Les royalistes dans la résistance

Le mini-attentat, sans doute d’origine « antifasciste », c’est-à-dire en fait anarchiste façon « zadistes », qui a frappé le local de l’Action française de Marseille cet été (sans faire de très gros dégâts), vient nous rappeler les rapports compliqués, entretenus autrefois entre le fascisme et les maurrassiens. Ou plus exactement, entre les militants royalistes de l’AF et les courants autoritaires, voire totalitaires, qui se développèrent en Italie et en Allemagne. La période de l’Occupation française offre, de ce point de vue, une parfaite illustration de cette complexité.

François-Marin Fleutot vient de publier une passionnante plaquette consacrée aux Camelots du roi (qui constituait l’élite activiste de l’AF) dans la Résistance. Le sujet est trop peu connu, a été trop peu étudié ; et plus on s’éloigne de l’époque, moins la vérité historique semble avoir droit de cité : à savoir que les royalistes furent nombreux au sein de la résistance.

Cette présence royaliste est évoquée dans certains films du proche après-guerre, comme L’Armée des ombres, de Jean-Pierre Melville, ou Marie Octobre, de Julien Duvivier. On la connaît aussi à travers les figures lumineuses de Jacques Renouvin ou Honoré d’Estienne d’Orves, héros et martyrs reconnus et célébrés. Mais grosso modo, la présence massive et déterminante de royalistes dans la résistance est occultée, et même de plus en plus occultée, cela pour plusieurs raisons.

D’abord les jeunesses nationalistes, identitaires d’aujourd’hui, se réfèrent plus volontiers à certaines figures de la Collaboration européenne (Léon Degrelle, Jacques Doriot etc.), surtout quand ces figures se sont illustrées de façon courageuse sur le terrain militaire. C’est la conséquence du « politiquement correct », qui pousse ceux qui sont en rébellion par rapport au monde actuel à admirer systématiquement les figures les plus controversées. Dans la France (ou la Belgique) de l’après-guerre, il était pour le coup impossible – voire risqué – de faire l’apologie de ces guerriers politiques. Aujourd’hui, dans les pages de la revue Synthèse nationale, ou sur le site de Jeune Nation, il est courant de voir exalter ces personnages. Et du même coup, on oublie l’importante cohorte des nationalistes, patriotes et « identitaires » de l’époque qui entendirent servir leur pays dans le camp d’en face, dans les maquis, à Londres ou dans les Forces françaises libres.

La disparition des grands témoins

Une seconde raison est évidemment la disparition des grands témoins : Guillain de Bénouville, le colonel Rémy, les maréchaux de Lattre de Tassigny, Leclerc de Hauteclocque, le professeur Raoul Girardet, le journaliste Hubert de Lagarde, les futurs ministres Messmer et Michelet, les frères d’Astier de La Vigerie, Michel de Camaret, Alain Griotteray, l’écrivain Jacques Perret, les cagoulards (Duclos, Loustaunau-Lacau, le colonel Groussard, etc).

Tandis qu’en parallèle le discours officiel sur ces années-là, sur la Résistance et la Collaboration, devient un monopole pour des cooptés venus de la gauche. Quant aux « historiens » amateurs locaux, il s’agit souvent d’instituteurs communisants à la retraite, qui n’ont plus guère que cette forme de militantisme à se mettre sous la dent.

Fleutot cite des dizaines de résistants et familles résistantes issus de l’AF, ayant milité chez les Camelots du roi. Des réseaux entiers étaient animés par les royalistes, comme les Groupes Mobiles Alsace, la célèbre « Confrérie Notre Dame » de Gilbert Renault, alias le colonel Rémy, le maquis Cadoudal.

On reste néanmoins sur sa faim, avec le travail de Fleutot. On aimerait une étude plus exhaustive, une sorte de dictionnaire de la droite résistante ou du royalisme résistant, mais qui fasse aussi la part entre gaullistes et non-gaullistes. Car il ne faut pas oublier qu’une fraction importante de la Résistance de droite, royaliste ou non, était antigaulliste ou au moins non-gaulliste, tels Henri de Kérillis ou Raymond Aron, par exemple.

Mais pour ne pas tomber, nous aussi, dans la simplification ou la réécriture de l’histoire, ajoutons qu’au sein du courant collaborationniste, les royalistes furent nombreux également : à Vichy, d’abord, parmi les partisans de la Collaboration passive ou de raison, qui préparaient la revanche, mais aussi dans la Milice, qui, elle, s’est rattachée à un courant de Collaboration active et d’adhésion.

« Il n’a jamais trahi ni pensé à la trahison. 

Un ouvrage sur la Collaboration dans le département du Lot-et-Garonne (Collaboration et épuration en Lot-et-Garonne, par J.P. Koscielniak, Editions d’Albret, 2003), précise que, dans ce département, « parmi les cadres de la Milice se distinguent des hobereaux, des petits nobles, souvent passés par l’Action française ou par les Camelots du roi – ses troupes de choc – et dont la particule conserve en province une certaine influence. » Les dirigeants locaux de la Milice, Henri de Lacaze, Raoul de Perricot, Franck de La Farge, appartenaient à cette catégorie. Ces chefs miliciens étaient aussi des patriotes et d’honnêtes gens, quoi qu’on puisse penser de leur engagement de 1943 et 1944…

Darnand lui-même, ancien Camelot du roi, pur héros des deux guerres, personnifie bien ce courant. Charles Maurras a d’ailleurs pu dire de celui que, trop souvent, on présente comme « un monstre à la française » : « Il n’a jamais trahi, ni pensé à la trahison, et je crois que tel fut le cas de l’immense majorité de ses compagnons (…) Je considère sa condamnation comme un assassinat, vous pouvez le dire à ceux qui ont marché avec lui. »

La complexité de l’époque est illustrée également, en Lot-et-Garonne, par le destin d’un Jacques de Bentzmann (le grand-père des frères Godefroy et Stanislas de Bentzmann, classés aujourd’hui parmi les plus grandes fortunes françaises). Ce grand-père, héros des deux dernières guerres, comme Darnand, et antiallemand, comme Darnand jusqu’en 1943, fut néanmoins soupçonné d’avoir livré des armes à la Milice, par le biais du responsable départemental, Raoul de Perricot. Des passerelles existaient, certes, et Bentzmann faillit subir la plus injuste des condamnations, avant d’être mis hors de cause et réintégré au sein de l’armée. Non sans mal.

Epoque compliquée, destins compliqués. Les royalistes n’y échappèrent pas non plus.

  • Les Camelots du roi dans la résistance, par François-Marin Fleutot, 2017, Centre royaliste d’Action française, 10 rue Croix-des-Petits-Champs 75001 – Paris, 16 p., cinq euros.

Francis Bergeron – Présent

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