Bastien-Thiry, sa mort a sonné le glas de l’Algérie française

A l’âge de dix ans, voir ses parents pleurer est un événement à la fois étonnant et affolant. C’est ce qui m’est arrivé. Et c’est ce qui est arrivé à bien des enfants de ma génération, à l’annonce de l’assassinat légal du colonel Jean Bastien-Thiry. Jusqu’à la dernière heure, ces hommes et ces femmes pour qui le maintien des départements algériens dans la communauté française avait constitué la cause la plus importante de leur existence, espéraient encore une grâce présidentielle, ou mieux, l’attaque d’un commando Delta et la libération du jeune officier.

Hélas, en ce temps-là, les plus décidés étaient déjà en prison ou en exil ; en ce temps-là, les prisonniers étaient bien gardés et ne pouvaient « s’évader pendant une permission de sortie » ; en ce temps-là, il n’y avait pas de circonstances atténuantes. Et ceux qui craignaient le pire apprirent par la radio, le 11 mars au matin, que le colonel Jean Bastien-Thiry avait été passé par les armes.

Oh, les commentateurs ne se réjouissaient pas plus que cela de cette mesure. Même les militants pro-FLN les plus enragés ne pouvaient s’empêcher de penser que Bastien-Thiry n’avait pas mérité cela, que sa femme et ses trois filles étaient les victimes d’une « raison d’Etat », qui était surtout le choix de de Gaulle.

L’avocat Olivier Sers, à qui l’on doit cette petite biographie de Jean Bastien-Thiry aux éditions Pardès est surtout connu pour ses traductions des auteurs latins. Son travail sur les classiques fait autorité chez les latinistes. Et c’est une énorme surprise de découvrir que cet érudit, qui a traduit, commenté, remis dans son contexte, des auteurs comme Ovide, Sénèque, Lucrèce, Virgile, Pétrone, Catulle ou Juvénal, et que l’on imagine ayant vécu reclus toute sa vie, entouré de vieux grimoires, fut aussi, dans sa jeunesse, un ardent militant de l’Algérie française, qui connut les prisons. Oui, c’est le même Olivier Sers. C’est le même Olivier Sers, très respecté dans sa profession d’avocat, qu’il exerça quarante années. C’est le même Olivier Sers à qui l’on doit la biographie d’un autre avocat, Stephen Hecquet, mort à 40 ans, non sans avoir laissé une œuvre littéraire importante.

Olivier Sers pour nous parler de Bastien-Thiry ? Pourquoi pas ? Il participa à son action, il fut de l’aventure de l’OAS. Et son regard est donc aussi celui d’un témoin.

« Engagement à fond à la lumière du plan divin »

Sur Bastien-Thiry, plusieurs livres essentiels ont été publiés au cours des 55 années écoulées, depuis son sacrifice du 11 mars 1963. Il y a le livre très émouvant de son frère Gabriel (décédé en 2016), celui de Jean-Pax Méfret (paru en 2003), et les livres consacrés plus spécialement à l’OAS et à l’attentat du Petit-Clamart, par exemple le palpitant témoignage de Lajos Marton (Il faut tuer de Gaulle). Je possède aussi l’ouvrage paru aux éditions Albatros en 1973 qui comporte de nombreux témoignages sur Bastien-Thiry (François Brigneau, Antoine Blondin, Michel Déon, etc.) et qui s’ouvre sur un texte de Geneviève Bastien-Thiry, son épouse. Mon exemplaire m’est précisément dédicacé par Geneviève, avec cette phrase, placée en exergue : « L’engagement à fond dans cette vie, à la lumière du plan divin. »

Olivier Sers ne prétend pas renouveler notre connaissance de la vie de celui qui faillit réussir à éliminer de Gaulle, mais il sert sa mémoire. Il nous fournit le condensé d’un destin sacrifié pour ce qui fut, pour nous, Français, la plus noble des causes de l’après-guerre. Il relate un itinéraire intellectuel qui allait conduire ce polytechnicien jusqu’au peloton d’exécution.

Marcel Aymé, qui n’était pas du même monde, a bien résumé la grandeur de Bastien-Thiry : « J’admire qu’un homme aussi dépourvu d’ambition que de vanité ait résigné ses plus naturels et ses plus chers intérêts pour accomplir ce qu’il croyait être son devoir de citoyen, qu’en face de ses juges il ait tranquillement accusé le seul homme de qui il aurait pu attendre la vie sauve. » De Gaulle a dit de lui (à Alain Peyrefitte, qui le rapporte), avec cette dose de cynisme et de dureté qui le caractérisait : « Bastien-Thiry avait quelque chose de romantique. Ce sera un bon martyr. » Olivier Sers préfère pour sa part le qualifier de « dernier Résistant de France ».

Bastien-Thiry, Olivier Sers, éd. Pardès, coll. « Qui suis-je ? », 128 p., 2018.

Francis Bergeron – Présent

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