Expo/ Faune et flore de Jakuchu

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Durant quelques semaines – seulement, car de si précieuses peintures sur soie ne peuvent se promener longtemps –, le Petit Palais expose les chefs-d’œuvre d’Ito Jakuchu. Né en 1716, fils d’un grossiste en fruits et légumes de Kyoto, Jakuchu peignit, tout en dirigeant le commerce hérité de son père. A quarante ans, il passa la charge à son frère et se consacra uniquement à l’art. Célibataire et fervent bouddhiste, c’est au monastère zen de Shokoku-ji qu’il offrit les trente grands rouleaux qui constituent Le Royaume coloré des êtres vivants, peints entre 1757 et 1766. C’est heureux, car l’incendie de Kyoto de 1788 consuma la maison et l’atelier de Jakuchu. Lui qui avait toujours connu l’aisance se retira près d’un temple où il peignit jusqu’à sa mort (en 1800), pour gagner sa vie.

Loin du monde des estampes bien connu des Occidentaux, l’art de Jakuchu est celui de la peinture sur soie. Il maîtrise parfaitement cette technique qui consiste parfois à peindre au revers de la soie pour obtenir des effets de couleurs particuliers. Grand contemplateur de la nature, Jakuchu professait qu’il ne fallait peindre qu’après avoir observé longuement, patiemment, l’animal ou la fleur qu’on veut représenter. On pénètre avec bonheur dans ce « royaume coloré » où les animaux mènent leur vie en accord avec les sources et les arbres. Jakuchu aimait les coqs, il en représente deux ici, deux là ou treize dans une autre composition. Un vieux pin abrite un phénix blanc, un paon, des cacatoès tandis que des grues caquètent devant des pruniers en fleurs. La flore est épanouie : hibiscus, palmiers, pivoines, roses, hortensias… L’étang aux insectes ne rassemble pas que des insectes : il y a des grenouilles, des escargots, et, à l’affût sur sa toile en haut à gauche, une épeire fasciée ; bestioles qui font bon ménage avec des demoiselles, une mante religieuse, des criquets… La même préoccupation du petit apparaît dans la planche qui rassemble des coquillages de toutes sortes, ou dans les petits oiseaux qui volètent un peu partout.

L’harmonie du monde qu’exprime Jakuchu dans les différents tableaux du Royaume coloré a son pendant artistique dans l’équilibre entre l’observation très poussée, d’un naturaliste quasiment, qu’il rend avec soin et le caractère hautement décoratif de la transcription qu’il en fait – la peinture sur soie est une technique impérieuse qui ne laisse pas de place au hasard au moment de la réalisation. Les riches couleurs sont mises en valeur par des fonds plus neutres, des gris colorés d’une grande subtilité.

Exposés une seule fois hors du Japon précédemment (à Washington en 2012), ces splendides rouleaux venus à Paris doivent être accueillis comme il sied : en regardant longuement, de la même façon que Jakuchu fit.

Jakuchu, le Royaume coloré des êtres vivants. Jusqu’au 14 octobre 2018, Petit Palais.

Photo : Ito Jakuchu, Canards mandarins dans la neige, 1759, Tokyo, Musée des collections impériales (Sannomaru Shozokan), Agence de la Maison impériale.

Samuel Martin – Présent

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