Peut-on encore aimer le football ?

Peut-on encore aimer le football ? C’est la question titre du dernier ouvrage de Robert Redeker, philosophe sous protection depuis qu’il publia une tribune dans Le Figaro, évoquant l’islam et les musulmans.

Difficile de répondre par l’affirmative à cette question si l’on s’en tient à ce qui est diffusé sur les antennes quotidiennement désormais, et à un sport totalement régit par l’argent, certaines puissances économiques et le déracinement des joueurs.

Dans cet essai, Robert Redeker s’attaque aux dérives économiques et sociales présentes dans le monde du ballon rond. Et entame une réflexion philosophique sur le football, mais aussi sur la société moderne qui se shoote avec ce sport. Le football ne serait que le miroir de notre monde.

Si il y’a un livre à lire à quelques semaines de la Coupe du Monde, afin de garder les pieds sur terre et de ne pas se laisser piéger par la liesse artificielle qui va s’emparer de supporteurs pour qui la patrie aura de nouveau un mois dans l’année – ce qui est rarement le cas désormais chez les joueurs – c’est bien celui de Robert Redeker, empêcheur de tourner en rond. Il nous oblige à nous interroger, à réfléchir, à penser, ce que finalement, le football moderne empêche aujourd’hui.

Car le football actuelle est une sorte de grande prostituée qui se vend au plus offrant (hormis dans le football amateur bien entendu). Le joueur joue pour augmenter sa valeur marchande, pas pour la fierté de sa ville ou de son pays. Il n’est plus qu’une simple action en bourse, dans un système où agents et négriers du football luttent pour s’enrichir toujours plus sur le dos de sportifs parfois naifs, souvent complices.

Le football rassemble à la fois tout ce qu’il y a de pire dans notre monde, mais provoque aussi des émotions et des sentiments qui ne se ressentent pas par ailleurs, ce qui fait que fatalement, nombreux sont ceux qui y reviennent.

Mais trêve de philosophie, achetez le livre de Robert Redeker et philosophez vous même avant de faire votre choix du coeur parmi les sélections européennes qualifiées pour la Coupe du monde !

Et en attendant, entretien avec Robert Redeker, agrégé de philosophie, auteur de nombreux livres, dont les derniers ont : « Le Soldat impossible », « L’Ecole fantôme », « L’Eclipse de la mort », et, ce printemps,  « Peut-on encore aimer le football ? »

Ce livre semble contenir à la fois une révolte contre ce qu’est devenu le football aujourd’hui, tout en étant un cri d’amour vis à vis de ce sport. M. Redeker, aimez vous, ou avez vous aimé, le football ? Et pourquoi le détestez vous aujourd’hui ?

Robert Redeker : Je suis assez stoïcien pour savoir que la révolte est toujours vaine et amère, qu’il vaut mieux l’éviter. « Ni rire, ni pleurer, mais comprendre » : telle est, nous apprend Spinoza, la feuille de route du philosophe. Il faut dépasser l’opposition entre « aimer » et « n’aimer point », voire « détester », pour regarder le football comme une fable nous permettant d’interroger le monde. Si l’on stationne au niveau affectif, on n’arrive à rien sinon à d’inutiles conversations de café du commerce. Je ne déteste pas le football, ce serait d’ailleurs ridicule, je m’appuie sur lui, sur ce qu’il est devenu, pour produire une analyse du monde contemporain.

Le football est dans cet ouvrage le prétexte et le masque d’un traité complet (mais non exhaustif) de philosophie, incluant la morale, la politique, et la métaphysique. Prendre le football comme une fable qui raconte à son corps défendant le monde, dans sa beauté et son horreur, l’homme, dans sa grandeur et sa bassesse, permet ce travail qui nous mène bien plus loin que ce simple sport. De fait, l’objet de ce livre n’est pas du tout le football, mais la société, le monde, et l’homme.

Qu’est ce qui explique que la popularité de ce sport soit toujours plus croissante alors que, comme vous le soulignez, le football a été totalement vidé de sa substance, de son âme, de ses sentiments, et qu’il s’agit désormais plus d’une très chère coquille vide ?

Robert Redeker : Pour être absolument moderne, il faut entrer en symbiose avec le football. Pour ma part, je me situe plutôt du côté des antimodernes, il est vrai.  La raison de cette popularité est simple : le football est le nouveau catéchisme, celui qui dicte à l’homme contemporain les impératifs auxquels il doit articuler son existence. Il se montre à nous sur le mode du « tu dois ». « Tu dois être compétitif, performant, toute ton énergie doit être mobilisée en permanence en vue de la compétitivité », sont les principaux articles du credo que le football enseigne à nos contemporains.

Travaillant à l’intériorisation de ces impératifs, le football transforme profondément la vision du monde et de l’homme que ces contemporains portent en eux ; il devient ainsi une matrice de comportements humains, ce qu’on appelait jadis « le pouvoir spirituel ». Bref, le football c’est avant tout de l’idéologie mise en images.

Vous évoquez le cas M’Bappé, joueur qui a coûté incroyablement cher, comme s’il n’était qu’un pari sur l’avenir sans avoir fait ses preuves. Est-ce l’aboutissement d’un sport devenu dingue ?

Robert Redeker : Le football est un système. Pour son malheur il est aussi devenu une industrie, et un secteur de l’industrie du spectacle. C’est cette industrialisation qui est à la source de toutes les dérives qui nous chagrinent.

Vous moquez le faux sentiment patriotique qui se dégage, notamment lors de la Coupe du Monde. Un patriotisme vidé là encore de toute substance et de tout fil conducteur. Expliquez-vous.

Robert Redeker : C’est moins du patriotisme qu’un tribalisme régressif, au mieux du chauvinisme. Le patriotisme vit d’une haute de l’homme et de la société. La place de la vanité dans le tribalisme des supporters l’éloigne de tout tribalisme. Ce tribalisme arrive en contrepoids à la mondialisation, dont le football est l’un des symboles les plus forts.

Finalement, votre livre n’est-il pas trop philosophique pour être lu et compris par une majorité des fans de football ? N’y a t-il pas une forme de décalage ?

Robert Redeker : Dans notre monde, il n’y a plutôt pas assez de philosophie que trop. Regarder le football avec du recul et de la lucidité permet, au contraire, à tout un chacun, de mieux comprendre le monde, de s’élever à la pensée. Le football est le livre ouvert du monde et sur l’homme dans lequel chacun peut essayer de lire.

Quelle est la morale, pour finir, de la fable du football du XXIème siècle ?

Robert Redeker : Celle du pot de terre contre le pot de fer de La Fontaine : le plus riche et le plus puissant gagne toujours, a toujours raison. J’ajouterai : le plus riche et le plus puissant (le capital, l’Argent) est le maître du livre d’images (le football est un pareil livre) distribué aux peuples et destiné à faciliter l’acceptation de son pouvoir.

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