Dans un référé rendu public ce 18 avril 2019, la Cour des comptes dénonce la décision prise par l’État d’allonger les concessions autoroutières, en contrepartie de la réalisation de travaux de maintenance. Une “solution de facilité” qui représente à terme un surcoût pour l’usager. Les Sages ont formulé des recommandations à l’adresse du Gouvernement.

Voilà une nouvelle réaction qui relancera assurément le débat – et la polémique – autour des privatisations d’autoroutes : ce jeudi 18 avril 2019, la Cour des comptes a rendu public un référé datant du 23 janvier dernier, adressé aux ministres de la Transition écologique et des Transports, et portant sur le Plan de relance autoroutier de 2015 et sur le Plan d’investissement autoroutier de 2017. Dans ce document, l’institution de la rue Cambon rappelle que l’État a accepté trois fois, au cours de ces 10 dernières années, que les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) modifient (à leur demande) leurs cahiers des charges pour y intégrer la réalisation de travaux d’entretien-maintenance, des chantiers qui n’étaient initialement pas prévus (sauf exceptions) dans les contrats de concession signés au moment des privatisations de 2006.Les Sages dressent l’historique de ces vagues successives de travaux : tout d’abord, le “Paquet vert” en 2010, qui représentait un milliard d’euros de chantiers “à vocation environnementale” ; puis, le Plan de relance autoroutier (PRA) en 2015, comprenant 3 milliards d’euros de travaux, “principalement des élargissements de sections, des reconfigurations d’échangeurs, des travaux sur des ouvrages d’art et des aménagements environnementaux” ; enfin, le Plan d’investissement autoroutier en 2017, qui totalise 700 millions d’euros de travaux – “améliorations environnementales et créations d’échangeurs” -, dont une partie est prise en charge par les collectivités territoriales desservies par les autoroutes concernées. En échange de la réalisation de ces chantiers, les concessionnaires ont donc obtenu de la puissance publique une prorogation de leur durée de concession. Par ailleurs, certains travaux ont aussi fait l’objet de compensations alors qu’ils étaient pourtant déjà prévus dans les cahiers des charges des sociétés, et financés par les péages. Et c’est précisément sur ce point que la Cour des comptes désapprouve le marché conclu entre les parties prenantes.

Interrogations autour de la mise en concurrence et du surcoût à terme pour l’usager

Car en effet, si cette décision a le mérite de pouvoir lancer rapidement les travaux, de ne pas mobiliser de deniers publics supplémentaires et de ne pas augmenter dans l’immédiat les tarifs des péages, elle comporte une sorte d’effet pervers à terme : d’après les Sages, la “remise en concurrence des concessions”est ainsi “sans cesse” repoussée. Et d’ajouter : “En outre, reporter le financement de travaux à une échéance lointaine, en le faisant supporter par l’usager futur, est une solution de facilité qui entraîne un renchérissement correspondant au long différé de remboursement et à l’augmentation des risques qu’il implique. On peut ainsi mettre en regard les 3,2 Mds€ du plan de relance autoroutier avec la quinzaine de milliards d’euros de recettes supplémentaires que rapportera aux sociétés concessionnaires d’autoroutes l’allongement de leurs concessions.” Un déséquilibre financier que les détracteurs des privatisations d’autoroutes ne manqueront pas de mettre en avant. Pour rappel, la plupart des sociétés concessionnaires sont en réalité des filiales de grands groupes du BTP, comme Vinci ou Eiffage.

Dans ses travaux de contrôle, l’institution de la rue Cambon a également noté que, face aux SCA, l’État avait tendance à céder du terrain : “Que le financement soit assuré par l’usager présent ou futur, ces plans d’investissements sont l’objet de négociations difficiles dans lesquelles les pouvoirs publics sont souvent apparus en position de faiblesse. La difficulté se cristallise autour de deux questions : le choix des opérations à réaliser, lesquelles doivent remplir un certain nombre de conditions pour être ‘compensables’, et la fixation de la compensation à un niveau approprié.” En 2014, un rapport de l’Autorité de la concurrence parlant de la “rente” des concessionnaires avait fait bondir la ministre de l’Écologie de l’époque, Ségolène Royal, qui était montée au créneau et avait dénoncé cette situation. Malgré cela, des initiatives gouvernementales visant à mieux financer la modernisation du réseau routier national non-concédé, comme la fameuse écotaxe ou encore la vignette poids lourds, n’ont pas abouties.

Confier l’encadrement des compensations à un organisme indépendant et préciser les dispositifs juridiques

Sur la base de ce constat, la Cour des comptes formule donc 3 recommandations à l’adresse du ministre de la Transition écologique, François de Rugy, et de la ministre des Transports, Elisabeth Borne : pour commencer, les Sages réitèrent leur conseil “[d’]élaborer une doctrine sur le champ des opérations compensables […], en particulier en précisant par décret en Conseil d’État, après avis de l’Arafer [Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, ndlr], les critères de nécessité et d’utilité prévus par l’article L.122-4 du Code de la voirie routière”. Ensuite, les Sages préconisent de concrétiser “les hypothèses économiques fondant les compensations accordées aux sociétés concessionnaires d’autoroutes pour l’exécution de travaux non prévus par leur convention de concession, en en confiant la détermination à un organisme expert indépendant”. Dernière recommandation de l’institution napoléonienne : “compléter le décret n°2007-777 du 10 mai 2007 portant application de l’article L.122-4 du Code de la voirie routière pour qu’il précise, conformément à la loi, le dispositif de modération des péages, de réduction de la durée des concessions ou d’une combinaison des deux, devant s’appliquer lorsque les revenus des péages ou les résultats financiers des SCA excèdent les prévisions initiales”.

Reste à voir si l’encadrement des compensations par un organisme indépendant, et si des textes juridiques plus précis quant aux dispositifs de modération des péages et de réduction des concessions apporteront des résultats tangibles. Les privatisations des autoroutes font régulièrement polémique, particulièrement au sujet des hausses de péages contractuellement prévues – la dernière en date, de l’ordre de 1,8 à 1,9%, a été opérée en février 2019. Les gares de péages des autoroutes ont d’ailleurs été l’une des cibles symboliques de la révolte sociale des Gilets jaunes.