Les arrière-cuisines de Thomas Cook

La nouvelle est évidemment terrible pour les vingt-deux mille salariés de l’entreprise : Thomas Cook, géant du tourisme de masse met la clef sous la porte. C’est un empire qui s’écroule : cette entreprise anglaise avait été créée en 1847 sous la reine Victoria. Son fondateur, Thomas Cook, était un entrepreneur visionnaire qui a créé – entre autres – les croisières sur le Nil et les chèques de voyage.

La faillite brutale du groupe ce week-end du 23 septembre a surpris plus d’un demi-million de voyageurs. Environ six cent mille voyageurs étaient programmés ou en cours, parfois pour de très gros montants. Thomas Cook faisait partie de ces groupes surendettés, que les libéraux pensaient « too big to fail ». Les leçons de 2008 n’ont pas été retenues par tout le monde. Le gouvernement britannique a d’emblée refusé d’intervenir, opposant une fin de non-recevoir très nette aux syndicats qui demandaient une aide. Seuls les voyageurs anglais auront droit à une aide au rapatriement. Pour les voyageurs d’autres nationalités, chacun fera avec ses propres moyens. Pour la France, c’est l’Association professionnelle de solidarité du tourisme qui prendra en charge les vols retours de nos compatriotes. Pour le remboursement des voyages, ce sera du cas par cas, en fonction de ce que Thomas Cook a déjà payé aux compagnies de transport et hôtels. Des images de voyageurs, parfois avec des enfants, prostrés à l’entrée de leurs hôtels, tournent sur les réseaux sociaux.

Bien entendu, il faut compatir pour les travailleurs qui vont perdre leur emploi, et suivre de près les transports de retour pour ceux qui sont partis. Bien sûr, on peut montrer de la peine pour ceux qui voient partir en fumée des mois d’économies. Mais la chute de Thomas Cook reste en soi une bonne nouvelle.

Le tourisme low cost promu par Thomas Cook est parfaitement nocif. Il se fait au détriment des populations locales, pour des prestations minables. Transportés dans des bétaillères, les voyageurs arrivent dans des centres de vacances hors-sol, où ils consomment de la nourriture industrielle. Tout y est artificiel, et les touristes ne visitent absolument pas le pays dons lequel ils sont : ils avancent dans un tunnel « marketé » où tout est sujet à un paiement. En aucune manière ils ne peuvent vraiment rencontrer la culture locale : les habitants réels sont chassés par les marchands, et les employés sont souvent importés de loin pour qu’ils cuisinent ou repassent sans broncher, pour une misère, histoire de tirer encore les prix à la baisse.

Les centres de vacances paradisiaques vendus sur papier glacé, sur lesquels l’eau ressemble à du bleu Stabilo, sont des antichambres de l’enfer. Enfer pour les touristes qui y sont considérés comme du bétail à traire un maximum, enfer pour les employés, et enfer pour les populations, dépossédées de leur territoire devenu un zoo.

Les sites Internet auront eu raison de ce mode de voyage et on ne va pas le pleurer. Bien sûr, l’arnaque est toujours présente et le sera tant qu’il y aura des hommes. Mais la chute de l’entreprise qui a systématisé cette machine à argent en industrialisant le voyage est une bonne nouvelle. C’est une petite secousse tellurique dans la colonne vertébrale de la mondialisation libérale. Gageons que les voyageurs déçus retournent avec prudence aux charmes de l’exploration de leur propre pays, restaurant une authenticité qui se faisait cruellement absente. •

Benoît Busonier – Présent

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