « Nous vivons une époque où les pizzas arrivent plus vite que la police » disait-il mi-goguenard, mi-moraliste. Sa détestation des individus qui prononcent le mot « humaniste » au cours d’une conversation était sincère. Des envies de meurtres lui montaient à la tête. Son grand sujet d’étude fut, sans nul doute, la bourgeoisie des Trente Glorieuses. Il en était le décodeur officiel. Dans ce livre, il s’amuse même à une tentative de classification darwinienne entre les « maigres, secs, nerveux » et les autres, entre ceux qui pratiquent une morale perméable et les rigides. A la fin de sa vie, Chabrol était quelque peu déçu par cette classe sociale jadis triomphante qui préfère aujourd’hui le pognon à la fesse. Si les bourgeois ont perdu leur sex-appeal, restent les actrices pour se défouler. Une vacherie (impardonnable) sur Monica Vitti qu’il compare à Charlton Heston : « Avec une barbe, elle aurait pu jouer Moïse, avec une perruque, il aurait pu jouer L’Avventura ». Encore plus féroce, donc plus drôle, cette saillie sanglante : « J’ai failli tourner avec Isabelle Adjani. Mais à l’écriture du film, il est apparu que j’avais plutôt besoin de moustachus ».

Si Chabrol plaçait au pinacle Jean Carmet et Orson Welles, il aimait descendre en flèche les critiques et la profession, notamment la cérémonie des Césars, signe d’un déplorable infantilisme. Un recueil rafraîchissant à lire sans modération.

Pensées, répliques et anecdotes, Claude Chabrol, Editions Le Cherche-midi.

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