Le général de Villiers, nouveau “chief happiness officer” du management

Des Gilets Jaunes jusqu’aux bancs de l’Assemblée nationale, le nom du Général de Villiers est dans de nombreuses têtes. Alors que le crise politique provoquée par Emmanuel Macron continue de s’aggraver, il semble important de s’intéresser à cette figure que certains Gilets Jaunes souhaitaient à la tête de l’Etat.
Cet article de Philippe Schleiter pour ENDERI apporte un éclairage bienvenu sur ce personnage.


Qu’est-ce qu’un chef ? C’est le titre du livre qu’a récemment publié le général Pierre de Villiers, estimant qu’une carrière de 43 ans dans l’institution militaire le qualifie pour proposer une définition et dispenser quelques conseils en la matière. Preuve de la quête d’autorité qui traverse notre société, l’ouvrage est devenu, en quelques semaines seulement, un succès de librairie…

Voici un peu plus d’une dizaine d’années Régis Debray déplorait, dans les colonnes du Point, l’aversion de nos contemporains pour toute autorité. “Le ‘chef’ semblait n’être plus à la mode à l’heure de la démocratie participative. […] Depuis une trentaine d’années, le mot “chef” était tabou. Voire fasciste. On disait manager, coach, animateur, arbitre. Influence, oui. Autorité, non. Immense hypocrisie. Il semble que le climat ait radicalement changé puisque le fait d’avoir porté l’uniforme et gravi patiemment les échelons de l’institution miliaire permet désormais à l’ancien chef d’état-major des armées (CEMA) de gagner aussitôt ses galons d’expert en management des hommes.

On aurait toutefois tort de s’en offusquer : le général de Villiers n’est pas le premier à bénéficier d’une telle équivalence de compétences. Dans un monde désespérément corseté de certitudes de toutes natures, les managers d’entreprise se sont toujours montrés curieux et avides d’expertises provenant d’horizons professionnels différents du leur. Voilà longtemps qu’ils sont donc familiers des militaires, pompiers, urgentistes, négociateurs du Raid, coachs sportifs, voire artistes et saltimbanques, tous invités à discourir de leur expérience du “risque, de “l’esprit d’équipe ou de “l’empathie à l’occasion de séminaires et conférences.

Rien d’étonnant donc qu’aussitôt entérinée sa démission, le général ait pu facilement embrasser une nouvelle carrière et qu’il ait été, comme il l’écrit en introduction de son livre, “sollicité pour donner des conférences dans toute la France pour parler de la situation géostratégique du monde, de l’exercice de l’autorité, du rôle de chef, de la conduite de la transformation d’une organisation, de la jeunesse, en bref de tout ce que j’ai appris en quarante-trois années au service des armées”. Ce programme était alléchant tant la découverte de parcours différents, d’opinions divergentes, de voix discordantes est par nature enrichissante.

Hélas, dès les premières pages du livre, on comprend que cet espoir sera déçu. On attendait que cet ancien officier de l’arme blindée et cavalerie lance une vigoureuse charge contre les tièdes poncifs du management contemporain, qu’il enfonce les lignes du politiquement correct en portant haut le drapeau du réel… Mais très vite on déchante : sitôt revenu à la vie civile, le général s’est coulé avec une telle aisance dans ses habits neufs de consultant qu’on croirait qu’il a exercé ce métier toute sa vie.

Bien sûr, tout ce que dit Pierre de Villiers n’est pas faux. Ainsi, lorsqu’il affirme qu’il faut “revenir aux clefs de l’adhésion qui unit le chef à ses collaborateurs : une vision partagée, une autorité rayonnante et convaincante qui aboutit à une obéissance active et non passive”, on ne peut qu’approuver. De même, nous confirmons bien volontiers que “le chef doit être exemplaire, que “la stratégie est nécessaire pour donner une vision, un cap” et qu’il s’agit de “remettre l’homme au centre”… Des dizaines de manuels de management ou de développement personnel ne disent-il pas la même chose depuis des années ?

Les sentences du général ont le parfum doucereux des valeurs contenues dans les chartes d’entreprises et autres codes éthiques : souvent belles mais toujours éthérées et de peu de secours dans le feu de l’action. Ce ne sont pas tant des paroles de combattant que de séducteur, voire d’administrateur prudent. Curieusement de la part de ce militaire, ce sont des paroles d’un temps de paix, marqué non par la volonté de trancher mais par celle de faire consensus. À propos de la nécessité incombant au chef de décider, sa pensée se conclut par cette maxime définitive : “le point d’équilibre se situe entre les chefs hésitants qui écoutent et ne peuvent pas décider et les fonceurs qui décident sans écouter. Bigre ! Au fil des décennies, dans le champ du leadership politique, nous connaissions déjà le “ni ni et le “en même temps. Pierre de Villiers y ajoute le “entre deux, chéri depuis toujours par ceux qui pensent que la vérité, loin d’exister par elle-même, se trouve nécessairement à équidistance des options les plus extrêmes.

Le général de Villiers nourrit une véritable passion pour la notion d’équilibre, carrément vantée comme “une quête universelle et infiniment déclinée. Pour lui, un bon chef a pour tâche de trouver “l’équilibre entre passion et raison”, “pensée et action“tradition et modernit锓vie professionnelle et vie personnelle. Mais aussi entre “le ‘c’était mieux avant’ et le ‘ce sera mieux demain’”“les droits et les devoirs et bien sûr entre “sens et performance. Si sa pensée devenait une doctrine, elle s’appellerait “l’équilibrisme”, un art subtil consistant, sur les sujets glissants et les dossiers chauds, à ne pas se mettre inutilement à découvert, sous le feu de l’ennemi ou de la critique et ainsi de gravir patiemment les échelons de son organisation. Après tout, c’est cela qui a marché, n’est-ce-pas mon général ?

D’où le sentiment d’un malentendu. L’intérêt suscité par le général de Villiers provenait en effet tout entier de la promesse de panache, de courage et de conviction résultant de sa démission. Elle laissait espérer l’émergence d’une voix libre, souveraine et pourquoi pas martiale, une voix capable de libérer les vertus épiques et les énergies archaïques si nécessaires pour affronter un monde redevenu dangereux et tragique. Et voilà que l’on découvre que, pour le général de Villiers, le rôle du chef consiste à… répandre de la sérénité” et que son livre “vise à avancer sur le chemin vers le bonheur”. Bref, on attendait Sun Tzu, et on a eu le Dalaï Lama … Et l’on découvre ainsi que l’ancien chef d’état-major des armées parle comme un chief happyness officer.

La quête d’autorité qui se manifeste sous nos yeux, tant dans la société que dans l’entreprise devrait faire l’impasse sur ses conseils car, sur le terrain de la compétition économique, le général a déjà une guerre de retard.

Philippe Schleiter

Qu’est-ce qu’un chef ?, Pierre de Villiers, Éditions Fayard, novembre 2018, 256 p.

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