Nouvelle extension du domaine de la censure

Si Houellebecq en son temps parlait de l’extension du domaine de la lutte, le domaine de la censure lui ne cesse de s’étendre de manière franche ou insidieuse. Récemment l’Union Européenne assurait la promotion d’une censure sémantique auprès des journalistes et des communicants. Les éditions Au bord de l’eau apportent leurs ciseaux complaisants avec l’édition d’un livre intitulé Internet contre Interh@te, 50 propositions pour détoxer les réseaux sociaux. Analyse d’une variante mutante de la police de la pensée numérique.

Internet qui représente un nouvel espace de liberté inquiète la pensée dominante. Et si le lecteur/auditeur/spectateur allait penser par lui-même en-dehors du discours dominant ? Pire, s’il allait s’exprimer lui-même sans qu’un bon samaritain filtre son discours ? Une solution pertinente : lui mettre un bâillon préalable. Et l’encadrer de près, pour son bien.

Du respect avant toute chose

Les rappeurs – tous dignes d’estime, bien élevés et respectueux – n’ont qu’un seul mot à la bouche : le res-pect. Le respect, mot clé de l’ouvrage précité. À travers la chasse (involontairement comique) aux « mauvais mots » les auteurs immolent les pâtisseries têtes de nègre, règlent son compte à la douleur au coude dénommée petit juif et autres têtes de turc. Même si « faire le procès de ces expressions démodées est souvent perçu comme une atteinte à la liberté d’expression » (sic). Pour protéger les jeunes têtes blondes (brunes ou rousses) il doit en être de même pour le numérique car « la parodie est acceptable si elle ne charrie pas des idées xénophobes ou racistes dans un but d’exclusion ». Le péché par intention est aussi grave que le péché par action, comment mettre en garde les pauvres pêcheurs ? Et comment punir le péché ? En excluant les empêcheurs de penser entre soi.

Le respect par le bâillon numérique

Si de bonnes choses – souligne l’ouvrage – ont été faites par les autorités allemandes en imposant par la loi la possibilité de lourdes amendes aux fournisseurs d’accès et aux propriétaires de réseaux sociaux qui propageraient des « discours de haine », les auteurs fourmillent de chouettes idées pour « installer le respect et la pensée positive », autrement dit pour rééduquer le public. Quelques exemples :

– Mettre en place un baromètre de respect numérique qui « mesure la conformité des sites ». Non conformes vous serez normalisés.

– Création d’une base de données des sites complotistes et « création d’un index des plate formes spécialisées dans la haine ». La mise à l’index – autrefois spécialité de l’Église catholique – revient à l’ordre du jour cette fois habillée de nouveaux atours modernistes.

– Création d’un label pour les entreprises, les professions libérales, les internautes qui « choisissent un contrôle externe certifié de leur niveau de conformité ». Il est douteux que les auteurs aient relu cette phrase qui évoque irrésistiblement 1984 de George Orwell, Vichy ou la douce époque stalinienne.

– Création d’outils pédagogiques pour aider les éducateurs à sensibiliser « aux modes de lutte contre l’interh@te ». La propagande doit commencer à l’école.

Le reste est à l’avenant. Un rédacteur de l’Observatoire du journalisme s’est efforcé de suivre ces cinquante prescriptions à la lettre pendant un mois, il nous a fait parvenir un long courrier, résumant son expérience, dont nous extrayons les dernières lignes :

LA LUTTE ÉTAIT TERMINÉE
IL AVAIT REMPORTÉ LA VICTOIRE SUR LUI MÊME
IL AIMAIT BIG BROTHER
Amen.

Chacun aura reconnu les trois dernières phrases de Winston Smith, le héros malheureux de 1984 de George Orwell.

 

Lu sur l’OJIM

 

 

Présentation de l’éditeur

L’ouvrage fait un état des lieux de l’innovation par le respect en dessinant les contours de sa théorie innovante pour inviter le respect dès la conception des mises à jour des réseaux sociaux et de médias. Le principe innovant est le « Respect by design », qui succède au « Privacy by design » qui lui avait été initié depuis les États-Unis et la CNIL en France pour protéger la vie privée dans le design des outils numériques. Ce plaidoyer est un document pour convaincre et pour mettre des outils à disposition des individus et des régulateurs afin de réinventer la place du respect en ligne, par des mesures incitatives et non coercitives, en phase avec la modernité et la réalité des outils digitaux en permanente évolution.

Biographie de l’auteur

Philippe Coen est Président Fondateur de l’ONG « Respect Zone » (www.respectzone.org). Diplômé de Harvard, il pratique et enseigne le droit. Il est Président d’Honneur de la European Company Lawyers Association, il a rédigé les codes éthiques européen et français et codirige le Comité de Déontologie de la profession. Il est l’auteur avec David Alexandre & Jean-Marc Dreyfus, Pour en finir avec Mein Kampf et combattre la haine sur Internet, (Le Bord de l’Eau, 2016. Préface, Dominique de la Garanderie).

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