Le « winner » macroniste est un mythe à détruire

Pour désunir un peuple, la meilleure méthode reste d’instaurer des clivages fictifs en son sein. Ainsi notre époque est-elle marquée par des oppositions factices. On songe bien sûr à celle opposant les femmes et les hommes. On pense moins à celle confrontant l’électorat LREM et celui du RN.

« Winner » macroniste contre « loser » frontiste

Les Européennes du mois de mai dernier ont dessiné le portrait des électeurs LREM, que l’on pourrait sommairement résumer ainsi : l’électorat Macron est celui des personnes âgées et des cadres CSP+ (catégories socio-professionnelles supérieures) vivant dans les grandes villes. A première vue, tout semble effectivement opposer cet électorat à celui du Rassemblement national, traditionnellement celui des classes moyenne et populaire déclassées de la France périphérique, dont la sociologie, globalement plus jeune que celle des électeurs LREM, correspond à peu de choses près à celle du mouvement des Gilets Jaunes.
Mais ces clivages électoraux et sociologiques ne constituent pas une vérité absolue. Les électorats Macron et Le Pen sont réunis par un même dénominateur commun : ce sont des Français, ils sont issus du même peuple. A ce titre, ils ont bien plus à partager qu’il n’y parait. Considérés comme les « winners » de la mondialisation, les CSP + des grandes villes votant Macron sont souvent présentés par les instituts de sondage comme des personnes confiantes en l’avenir, à l’aise dans leur époque. Par opposition avec l’électeur RN pessimiste, passéiste et réfractaire. Ce portrait bien idyllique de l’électeur Macron ne résiste pourtant pas à 3 grands mouvements sociologiques à l’œuvre aujourd’hui.

1) Face au coût de la vie : la mise en périphérie

Face à l’explosion des prix de l’immobilier, les CSP + qui souhaitent avoir des enfants sont majoritairement obligés de quitter les grandes villes. A Paris, acheter un 5 pièces suppose d’être millionnaire. De quoi s’interroger sur la confiance en l’avenir des futurs parents contraints de s’exiler pour bâtir leur projet familial. Récemment, un article du Monde évoquait le phénomène des « classes moyennes parisiennes en voie de disparition à Paris ». En fait de classes moyennes pour Paris, il faudrait plutôt parler de classes aisées pour le reste de la France (l’article cite comme exemple une famille touchant 5000 euros par mois), c’est-à-dire de classes qui sociologiquement correspondent au cœur de l’électorat Macron. A l’instar des électeurs RN, en quittant Paris pour la banlieue ou la province, ces CSP +, eux aussi, se « périphérisent ».

2) Face à l’immigration : la stratégie d’évitement

Face à l’immigration, les cadres CSP + adoptent la plupart du temps la stratégie de l’évitement : choix de vivre dans un quartier préservé quitte à payer le double du loyer des logements proches de quartiers immigrés, des écoles privées payantes pour les enfants… Tous ces phénomènes bien décrits par Thibaut Damilly participent à augmenter le coût de la vie d’une population qui paye toujours plus pour préserver son cadre de vie. Pourtant, payer pour se préserver de l’immigration n’est pas une fatalité. Face à l’immigration, une solution politique est encore possible. Elle permettrait même aux CSP+ de vivre bien mieux en profitant du fruit réel de leur travail.

3) Les hommes blancs ont fait leur temps

Face aux mouvements intersectionnels bien déterminés à prendre leur place (minorités ethniques, féministes, LGBT…), les hommes blancs cadres des grandes entreprises sont les premières cibles. Ce sont eux qui subissent en priorité la discrimination positive et les restrictions de leur liberté d’action et de parole dans le monde du travail. A moyen terme, combien subiront une perte d’emploi, un refus d’embauche, une rétrogradation ou une mise au placard au motif « qu’ils ont fait leur temps » et que leur entreprise « manque de diversité » ? Des menaces qui, au fil des années et de leur vieillissement, pèseront de plus en plus lourd sur eux.

Identité factice contre identité véritable

La force des faux clivages consiste à inoculer une identité factice pour mieux faire oublier à un individu son identité véritable. Comme il y a aujourd’hui un aspect faussement identitaire à se prétendre féministe, il y a un aspect faussement identitaire à se prétendre électeur Macron sur fond d’auto-persuasion et de valorisation de soi : cette qualité permet d’endosser les traits d’une personne moderne, confiante en l’avenir. Par contraste avec le « loser » frontiste, vous êtes un gagnant de la mondialisation, quand bien même vous subissez chaque jour ses conséquences (immigration de masse, villes-mondes transformées en villes-musées où il est impossible de loger une famille, tensions raciales subies dans l’espace public et les entreprises).

Car contrairement aux apparences, les CSP + des grandes villes sont objectivement plus dans une logique de résistance que d’adhésion aux phénomènes sociologiques et démographiques en cours. Et c’est parce qu’ils parviennent encore à résister que les leviers de leur vote ne sont pas les mêmes que ceux de l’électorat RN. Un seuil de résistance qui, sur le temps long, ne peut néanmoins que s’effriter.

Nous sommes tous en voie de « périphérisation »

La France périphérique ne désigne pas une réalité sociologique figée mais un phénomène en mouvement : hormis une infime minorité de la population, nous sommes tous en voie de « périphérisation » et nous sommes tous la France périphérique de quelqu’un. Nous subissons tous les dommages de la mondialisation : il y a simplement une différence de degrés (parfois très nette, certes), mais pas de nature. Même dans les classes aisées, le mythe du véritable « winner » de la mondialisation macroniste ne concerne ainsi qu’une minorité d’une minorité, celle des plus riches des riches, des plus mobiles, des plus déracinés… mais celle qui ne pèse pas numériquement.

On peut bien évidemment médire sur ces CSP + électeurs de Macron qui semblent plus penser à leur portefeuille qu’au destin de leur peuple. On peut très justement pester contre leur égoïsme et leur hypocrisie. Mais c’est une erreur de penser que nous avons affaire à un électorat figé aux préoccupations opposées à celles du reste de la population. Cet électorat est le barrage grâce auquel Macron tient. On aurait dès lors tort de valider définitivement une opposition factice entre membres d’un même peuple menacé de péril.

Cyril Raul – Polémia

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