A lire absolument/ Le diable est dans les détails (Vidéo)

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Marc-Olivier Fogiel est bien calé dans le fauteuil de l’émission de Laurent Ruquier: “On n’est pas couchés”. Il défend son livre intitulé “Qu’est-ce qu’elle a ma famille?”. Pour qui manquerait de lettres, ce titre semble renvoyer à feu Johnny Hallyday et à sa chanson “Qu’est-ce qu’elle a ma gueule?”. D’aucuns effectuent subtilement un clin d’œil à un vers de Victor Hugo ou à une expression de Chateaubriand pour choisir un titre de livre. “Marco”, comme il est appelé par Laurent Ruquier, a choisi son registre: son livre est placé sous le signe d’une chanson de variété.

   Il a également élu son registre sur le fond: c’est un discours particulier qui se présente, sans en avoir l’air, comme une histoire universelle. Du genre: j’ai vécu ceci, donc quiconque aurait à le vivre le vivrait comme cela. Ce récit autobiographique laisse entendre que l’impétrant qui connait cette expérience de la Gestation pour autrui (GPA) l’expérimente sous ces auspices roses et parfumés, remplis de petits oiseaux et de paillettes. Or, c’est une carte postale.

   Marco et son mari ont en effet eu recours à une mère porteuse qu’il refusent de nommer ainsi pour lui préférer un vocable qui évacue la mère: il s’agirait bien plutôt d’une femme porteuse… Cette préférence sémantique s’avère une préférence idéologique: la femme qui loue son utérus ne saurait être une mère, elle est une femme! Car la mère, ce seraient ici les deux pères…

 

 L’ARGENT : LOUER UN UTÉRUS

   De même, quand la référence à Pierre Bergé est avancée sur le plateau et que l’on rappelle que, pour cet homme qui se croyait esthète et dandy parce qu’il vivait avec des esthètes et des dandys, “louer son utérus ou ses bras c’est la même chose “, Marco prend bien soin de signaler qu’il n’est pas du tout d’accord et qui l’avait fait savoir en son temps au locuteur… sous prétexte qu’elle desservait la cause! Mais la totalité de l’émission montrera qu’il a beau dire qu’il se démarque de cette immonde assertion, il en fait son impératif catégorique. Comment comprendre, sinon, qu’il évacue la mère porteuse pour en faire une femme porteuse?

  Cette mère porteuse a été payée 18.000 dollars pour porter puis abandonner son enfant au couple de Marc-Olivier Fogiel, qui trouve la chose normale puisqu’il a payé pour cet abandon. Pas question de nommer ainsi clairement le réel. Ça n’est pas un salaire, ni une rétribution, ni une compensation, c’est un genre de potlatch qui permet le contre-don à ce don d’un enfant tiers. Un gentleman agreement en quelque sorte…

   Marco, comme il est dit, passe son temps à affirmer de leur mère porteuse, pardon, de leur femme-porteuse, qu’elle ne fait pas cela pour de l’argent puisqu’elle dispose d’une belle maison avec une piscine dans laquelle le couple des deux papas prend plaisir à se baigner lors des fêtes de fin d’années. Une autre carte postale est donc bien exhibée: ce ne sont pas des riches qui se paient un enfant auprès d’une femme pauvre, ce sont des amis qui font porter leur enfant à une femme qui ne fait rien d’autre de plus que ce que jadis les nourrices faisaient en allaitant les enfants des autres moyennant salaire! Cela fut en effet dit…

   Il faut penser le statut de nourrice en dehors de toute réalité historique et sociologique pour imaginer que ces pauvres femmes faisaient ce métier pour le plaisir de se faire sucer le sein et que le salaire ne comptait pour rien dans cette aventure! Elles étaient probablement juste mues par l’altruisme, pour faire plaisir aux riches. Qui peut croire pareille vilenie?

   L’argent compte pour si peu que Marco avoue naïvement qu’il ajoute en plus de la somme versée une enveloppe de 2.500 dollars à la mère-porteuse avant de partir avec son achat sous le bras… Juste parce que l’argent compte pour rien: il a payé, mais il paie encore, or c’est seulement pour prouver que la transaction s’effectue en dehors de tout argent! Il voulait montrer que l’argent comptait pour rien et que, pour preuve, cette femme a refusé le pourboire qu’on lui offrait en sus, mais il démontre le contraire de ce qu’il voudrait prouver: quand il souhaite signifier la relation qu’il a avec cette femme, c’est à une enveloppe de billets qu’il en confie le soin –bien qu’il ait passé tout son temps à nous dire que l’argent n’entrait pas du tout en ligne de compte.

   L’argent compte pour rien, mais c’est lui-même qui, pour le déplorer, donne l’exemple de couples homosexuels modestes qui, en France, se sont endettés toute la vie afin d’acheter deux enfants à des mères porteuses. Pourquoi vouloir dès lors nous faire savoir que la mère-porteuse, pardon, la femme-porteuse, n’est pas intéressée par l’argent, mais par autre chose dont on ne saura jamais quoi –probablement le pur altruisme désintéressé dont chacun sait qu’avec l’argent il est la chose du monde la mieux partagée! Je ne croirais à la thèse du geste désintéressé que quand ce geste sera vraiment désintéressé c’est-à-dire, tout simplement, quand cette transaction se fera sans qu’un seul euro soit versé, ni sous forme de salaire, ni sous forme de pourboire.

LA MATIÈRE : CHOSIFIER UN ETRE

   En dehors de l’argent qui n’est pas un problème comme chacun en est désormais convaincu, il faut également aborder la question de l’enfant –dont personne ne parle jamais… Il a été question pendant cette émission de tout, absolument tout, mais à aucun moment de l’enfant. Et c’est ce que je reproche à la GPA: outre qu’elle est, quoiqu’on dise pour noyer le poisson, la location du ventre d’une femme pour lui faire porter le matériel génétique d’un couple, elle réduit la chair à un vulgaire composé de cellules susceptible d’une marchandisation.

  Le matérialiste athée que je suis ne saurait accepter qu’on économise aussi facilement tout ce qui relève de l’âme ou de l’esprit –deux notions que je ne pense pas en chrétien ou en freudien, en religieux ou en lacanien, mais en matérialiste. Un enfant n’est que matière, certes, mais il dispose d’une matière plus subtile que celle de ses cheveux et de ses ongles: celle qui constitue son cerveau et son système neuronal, qui sont les lieux de son être et de sa subjectivité, de son identité et de sa personnalité. L’ancien combattant de deux AVC que je suis sait ce que l’être doit à sa seule substance neuronale: c’est la définition qu’un matérialiste donne de l’âme matérielle.

   La GPA marque le triomphe d’un matérialisme grossier, vulgaire, et le matérialiste que je suis ne saurait se réjouir de ce mauvais coup porté au véritable matérialisme qui est philosophique et pour lequel, tout étant matière, bien sûr, il existe des matières plus subtiles que d’autres –celles qu’on ne saurait remplacer dans un être sans l’abolir: on peut vivre avec un bras ou des cheveux en moins ou avec le cœur d’un autre, mais pas avec l’encéphale d’un tiers.

   Sur le plateau et, semble-t-il, dans son livre, Marc-Olivier Fogiel s’insurge contre un propos de Sylviane Agacinski pour qui la GPA relèverait d’une logique “vétérinaire”. J’ignore quand et où elle aurait dit cela, dans quelle circonstance, à quelle occasion, à l’oral ou à l’écrit,  dans un livre aux mots choisis ou lors d’un débat animé, mais je souscris: elle a raison d’utiliser ce mot qui choque alors que, là aussi et là encore,  la chose plus que le mot devraient choquer.

   Pas plus que l’enfant n’est un vulgaire assemblage d’atomes sans qu’on ait à se soucier des modalités spirituelles donc neuronales, neuronales donc spirituelles, d’assemblage de cette matière, le ventre d’une femme n’est un vulgaire utérus qui vaudrait dans l’attente d’un utérus mécanique qui permettra un jour l’ectogénèse, c’est-à-dire la grossesse sans utérus naturel avec l’aide d’un utérus artificiel. Aldous Huxley avait prévu tout cela dans “Le Meilleur des mondes”. Nous nous y rendons à vive allure.

   Ce matérialisme trivial et grossier, vulgaire et consumériste, pour tout dire capitaliste et libéral, aux antipodes du matérialisme philosophique que je défends, a donc idéologiquement besoin que la mère porteuse ne soit pas une mère, mais juste une femme… La mère n’est donc plus celle qui porte neuf mois un enfant, mais celui qui l’a acheté à celle qui l’a porté! Dans cette configuration, la mère peut être un père, voire deux. On ne peut mieux dire que l’enfant n’est pas le produit naturel d’une relation entre le spermatozoïde d’un homme et l’ovule d’une femme mais l’objet culturel d’une transaction commerciale entre un vendeur et un acheteur, un marchand et un consommateur. Ce contrat de location-vente permet à l’acheteur de prendre possession de son achat pour le nommer selon son caprice: la mère n’est alors pas une mère, puisque la mère c’est désormais un père sans mère. Nous évoluons dans ce que le marketing nomme le leasing.

   L’objectivation de l’enfant suppose donc en amont l’objectivation de la mère: il faut que l’un et l’autre soient des choses, comme des jouets, pour ceux qui n’ont aucun souci ni de la “mère”, que la sémantique évacue, ni de  l’”enfant”, qui n’existe pas pour lui, en soi, mais comme le marqueur d’un désir qui met en avant le droit d’avoir et de posséder un enfant plus que le droit de l’enfant à disposer d’une matière à se construire une identité sans troubles dans le genre.

  Car, qui dira que les enfants abandonnés et adoptés selon les vieux usages aient vécu la chose comme un long fleuve tranquille?  Qui dira également que les enfants issus de ce que le politiquement correct appelle depuis un demi-siècle des “familles recomposées”,  pour n’avoir pas à se soucier de ce que signifie d’abord être une “famille décomposée”, ont tous bien vécu la chose? Car toute famille qui parvient un jour à véritablement se recomposer n’économise jamais d’avoir été décomposée en amont. Et qui dit à quel prix ontologique pour les enfants?

   En cas de GPA, nul ne peut dire que, dans l’esprit de l’enfant qui ignore les raisons des adultes, perdre la liaison entre son père et sa mère s’avère une promenade de santé mentale et non une fracture dans l’être, une fracture dont on ignore les conséquences sur la constitution de son identité. Ce que j’ai vu ne m’a pas convaincu que les choses étaient si simples! Cette croyance empirique procède d’un narcissisme parental, mais nullement du souci de ce que l’enfant aura à faire pour se constituer une identité.

  Les tenants de la GPA ont beau arguer que, dans certains couples classiques, il existe aussi des bizarreries affectives, sentimentales, sociologiques, affectives: est-ce la preuve que la bizarrerie de ces vieux couples devrait servir de boussole aux bizarreries des couples post-modernes? Je crois qu’on devrait bien plutôt tirer des leçons de ce qui n’a pas marché dans le passé pour éviter de faire de ces  échecs un modèle pour le futur. La décomposition comme archétype de recomposition, voilà un bel exemple de nihilisme!

   L’artificialisation des naissances, l’éviction de la nature, le mépris de l’anatomie et de la physiologie, le déni de la biologie, tout cela procède d’une vision du monde urbaine et faussement culturelle, mais vraiment mondaine et vaguement de classe –et toujours nihiliste.

   C’est toutefois un médecin et un chirurgien que vont voir les transsexuels pour changer de sexe: lire Michel Foucault et Judith Butler, même à haute dose, ne suffit pas pour faire disparaître un pénis là où il y en a un, ou en apparaître un là où il en manque. De même avec les seins ou le système pileux: lire l’œuvre complète de l’auteur d'”Histoire de la sexualité” ne sera d’aucun effet pour faire advenir ou régresser des seins, pousser la barbe ou devenir imberbe. Il faudra contrarier la nature avec le traitement hormonal d’un endocrinologue auquel il faudra en plus adjoindre le bistouri d’un chirurgien. On ne saurait faire sortir la nature par la porte sans qu’elle ne revienne par la fenêtre.

   Je voudrais conclure avec l’un de ces détails qu’adore le diable. A la fin de l’émission, Marc-Olivier Fogiel a parlé avec une émotion non feinte de ses embryons congelés. Il aimerait bien convaincre son mari d’agrandir la famille, mais il semble qu’il n’y est pas chaud. Donc: que faire des embryons surnuméraires?

   Pour qui professe un matérialisme vulgaire comme lui, il devrait être facile de répondre: à la poubelle! Car, pour un homme qui estime qu’une femme peut porter neuf moins un enfant sans être mère parce que la physiologie, la biologie, l’anatomie, comptent pour rien, rien du tout, il peut paraître étonnant d’avoir la larme à l’œil quand il est question du destin d’une partie de son matériel spermatique congelé… Si la biologie d’une mère porteuse ne compte pour rien, alors pourquoi sa propre biologie tiendrait-elle autant de place? Parce qu’il a fourni un spermatozoïde et que ce serait bien plus déterminant qu’une vie intra-utérine de neuf mois? Chacun jugera d’une pareille vision du monde… Disons-là marcocentrée…

   D’un côté, une femme qui mène une grossesse jusqu’à son terme n’est pas une mère parce qu’elle porte dans son utérus un corps étranger, ontologiquement assimilable à un fibrome –je tiens à cette expression car elle résume bien la chose– qui ne lui appartient ni biologiquement (il a été implanté) ni juridiquement (il a été acheté), ni ontologiquement (il a été cédé par contrat), ni affectivement (il a été préempté); de l’autre, un garçon qui a donné son sperme dans lequel on a isolé un spermatozoïde sur des milliards, que l’on a associé sous un microscope à un ovule acheté et qui avoue avec émotion son attachement à sa pipette cryogénisée! Avec un enfant dans le ventre, une femme n’est pas une mère; mais avec un spermatozoïde associé à un ovule acheté et conservé dans un bain d’azote, un homme est déjà un père… Drôles de boussoles!

   Il paraît qu’en souscrivant à pareil raisonnement on montre qu’on est progressiste et qu’être progressiste assure qu’on a atteint le sommet de millénaires d’hominisation. On me permettra de préférer la raison à l’ancienne: celle dont on se servait pour éviter de déraisonner et qui a fondé une discipline qu’on a nommé pendant presque trois millénaires la philosophie.

   Conclusion. Penser la GPA en dehors des clous du politiquement correct expose à passer pour un homophobe. J’ai l’habitude et ne crains plus rien… Il existe en effet une batterie d’insultes pour disqualifier la personne du penseur afin d’éviter de critiquer l’argumentation de ce même penseur. Je les connais…

   Or les questions sont simples et méritent d’être posées sérieusement sans effets de communication médiatique: dans la GPA, y-a-t-il oui ou non location d’utérus pour porter les enfants d’autrui ?   Y-a-t-il oui ou non marchandisation et vente d’enfants ? Y a-t-il oui ou non objectivation du corps de la femme? Y a-t-il oui ou non éviction d’une âme matérielle dans l’être de l’enfant ainsi conçu? Y a-t-il oui ou non prise en compte des difficultés pour l’enfant à structurer son identité dans l’avenir ? Y a-t-il oui ou non un devoir à l’endroit de l’identité à venir de l’enfant qui doublerait le droit à avoir dans l’instant des enfants?

   Pour ma part, je réponds clairement à toute ces questions: il y a en effet location, vente, marchandisation, objectivation du corps des femmes et des enfants, il y a construction de la famille à partir de soi seul, mais pas de l’enfant qui sert dans ces cas-là de miroir aux Narcisses. Les enfants-rois sont désormais à même de produire un président de la République ou des parents-enfants qui paient pour réaliser leurs désirs: le virement bancaire est leur mode d’être au monde, ils achètent.

   Il n’est pas étonnant que l’on retrouve une même personne aux côtés d’Emmanuel Macron et de Marc-Olivier Fogiel: la fameuse grande prêtresse mondaine des paparazzi de Paris, Mimi Marchand, dont un récent livre vient de faire savoir tout le bien qu’il faut en penser. Où l’on voit que quiconque s’appuie sur une communicante au passé et au présent sulfureux pour défendre sa vie, sa pensée et son œuvre montre qu’il laisse peu de place à la raison, à l’intelligence, au débat, à l’argumentation, à l’échange et, pour le dire en un mot: à la vérité.

   Il y a peu “Paris-Match” faisait sa couverture sur Marc-Olivier Fogiel, son mari et ses deux enfants avec pour titre: “Ma famille, mon combat”. En sous-titre: “Avec François, Mila et Lily, on a droit au bonheur”. En effet, il n’est question que de ça… Sur ce coup là, comme sur Benalla ou le doigt d’honneur antillais, Mimi Marchand a fort probablement bien travaillé. Elle fait avancer sa vision du monde…

    J’ajoute pour finir que je milite depuis bien longtemps en faveur du droit au mariage des homosexuels et pour qu’ils puissent adopter des enfants abandonnés –je prends à témoin mes élèves pendant vingt années d’enseignement de philosophie en classe terminale dans les deux dernières décennies du siècle passé pour témoigner si besoin est…

   Je défends cette option plutôt que la GPA, parce que, dans ce cas, on ne loue rien, on n’achète rien, on n’objective rien ni personne, on ne réduit pas des femmes à des ventres et on ne fait pas narcissiquement tourner le monde autour de l’un de ses spermatozoïdes. De plus, on ne nie pas qu’une mère soit une mère car l’on sait que le père ou la mère, c’est celui ou celle qui aime. La génitrice est une mère, celle qui adopte aussi. Dès lors, une femme porteuse a le droit d’aimer l’enfant qu’elle porte, elle est de ce fait légitime à se dire elle aussi mère porteuse. Ajouter des billets à la liasse qu’on agite sous le nez de la mère porteuse qu’on paie ne fait rien à l’affaire pour qu’elle soit mère ou pas.

   C’est ce que voulait dire Charles Consigny quand il affirmait dans cette émission de Laurent Ruquier qu’”une gestation pour autrui ne pouvait être éthique” –une thèse qui fut à chaque fois accueillie comme une insulte par un parterre très comme il faut chez les tenants très majoritaires du Nouvel ordre moral orwellien –appelons-le NOMO– car pareil logo est hélas appelé à souvent resservir…

 

Michel Onfray

 

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