Une boucherie néandertalienne!

Dans le département du Rhône, le chantier de construction de l’autoroute 466 a révélé un atelier de boucherie néandertalien datant de quelque 40 000 ans.

Pourquoi toujours chasser des animaux dangereux ? Et parmi eux les plus dangereux, tels des mammouths, des rhinocéros, des ours ou des loups ? Le site de Quincieux, sur le chantier de la future autoroute 466, qu’une équipe d’archéologues de l’INRAP dirigée par Jean-François Pasty, confirme une fois de plus ce bizarre trait du mode de vie des Néandertaliens.

Situé non loin de l’ancien lit de la Saône, le site est contenu dans une couche de limon surmonté de lœss, ce fin sédiment d’origine fluviatile et éolienne que produisait pendant les périodes froides l’aridification des steppes entourant de grandes masses glaciaires, notamment alpines. Épaisse de plus de deux mètres, la strate limoneuse date d’entre 55 000 et 35 000 ans, c’est-à-dire de la première moitié du stade isotopique marin 3 (MIS3, qui va de 59 000 à 24 000 ans). Dans l’histoire climatique européenne, cette période interglaciaire se signale par nombre d’allers et retours entre des phases très froides de quelques milliers d’années et des périodes tempérées. Ce yo-yo climatique a dû être difficile à vivre pour les populations néandertaliennes peu nombreuses mais bien adaptées, d’une façon qu’illustre le site de Quincieux.

Les chasseurs du clan qui y a séjourné ont en effet réussi à abattre une impressionnante macrofaune caractéristique d’un climat froid (on ignore encore pendant combien de temps). Dans le limon, les archéologues ont exhumé plusieurs centaines de restes osseux, la plupart appartenant à de grands herbivores, tels que mammouths, rhinocéros laineux, chevaux, bisons ou encore rennes. L’ours des cavernes est représenté par un crâne. Les grands carnivores le sont par quelques ossements de loup.

Ces accumulations d’os résultent de l’action de l’homme : les ossements sont isolés et rarement en connexion anatomique. Quelques nucléus, couteaux et éclats obtenus par la méthode Levallois (une technique de taille typiquement néandertalienne) ont été abandonnés parmi les restes de carcasses. Certains os ont manifestement été fracturés par l’homme. Les os longs des carcasses tendent à manquer, ce qui suggère que les gigots, cuisseaux et autres quartiers riches en viande et en graisse ont été découpés pour être emportés.

Ainsi, le site de Quincieux serait un atelier de boucherie néandertalien, comme on en a déjà trouvé de nombreux dans toute l’Europe, par exemple récemment en France à Hénin-sur-Cojeul (38 000 ans) et à Havrincourt (60 000 ans) dans la Somme. Situés peut-être près des zones de chasse ou en un lieu favorable (bonne visibilité, sécurité, eau, gisement de matière première lithique, etc.), ces ateliers distincts des sites d’abattage et des habitats étaient les usines de l’industrie néandertalienne. L’implantation de l’atelier de Quincieux s’inscrit bien dans cette typologie, puisqu’on y trouvait de l’eau et, dans le lit d’un petit affluent de la Saône voisin, des galets de silex.

On peut imaginer que pendant les grandes chasses, tandis que les chasseurs s’activaient à piéger, à tuer ou à charogner de gros animaux, les autres membres du clan découpaient les carcasses en quartiers transportables à l’atelier. Là, une équipe débitait d’abord les quartiers de viande à emporter dans les cuisines de l’habitat, pas forcément proche, ce qui, à Quincieux, explique sans doute l’absence d’os longs. Une autre équipe, peut-on imaginer, s’occupait de prélever les tendons (pour servir de liens), les vessies et les estomacs (sacs naturels), etc. D’autres membres du clan devaient se consacrer au travail des peaux, dont le traitement demande de l’eau et doit commencer d’emblée. À ce propos, une interprétation tentante de la présence sur le site de Quincieux de restes d’ours des cavernes et de loups est que les chasseurs prenaient aussi des risques pour trouver et tuer ces animaux fournisseurs de fourrures. J.-F. Pasty en doute, car pour lui, après le départ des hommes, les prédateurs hantaient probablement les lieux afin de charogner les fragments de carcasse abandonnés. Une autre interprétation qui semble plus plausible s’agissant des loups, mais pas de l’ours des cavernes, puisque ce grand plantigrade était un omnivore bien plus végétarien et frugivore que carnivore…

Ainsi, le site de Quincieux illustre ainsi une fois de plus le mode de vie néandertalien, dans lequel le clan entier s’assemblait lors des chasses pour exploiter les ressources procurées par les chasseurs. Cet industrieux travail n’était jamais aussi productif que quand les chasseurs parvenaient à fournir de gros animaux. Dans un climat où la survie de l’individu isolé était impensable, nul doute que l’implication simultanée de tous les membres du clan dans la production commune créait beaucoup de liens sociaux se traduisant par une grande cohésion, sans doute essentielle pour la survie du groupe. La préférence des chasseurs néandertaliens pour les grosses proies s’explique peut-être ainsi : elle auraient été nécessaire pour faire tourner les usines néandertaliennes.

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