N’est pas bioconservateur qui croit

Difficile de poser la question plus clairement ! « Je voudrais sonder mes 50 000 followers (1) : vous vous sentez plutôt transhumaniste ou bioconservateur ? », lançait le docteur Laurent Alexandre sur les réseaux sociaux le 3 juin dernier.

D’une certaine manière, il s’agit là de la question du siècle dès lors que le philosophe, qui cherche depuis l’aube de l’humanité à définir ce qu’est l’homme, a été remplacé par le technoscientifique qui se demande comment ne plus être un homme, ou au moins comment être un homme autrement. Et déjà, alors même que nos pensées n’ont pas été téléchargées sur un cerveau artificiel ultra-puissant, alors que nous ne vivons toujours pas mille ans, bref, alors que le rêve d’une post-humanité que l’on dessine pour nous depuis la Silicon Valley est loin d’être achevé, nous sommes déjà confrontés pour nous-mêmes et pour les autres à la question des limites de notre humanité et de l’avenir de notre espèce. La question se pose parce que l’on peut trier les enfants sur la base de leur génome ou, mieux encore, et depuis peu, modifier l’ADN humain. La question se pose parce que la procréation est devenue un droit qui requiert des compétences techniques que l’on peut externaliser moyennant finances et en négociant un certain nombre de garanties. Depuis la naissance des premiers « bébés OGM » au début de l’année, n’importe qui pourra être confronté à ce dilemme : préférez-vous procréer naturellement avec tous les risques que cela implique ou procéder à une manipulation du génome de votre enfant (et donc de toute une lignée humaine) pour qu’il soit assuré de n’être pas porteur de telle ou telle maladie dont vous-même souffrez (et qu’au passage on traficote ses capacités cognitives pour en faire un être surdoué, comme cela a été fait en Chine) ? C’est dire l’urgence de la question posée par le docteur Alexandre.

Signe des temps, le docteur Alexandre ne nous a pas demandé si nous nous sentions plutôt humains ou transhumains alors que c’est précisément l’enjeu : souhaitons-nous ou non transformer notre nature – c’est l’étape du transhumanisme – jusqu’à nous en extraire totalement pour faire advenir un post-humain, ou ­souhaitons-nous demeurer des hommes, rien que des hommes ?

Non, que ce soit conscient ou non, le docteur Alexandre a préféré parler de « bioconservateur », comme si « humain » ne suffisait plus à nous définir. En réalité, être humain est un fait, une nature reçue, une nature que nous ne choisissons pas. Parler de « bioconservateur », c’est faire de cette nature une option politique parmi d’autres, un choix et donc quelque chose qui peut être discuté, critiqué, revu et corrigé. Ce qui était indiscutable, ce qui n’avait même pas à être justifié ou expliqué, ce qui était le donné de base de notre existence a été tordu, déformé, jusqu’à pouvoir entrer tant bien que mal dans les catégories modernes du droit et du choix. Que l’on ne se fasse aucune illusion, être « bioconservateur » est pour l’instant considéré comme un choix politique respectable, mais il faudra bien, un jour, qu’il soit réglementé. Sommes-nous assurés que nous aurons toujours le droit d’être humains, seulement humains ? Il serait plus sage de ne pas y mettre nos mains ou nos implants bioniques à couper.

Un mot trompeur

En tout cas, « bioconservateur » est un mot qui cache bien son jeu. Placé comme l’alternative au transhumanisme, il est assez immédiatement compréhensible, son préfixe « bio » sonne agréablement aux oreilles de ceux qui sont sensibles à la question écologique sans perdre pour autant ceux qui se font une fierté d’être conservateurs. Bref, c’est l’improbable mariage de la jeune hippie et de l’étudiant d’Assas. Et pourtant, se définir comme bioconservateur, c’est céder déjà au transhumanisme qui rêve de repousser la mort. Les vrais bioconservateurs, en réalité, sont ces transhumanistes qui veulent conserver la vie au-delà de sa date naturelle de péremption grâce à toute sorte d’artifices, que ce soit par des additifs divers (implants bioniques) ou par congélation (dite aussi « cryogénisation » dans le jargon).

Peut-être qu’au contraire, c’est avoir conscience que la vie n’est pas d’abord ce qui est à conserver mais ce qui est reçu plutôt que choisi, qu’elle se transmet plus qu’elle ne se fabrique.

 

 

Adélaïde Pouchol – L’Homme nouveau

 

 

1. Terme anglais pour désigner les abonnés sur le réseau social Twitter. Se traduit, littéralement, par « suiveur » mais l’on comprend aisément pourquoi les Français préfèrent généralement à ce terme un peu péjoratif le mot anglais d’origine.

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