Expo: Dessiner le quotidien, la Hollande au siècle d’or

Puisque l’exposition « Vermeer et les maîtres de la peinture de genre » du Louvre est quasiment inaccessible en raison de l’affluence – à moins d’une ténacité de plusieurs heures, voire d’un entêtement –, pourquoi ne pas monter un étage et se délecter de dessins de cet inépuisable XVIIe siècle ? Sur le thème « Dessiner le quotidien » ont été rassemblés des dessins sortis des portefeuilles du Louvre, de l’école des beaux-arts de Paris, du Petit Palais (le fameux legs Dutuit de 1902), des musées de Dijon, Besançon, Rennes…

Le découpage se fait par sujets : le monde des villes avec la vie domestique, le travail, les divertissements et le monde militaire ; le monde rural et maritime avec sa vie domestique et ses labeurs, ses marginaux et ses scènes d’auberge. C’est donc un « portrait » de la société hollandaise, portrait telle qu’elle était, telle qu’elle se voyait, sûrement aussi telle qu’elle voulait être. Si certains artistes se sont spécialisés dans des sujets, beaucoup ont croqué bien des aspects de cette vie, avec ses prosaïsmes, ses grandeurs cachées ou ses ridicules, dans l’idée que le quotidien était en lui-même une réalité assez haute et passionnante pour mériter d’être fixé en quelques traits. Traits de croquis pour une chose vue dans la rue ; mais aussi dessins plus poussés, préparatoires à des gravures ou des tableaux ; et encore dessins soignés ou colorés, destinés à la vente en tant que tels, car les amateurs éclairés ne manquaient pas. C’est dire si l’exposition du Louvre est variée questions sujets, questions techniques et questions artistes (plus d’une quarantaine).

A tout seigneur, tout honneur : Rembrandt est là avec quelques dessins, dont la remarquable Femme à la fenêtre qui fixe une attitude et raconte une petite histoire en dix traits de plume et cinq coups de lavis vivement posés. Nous sommes dans le croquis extrême, si je puis dire. A l’inverse, deux dessins à la plume de Willem de Heer (Bohémiens lors d’une fête villageoise et Vagabonds au repos) sont de véritables compositions réfléchies, minutieusement exécutées mais sans sécheresse. Entre les deux, on a un Jan van Goyen qui, à la pierre noire et au lavis, obtient un effet de croquis sur le vif assez travaillé (Berge d’un canal avec une maison de pêcheur, Large rivière traversée par un bac). On voit sa main passer, légère et alerte, d’un pignon entuilé à un marin poussant sa gaffe, tout en s’arrêtant pour esquisser le feuillé d’un vieil arbre au bord de l’eau.

Ancêtres et soirées crêpes

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Rembrandt, Femme à la fenêtre. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. © RMN Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot

Les dessins d’Adriaen Brouwer, grand spécialiste des scènes paysannes, sont rares, en tout cas rares à être authentifiés. Deux feuilles sont présentées, des études de personnages dans des activités variées (paysans se battant, père torchant son fils, buveurs se disputant…). Ces figures sont étonnantes car réduites à des traits et des taches mais vigoureusement expressives. Si l’on voulait comparer, ce serait avec des mangas d’Hokusaï – et si l’on voulait extrapoler on y verrait un ancêtre de la bande dessinée belge du XXe siècle. Pas seulement avec Brouwer d’ailleurs : les dessins de Van Ostade (élève de Franz Hals comme Brouwer) font penser eux aussi parfois à la bande dessinée avec leurs personnages trapus, fourmillants, leurs activités dans des décors riches en détails variés. On songe à ce que disait Franquin du décor en bande dessinée : « Il faut que les décors soient relativement poussés. Je me dis toujours que dans une BD le lecteur doit pouvoir s’imaginer qu’il se promène dans le décor. » (Interview disponible sur le site auracan.com.) Force est de constater qu’on se promène de la même manière dans les décors de Franquin et dans ceux de Van Ostade et consorts.

Deux ou trois intérieurs de Van Ostade illustrent particulièrement ce propos : Intérieur avec une vieille femme épluchant des pommes – et l’aïeul qui somnole auprès du feu, l’homme qui fume la pipe ; La faiseuse de crêpes, croquis décliné en un dessin plus abouti qui devient La cuisine en sous-sol, avec son activité, ses objets familiers, son désordre sympathique. Confesserais-je mon grand intérêt pour les crêpes ? Il y a une autre « faiseuse de crêpes » exposée, dessin au crayon traditionnellement attribué à Gabriel Metsu. Il m’a immédiatement rappelé un tableau vu à la Pinacothèque, de la collection Kremer, et qui en illustrait dans Présent le compte rendu (12 novembre 2011), la Femme préparant des crêpes, attribué à « l’entourage de Metsu ». Entre le dessin et la peinture, il y a des différences mais minimes, telles qu’on en constate souvent entre le croquis et l’utilisation qu’en fait le peintre. Des crêpes… voilà qui renvoie encore à Franquin et à des planches de Modeste et Pompon ou Gaston Lagaffe.

C’est encore un décor où déambuler, mais extérieur, que celui du Joueur de cornemuse devant une auberge, de Van Ostade. Plume et encre, c’est du dessin, mais aquarellé de façon soignée c’est presque une peinture. Van Ostade eut comme élèves Cornelis Bega (très beaux crayons d’homme tenant une chope ou d’une femme ivre affalée) et Cornelis Dusart. Ce dernier obtient des effets presque dramatiques au lavis (figures de colporteurs : marchande d’oublies, de poisson, marchand de balais), à la plume il est l’héritier de Van Ostade. Ainsi La poupée nous montre encore un intérieur modeste et plein de vie, le père a rapporté du marché une petite poupée qu’il tend à un nourrisson dans les bras de sa mère. Tout le monde est rabulotté autour du feu, chien compris – et nous avec eux, a-t-on le sentiment, tant les artistes hollandais ont su rendre la proximité des sujets qu’ils choisissaient.

Dessiner le quotidien, la Hollande au siècle d’or. Jusqu’au 12 juin 2017, musée du Louvre.

Tableau en Une
Adriaen van Ostade, Joueur de cornemuse devant une auberge. Petit Palais, musée des beaux-arts de la ville de Paris. © Petit Palais / Roger-Viollet

Samuel Martin

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