Au nom du père / L’histoire de Gerry Conlon

Quinze ans de sa vie lui ont été volés. Gerry Conlon est décédé auprès des siens, samedi, à Belfast, à l’âge de 60 ans. Symbole malgré lui d’une justice anglaise expéditive dans les années 1970, il se sera toujours battu pour que justice soit faite, pour lui, pour ses proches, mais aussi pour tous les prisonniers d’opinion ou victimes d’arrestations arbitraires.

Le tragique destin de Gerry Conlon débute à Belfast, le 5 octobre 1974. Ce jour-là, l’Armée républicaine irlandaise provisoire (IRA) fait exploser des bombes dans deux pubs de Guildford, au Royaume-Uni, tuant cinq personnes et en blessant soixante-onze. Depuis la fusillade du «Bloody Sunday» du 30 janvier 1972 qui avait 14 morts parmi des manifestants pacifistes à Derry, en Irlande du Nord, l’heure est à la guerre civile: l’IRA multiplie les attaques et les attentats, d’abord en Irlande du Nord, puis sur le territoire anglais. L’opinion publique veut des coupables, et vite. Gerry Conlon est un adolescent de 19 ans sans histoire, qui vit entre Belfast à Londres. Sa tante vit à Guildford et c’est chez elle qu’il se trouve quand il est arrêté par la police, en novembre. Il est suspecté avec trois de ses amis –on les appellera plus tard les «Les Quatre de Guildford»- d’avoir commis des attentats pour l’IRA.

Après trois jours d’interrogatoire «musclé», il signe une déclaration, sous la contrainte, expliquant qu’il est bien l’un des auteurs de l’attentat de Guildford, et que sept membres de sa famille, ainsi que trois de ses amis sont également impliqués. Gerry Conlon n’a pourtant pas le profil de l’emploi. Il n’est pas lié à une organisation séparatiste irlandaise et était même dans le collimateur de l’IRA pour quelques menus larcins. A l’automne 1975, il est condamné avec ses amis Paul Hill, Paddy Armstrong et Carole Richardson pour «meurtre et conspiration». Le juge John Donaldson aura même cette phrase terrible: «Si vous pendre était encore possible, vous auriez été exécuté».

Le 4 mars 1976, «les sept Maguire» seront eux condamnés pour possession d’explosifs à des sentences allant de 4 à 14 ans de prison. Parmi eux, Patrick Conlon, dit Guiseppe, le père de Gerry, qui mourra en prison en 1980. En octobre 1977, un premier appel est rejeté. En 1988, grâce au combat de l’avocate Gareth Peirce, que l’on retrouve aujourd’hui aux côtés de Julian Assange, l’enquête est rouverte. Parmi les fausses déclarations et les alibis même pas pris en considération, un témoignage important avait été caché par la police britannique, démontrant que les «quatre de Guildford» ne se trouvaient pas sur les lieux de l’attentat. Le 19 octobre 1989, ils sont libérés. Gerry Conlon n’exulte pas dans les médias: «J’ai été en prison pendant 15 ans pour quelque chose que je n’ai pas fait, pour quelque chose dont je ne savais rien (…) J’ai vu mon père mourir dans une prison britannique pour quelque chose qu’il n’a pas fait.» En 2005, Tony Blair, alors Premier ministre britannique, présentera ses excuses aux «quatre de Guildford» et aux «sept de Maguire».

Cette terrifiante histoire a fait l’objet d’un film magnifique de Jim Sheridan, «Au nom du père», adaptation de son autobiographie parue en 1990 sous le titre «Proved Innocent» (déclaré innocent), qu’il avait écrite à sa sortie de prison. Daniel Day-Lewis lui donnait ses traits alors que le groupe irlandais U2 chantait sa rage d’avoir perdu sa jeunesse derrière les barreaux sordides d’une prison d’exception anglaise. Le succès du film ne lui avait pourtant pas redonné le sourire qu’il avait perdu sous les privations de ses geôliers. Longtemps dépressif et alcoolique, il avait admis avoir fait de nombreuses tentatives de suicide dans une interview accordée au «Guardian». Mais il était resté un homme d’honneur, militant actif contre toutes les injustices judiciaires. Il avait notamment fait campagne pour la libération des prisonniers britanniques incarcérés à la prison américaine d’exception de Guantanamo, à Cuba.

Dans un communiqué rendu public par l’avocat de la famille, ses proches lui ont rendu une dernière fois hommage. «Il nous a aidés à survivre alors nous n’étions pas censés survivre. (…) Il a contraint le monde à ouvrir les yeux face à l’injustice. (…) Nous croyons qu’il a changé le cours de l’histoire. Nous le remercions pour sa vie et nous remercions tous ses nombreux amis pour leur amour.» «Il a apporté la vie, l’amour, l’intelligence, l’esprit et la force de notre famille à travers ses heures les plus sombres», a ajouté sa famille.

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