[Humour] La journée d’un commissaire politique soviétique dans les années 1930

– 5h30 du matin : Après une heure de sommeil, je me réveille en faisant attention à ne pas mettre le pied dans le seau à charbon que m’a octroyé le comité populaire au ravitaillement de Moscou.

– 5h31 : Je regarde le portrait du Grand Camarade Staline affiché au mur et je déclame un poème à sa gloire pendant dix minutes.

– 5h45 : Après avoir chaussé mes bottes ( je dors tout habillé si on m’appelle pendant la nuit), je me débarbouille le visage avec de la neige que je recueille sur le bord de ma fenêtre.

– 5h48 : Je fais chauffer mon petit samovar avant de verser de l’eau chaude dans un assiette.

– 5h53 : J’avale ma vodka et ma soupe du matin faite de beaucoup d’eau chaude et d’un petit morceau de pain. Le Grand Camarade Staline insiste pour que nous mangions frugalement et non pas comme des bourgeois décadents occidentaux.

– 6h00 : Par un froid vivifiant, je rejoins à pied et en transport en commun mon centre de district. Le Camarade Staline aime que nous nous rendions au travail à pied et en transports du peuple. Il n’y a que les bourgeois capitalistes qui roulent en véhicules individuels.

– 6h23 : J’entre à la porte du district après avoir réveillé le gardien qui dort comme un sale bourgeois au lieu de surveiller le bâtiment, forteresse du Peuple de l’Union Soviétique. 

– 6h27 : J’arrive à la porte de mon chef de section. J’attends 6h30 pour frapper afin de ne pas être accusé de sabotage parce que je serai arrivé trop tard.

– 6h31 : Je me décide à frapper après 6h30 pour ne pas être accusé d’espionnage parce que je serai arrivé trop tôt.

– 6h32 : Mon Camarade chef de section qui était en train de s’avaler la moitié d’une bouteille de Vodka me sermonne durement pour être arrivé une minute en retard.

– 6h38 : Après m’avoir sermonné, mon Camarade chef de section m’ordonne de me rendre au bureau central pour recevoir mon ordre de mission. Sur ce, il se ressert de la vodka et commence à manger du caviar.

– 6h43 : J’arrive dans le couloir du bureau central pour recevoir ma mission. Il y a déjà du monde.

– 7h15 : Après avoir patienté avec les Camarades en discutant des grands projets du Génial Camarade Staline, je suis reçu par les Camarades du bureau central. 

– 7h21 : Après que les Camarades m’aient parlé des décisions géniales et éclairées du Grand Camarade Staline, je reçoit ma feuille de mission qui fait cent pages. Quatre-vingt dix neuf pages et-demie sont en fait un génial discours du Grand Camarade Staline que je dois prononcer dans plusieurs endroits de notre glorieuse capitale.

– 7h28 : Je quitte le bureau central pour sortir du siège du comité afin de prendre les transports du peuple.

– 7h32 : Je prends un bus du peuple pour me rendre dans une usine de fabrication de fourchettes.

– 7h49 : Le bus tombe en panne. C’est sans doute un sabotage d’éléments contre-révolutionnaires tsaristo-trotskisto-fascistes alliés aux Capitalistes et aux Popes réactionnaires. Je sors, désigne cinq suspects au hasard et les remets à la milice du NKVD pour sabotage. Je désigne ensuite des volontaires pour pousser le bus jusqu’à l’usine. Je reste auprès du chauffeur au cas où celui-ci aurait des velléités contre-révolutionnaires.

– 8h21 : Le bus arrive à l’usine. Je sors du bus après avoir instruit le chauffeur. J’arrive à l’usine et ordonne au responsable de rassembler les Camarades Ouvriers.

– 8h39 : J’arrive au centre de la chaîne de montage au milieu des Camarades Ouvriers, fer du marteau de la Révolution Socialiste. Je commence à lire le génial et émouvant du discours du Grand Camarade Staline.

– 10h40 : J’achève le génial discours du Grand Camarade Staline. Au passage, je fais arrêter deux ou trois éléments contre-révolutionnaires alliés aux anarcho-trotskistes qui s’étaient volontairement endormis pendant que je parlais.

– 10h41 : Les Camarades ouvriers prolétaires commencent à applaudir le discours.

– 11h01 : J’ordonne aux braves camarades ouvriers d’arrêter d’applaudir. Au passage, j’ordonne de fusiller ceux qui se sont arrêtés d’applaudir avant 11h00.

11h02 : Un Camarade me pose une question. Il me demande si on peut avoir plus de pain à la pause de midi.

Je lui rétorque qu’il pense comme un petit bourgeois et le fait arrêter par le NKVD pour subversion et acte de dissidence envers Notre Glorieuse Patrie.

– 11h12 : Je me rends compte que j’ai très soif.

– 11h18 : Je vais voir le responsable de l’usine et lui confisque sa bouteille de vodka.

– 11h30 : J’ai la tête qui tourne. Je vais faire une sieste

– 14h12 : Je me réveille et j’ai atrocement mal à la tête. Je jure de faire exécuter le fabricant de vodka.

– 14h13 : Je reprends un bus – après avoir fait arrêter trois suspects qui pouvaient saboter le moteur – pour me rendre dans une conserverie de caviar.

– 14h48 : Le bus arrive à l’usine et n’a pas eu d’accident. Je fais tout de même arrêter trois autres suspects par précaution.

14h50 : J’entre dans la conserverie de caviar.

– 14h52 : Je commence à lire aux Camarades ouvriers les discours génial du Grand Camarade Staline.

– 17h00 : J’achève le discours. Je fais arrêter les comploteurs contre-révolutionnaires qui s’étaient pernicieusement endormis.

– 17h01 : Les Camarades ouvriers commencent à applaudir.

– 17h31 : Les Camarades ouvriers cessent d’applaudir. Bien évidemment, je fais arrêter tous ceux qui se sont arrêtés d’applaudir avant 17h30.

– 17h33 : Je me rends compte que j’ai un peu faim et réquisitionne une boîte de caviar. Une ouvrière s’approche de moi et me dit : “Camarade Commissaire pourrions-nous avoir une petite pause l’après-midi.” Je la traite de sale bourgeoise trotskisto-zinovievo-kaménéviste et lui ordonne de retourner au travail si elle ne veut pas que j’expédie ces enfants, futurs comploteurs en herbe, au goulag.

– 17h41 : Après avoir mangé comme un vrai prolétaire, je reprends le bus pour me rendre à une réunion de district. Je prends encore quelques suspects de sabotage au hasard. Plus personne dans le bus, j’ordonne au chauffeur de me conduire au bureau de district.

– 17h53 : le bus tombe en panne. Je menace le chauffeur de l’exécuter s’il ne fait pas quelque chose. Il me rétorque que c’est parce que le Comité d’Inspection des Carburants pour les Transports du Peuple ne l’a pas livré la semaine d’avant.

– 17h54 : Je conduis le chauffeur au siège du NKVD le plus proche pour interrogatoire.

– 18h10 : Je décide de me rendre à la réunion en courant. Le Grand Camarade Staline aime quand nous faisons du sport, vertu pour la santé des prolétaires.

– 18h45 : J’arrive au lieu de la réunion pile à l’heure. Je prends ma place aux côtés de plusieurs camarades commissaires qui s’adressent à un rassemblement de camarades prolétaires ouvriers et fonctionnaires.

– 19h55 : C’est à mon tour de prendre la parole. Je prononce un éloquent discours sur les travaux géniaux du Grand Camarade Staline, sur l’industrie du caviar soviétique qui écrase toutes ses concurrentes capitalistes grâces au sacrifice des ouvriers et sur les succès de la lutte contre les ennemis contre-révolutionnaires trotskisto-tsaristo-capitalistes, qui ont infiltré les usines avec l’aide d’agents fascistes et capitalistes allemands, roumains, français, finlandais, hongrois, anglais, suisses , polonais et japonais.

– 21h04 : J’achève mon discours et j’ai encore très soif.

– 22h23 : La réunion s’achève et les autres camarades commissaires décident d’aller dîner.

– 22h36 : On commence à dîner avec un choux, des pommes de terre et du pain noir. Bien sûr, on boit de la Vodka.

– 23h47 : Le repas s’achève et j’ai encore mal à la tête.

– 00h15 : Je rentre faire mon rapport au siège du Comité Central du District.

– 00h49 : J’arrive au Comité Central du District où je réveille encore le gardien qui dort comme un sale bourgeois.

– 00h51 : Je veux faire mon rapport mais il n’y a qu’une machine à écrire disponible pour cinq commissaires politiques.

– 1h55 : Je peux enfin commencer mon rapport.

– 2h28 : Mon rapport est enfin terminé et j’ai encore très mal à la tête.

– 2h37 : Je monte glisser le rapport sous la porte de mon chef. Derrière la porte, j’entends qu’on s’amuse en chantant des airs d’opéras.

– 2h42 : Je décide de rentrer chez moi mais il n’y a plus de bus à cette heure-ci.

– 3h58 : Je suis enfin chez moi.

– 4h00 : Je déchausse mes bottes et récite un poème à la gloire du Grand Camarade Staline devant le portrait de celui-ci.

– 4h10 : Ému aux larmes pour la énième fois, je me mets au lit.

Voilà Camarades !

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2 Comments

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  • 0 / 10
  • Carmen , 27 juillet 2011 @ 20 h 28 min

    c’est… très ennuyeux?

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