Pourquoi les successions d’artistes célèbres se passent souvent si mal?

 

Les successions d’artistes, comme celle des peintres Pierre Bonnard, Marc Chagall et Pablo Picasso et celle du sculpteur Alberto Giacometti, ont fait l’objet de procès retentissants. Comme les successions Peggy Guggenheim, Georges Bernanos, et tant d’autres… Des procès qui montrent que le droit est inadapté à la succession des artistes

Et si aujourd’hui, le droit apparait totalement inadapté à la situation des artistes, c’est pour deux raisons principales… D’abord le manque de rationalité des artistes, peu intéressés par l’organisation de leur succession. Il faudrait pourtant qu’ils puissent, comme le souligne ce proverbe de notaire, régler ces questions « à froid quand on est chaud et non plus à chaud quand on est froid ». L’autre raison de ces procès à répétition, ce sont les règles juridiques particulières régissant la transmission des œuvres artistiques. En effet, le droit d’exploitation d’une œuvre n’est valable que pendant 70 ans après la mort de l’auteur. Au-delà, l’œuvre tombe dans le domaine public. Cela influe forcément sur le triple droit des héritiers : droit moral, droit patrimonial et droit de suite.

Au titre du droit moral, ses héritiers légitimes ou testamentaires ont en effet le pouvoir de veiller au respect du nom et de la qualité de l’œuvre jusqu’à la divulgation de celle-ci. Ils sont les gardiens «naturels de la mémoire » de l’Artiste. C’est un droit totalement distinct des droits patrimoniaux et il peut être dévolu à toute personne au choix de l’artiste. Explosif, d’autant plus que le code de la propriété intellectuelle prévoit que, sauf disposition testamentaire contraire, ce droit est dévolu au conjoint survivant et non aux enfants héritiers réservataires. De plus, ce droit n’est pas reconnu dans tous les pays, notamment aux USA, comme on l’a vu lors de la succession du sculpteur Arman.

Il existe aussi un droit patrimonial qui prévoit un droit de reproduction et un droit de représentation de celle-ci. Ce droit s’ajoute aux règles du droit civil et à celles du droit de la propriété intellectuelle. De plus, l’article L123-6 du code de la propriété intellectuelle prévoit pour le conjoint non divorcé, non séparé de corps, un droit d’usufruit sur l’exploitation de l’œuvre qui peut se cumuler, ou pas, au droit d’usufruit accordé au conjoint par le code civil. Enfin, il existe aussi un droit de suite, c’est-à-dire le droit de percevoir un pourcentage sur le prix de revente d’une œuvre d’art graphique ou plastique jusqu’à 70 ans après le décès de l’artiste. C’est une notion inconnue dans de nombreux pays.

Au final, ces trois étages de droits s’entrecroisent de manière confuse : il conviendrait de trouver des solutions pour éviter les conflits. La première étape considérait à faire clarifier par les artistes eux-mêmes, de leur vivant, leurs souhaits sur la façon dont ils veulent transmettre leurs droits et les exercer. Mais au-delà, il est aussi temps, semble-t-il, de refondre entièrement l’arsenal juridique à la disposition des artistes. Pourquoi, par exemple, le droit d’usufruit réservé au conjoint de l’artiste décédé résulte-t-il d’un texte du 11 Mars 1957, et ne tient-il pas compte de toutes les réformes sur le statut du conjoint, qui sont intervenues après ? Au moment où les Tribunaux manquent de moyens humain et matériel, il y aurait urgence à supprimer, de fait, un certain nombre de ces litiges, grâce à une législation modernisée.

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