Les banques centrales fabriquent la fausse monnaie

Tribune libre de Jean-Yves Naudet*

Il flotte comme un parfum de mai 68 dans les bureaux des banques centrales. L’imagination y a pris le pouvoir. Comme en 68, les « propositions innovantes » consistent à revenir aux vieilles lunes, et, aux initiatives les plus délirantes. La meilleure innovation est à coup sûr celle de la bonne vieille planche à billets.

Aujourd’hui, la Réserve Fédérale mène une politique de « quantitative easing » (aisance quantitative) : émettre du billet vert en quantité illimitée, sans souci de dépréciation du dollar. A son tour la Banque du Japon veut doubler la masse monétaire en deux ans. Quant à la Banque Centrale Européenne, elle « cherche des idées » pour stimuler la croissance.

Au mieux, on nous prépare de jolies bulles spéculatives, au pire, une inflation généralisée.

La révolution monétaire japonaise

Il y a deux semaines, c’est la Banque du Japon qui a sonné la charge. Elle que l’on disait plutôt orthodoxe (« timorée » dit Le Monde, le laxisme étant sans doute un signe de courage), la voici qui se convertit à la relance monétaire la plus radicale. Déjà, le Japon manipule la valeur externe de la monnaie (la « dévaluation compétitive ») dans l’espoir de relancer son commerce extérieur. Mais la dévaluation compétitive cesse d’être efficace quand il y a compétition entre dévaluateurs : si tout le monde baisse en même temps, les valeurs relatives des devises ne changent pas.

Voici que le nouveau gouverneur de la « BoJ », Haruhiko Kuroda, s’est déclaré prêt à faire « tout ce qui peut l’être » pour sortir le Japon de la récession (toute relative, puisque la croissance y est supérieure à celle de la zone euro et le chômage y est très inférieur). Il propose ce que Le Monde appelle une « révolution monétaire ». Laquelle ? Le doublement en deux ans de la base monétaire, soit 1 400 milliards de dollars à injecter.

Monétarisation de la dette

C’est en effet une révolution, au sens où cela consiste à revenir au point de départ, c’est-à-dire au laxisme monétaire qui avait conduit le Japon, comme d’autres pays, à l’inflation galopante.

Comment réaliser ce tour de magie ? La BoJ procédera à des achats massifs d’obligations d’Etat, dans toutes les maturités, donc y compris des obligations à 40 ans. C’est la monétarisation de la dette publique dans toute sa splendeur. Cela ne suffit pas. La BoJ va aussi acheter des actifs réputés plus risqués, des titres de fonds immobiliers ou des fonds cotés en Bourse. Il est loin le temps où Jacques Rueff pourfendait l’achat de « fausses créances », qui conduit à émettre de la fausse monnaie !

Les dirigeants de la BoJ soulignent que cela fait vingt ans que le Japon s’enferme dans une spirale déflationniste qui expliquerait la crise économique. Étrange déflation que celle qui consiste en une moindre hausse des prix ! On n’est pas en 1929 avec des prix qui chutent de 50%. Mais puisque, paraît-il, déflation il y aurait, la solution est simple : il faut faire de l’inflation. CQFD.

Le schéma est d’une simplicité toute keynésienne : on injecte des quantités phénoménales d’argent, donc on favorise le crédit à bon marché aux ménages et aux entreprises ; l’économie, ainsi stimulée par la demande, va redémarrer. En clair ? Donner de l’argent gratuit à tous ceux qui en demandent. Ce qui a échoué partout depuis des décennies. Mais ici la mystification est énorme : qui peut croire qu’en doublant la quantité de monnaie, les prix monteraient seulement…de 2%, comme l’annonce la BoJ ? A court terme, les marchés financiers seront ravis de cette manne : ils pourront spéculer impunément sur n’importe quelle valeur, et les dettes souveraines étrangères elles-mêmes vont trouver acquéreurs. A coup sûr, la bulle financière ainsi prévisible se crèvera aussi vite qu’elle se formera.

La BCE veut remettre du carburant dans la machine

La Banque Centrale Européenne parait plus sage, l’Allemagne veillant au grain. Il y a pourtant de quoi être inquiet. « La BCE réfléchit tous azimuts pour soutenir l’activité en Europe » titre Les Echos ; « La BCE en quête d’idées pour stimuler l’activité » enchaîne Le Figaro ; « La BCE cherche comment soutenir l’activité », conclut Le Monde. Là aussi l’imagination est au pouvoir. Mais le principe reste le même : la politique monétaire doit soutenir l’activité, elle prend ainsi le relais de la politique budgétaire dont les « bienfaits » sont maintenant épuisés à cause de la crise des dettes souveraines.

Mario Draghi envisage « de nouveaux instruments » pour stimuler l’économie. Il a précisé « nous devons réfléchir intensément pour trouver quelque chose qui soit à la fois utile et compatible avec notre mandat». « Nous réfléchissons à 360 degrés ». Il a ajouté qu’il pourrait s’inspirer de ce que se passe dans les autres pays (USA et Japon). Voilà de quoi rassurer. Il est question de baisser encore les taux de la BCE, ce qui est très novateur et a produit jusqu’ici des effets miraculeux sur la croissance ! L’idée principale, elle aussi novatrice, est de remettre « du carburant dans la machine ». Traduisons : le keynésianisme budgétaire étant sorti de piste, on revient au keynésianisme monétaire. Mais on pense aussi à des « mesures non standards » comme un programme pour soutenir le financement des PME. Un pas de plus dans l’étatisation de la vie économique : nous seulement on accentue le laxisme monétaire, mais encore on réintroduit la planification économique.

L’extraordinaire aveuglement des banques centrales

Dans notre tour d’horizon, nous n’avons pas relevé la prétention à l’originalité de la Banque d’Angleterre. Libérée des « disciplines » de l’euro, elle a déjà procédé à une dévaluation de 25 % environ de la livre sterling. Mais elle y ajoute désormais la sélection du crédit : les banques pourront se refinancer auprès de la Banque d’Angleterre à des conditions plus avantageuses si elles acceptent d’accorder des crédits à des projets qui concernent des secteurs économiques privés de financement. Ici peu importe la rentabilité ou la solvabilité des emprunteurs, on les sélectionne simplement sur le fait qu’ils appartiennent à un secteur en souffrance, considéré comme prioritaire par la Banque d’Angleterre (crédit immobilier par exemple). Innovation géniale ? Non : le fait de prêter par priorité à des gens insolvables a été à l’origine de la création des subprimes aux Etats Unis ! Mais l’idée est tellement bonne (et les résultats tellement probants aux USA) que Mario Draghi veut reprendre le même modèle, mais « mieux adapté ». Le Directeur de la BCE a également insisté sur le fait que le taux d’inflation étant en dessous de l’objectif des 2%, on avait de la marge. Personne n’a osé lui faire remarquer que les statuts de la BCE lui faisaient obligation de lutter contre l’inflation.

Si l’imagination est au pouvoir chez les Banques Centrales, elle consiste avant tout à revenir aux erreurs du passé ; on a mis des décennies à se débarrasser de l’inflation, en maîtrisant la masse monétaire. C’est le grand bond en arrière, qui provoquera bulles sur bulles avant de se traduire en inflation. Les Etats en sont fort aise : l’inflation réduit le poids de la dette. Peu leur importe que les épargnants soient volés et l’économie ruinée. L’important est qu’ils montrent au peuple, tels les médecins de Molière, qu’ils prennent soin de lui.

 

*Jean-Yves Naudet est un économiste français. Il enseigne à la faculté de droit de l’Université Aix-Marseille III, dont il a été vice-président. Il travaille principalement sur les sujets liés à l’éthique économique.

> Cet article est publié en partenariat avec l’ALEPS.

Related Articles

16 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • LELI , 28 avril 2013 @ 22 h 02 min

    Cher Monsieur le Professeur,
    L’histoire économique ne retient-elle pas qu’après une période de récession, il y a toujours une phase d’inflation ? L’inflation réduit aussi la dette des ménages et peut lui permettre de se désengager de celle-ci, à condition qu’elle ne se ré-engage pas dans une autre dette.

    La relance par l’injection monétaire massive est donc tentante et souhaitable si elle relance rapidement la consommation des ménages au bord de l’asphyxie. Si je reçois plus de salaire chaque mois, est-ce si dommageable pour l’économie s’il me permet de vivre mieux ? Certes, cela peut être au détriment des épargnants, mais peut-être au profit des plus pauvres.

    Comme toute technique, il faut rompre en même temps avec la rigidité de notre système anti-entrepreneurial. Et cela ne risque pas d’être le cas en France. Donc je vous rejoins sur les craintes que nous pouvons avoir pour 2013 et 2014, car dans tous les cas de figure, la France sera bien mal lotie.

  • PAD , 28 avril 2013 @ 22 h 06 min

    L’économie n’est pas une science mais le reflet d’une société humaine qui a sa part d’irrationnel! L’élément essentiel de la crise que nous vivons depuis 2008 est qu’elle n’est plus uniquement économique mais aussi énergétique, année correspondant au pic pétrolier. Il n’y a plus suffisamment de ressources pétrolières ou gazières pour nourrir des sociétés aussi artificialisées.

    La découverte du gaz de schiste ou du pétrole lourd (a vrai dire découvert bien avant leur utilisation) ne couvrent que le quart des découvertes qui elles ne couvrent que la moitié de la production. Les stocks s’amenuisent fatalement.

    La France depuis 11 mois subit une hausse de de 1000 chômeurs par jours, la situation des autres pays européens ne va guerre mieux, sans parler des US qui ont une dette et un taux de chômage colossal (Il serait de 9% selon certains experts). L’économie est en train de s’effondrer car il ne peut y avoir de croissance infinie (fondée sur une exploitation massive d’énergie) dans un monde fini (énergétiquement).

    Même les soit disant BRICS qui devaient à terme doubler les US rentrent en récession: selon Jean-Luc Buchalet et Pierre Sabatier la Chine serait passée en réalité de 11% de croissance avant la crise de 2007 à 4% aujourd’hui et non pas à 8% comme elle le soutient. La Russie perd 1% de croissance par an, l’Argentine et le Brésil décrochent alors que l’Afrique du Sud qui attirait tant d’espoirs économiques peine à s’émanciper.

    On peut emmètre tous les billets qu’on veut, mais dorénavant il est impossible énergétiquement de créer de l’emploi ou de stopper les fermetures d’usines qui ne sont pas que des délocalisations mais bien des arrêts d’activités trop consommatrices en ressources rares.

    D’ailleurs selon le scientifique Jean-Marc Jancovici, le chômage endémique et la faible croissance des 30 piteuses suite aux chocs pétroliers a aussi une origine énergétique car c’est à ce moment là qu’on a découvert la limite des stocks de pétroles entraînant une hausse des prix par les pays de l’OPEP.

    Je ne crois pas que François Hollande ignore le problème, trop de hauts fonctionnaires ou ingénieurs géologues issus de TOTAL ou AREVA à l’instar de Pascal Renardet ne cessent depuis des années de sensibiliser le pouvoir par rapport à ce défit. De plus selon l’ingénieur Jean-Luc Wingert les entreprises pétrolières créent des services secrets privés ayant pour but de les tenir exactement au courant des flux de production de barils. La CIA est en lien avec ces services d’entreprises américaines. Il est probable qu’il en soit de même pour la France, d’autant plus que le géopoliticien François Thual ayant fait toute sa carrière au Ministère de la Défense ne cesse lui aussi de nous sensibiliser sur ce problème.

  • LELI , 28 avril 2013 @ 22 h 40 min

    Le constat ou les mises en garde existent. Mais quelles solutions adoptées pour résoudre le chômage ?

    L’énergie fossile n’est peut-être pas finie à si court terme car tous les gisements n’ont pas été découverts ou déclarés. Si les cinquante piteuses (voyons large !) ont pour origine les énergies fossiles, cela n’a d’ailleurs pas été perdu pour tout le monde. D’autres énergies existent. La France avec son programme nucléaire volontaire ne réussit pas bien à survivre. La cause de nos soucis actuels n’est pas seulement liée à un problème de ressources des matières fossiles. Il est bien plus large et plus complexe.

    Du temps de Raymond Barre et de sa vision malthusianiste néfaste (autre cause de nos malheurs), il était déjà indiqué que le chômage n’était pas si inquiétant que cela puisque la génération du baby boom serait partie en retraite en 2020. Il suffisait d’attendre patiemment. On voit bien qu’il n’en sera rien.

    Pour enrayer notre dégradation économique, ne faut-il pas un programme électrochoc plutôt que des mesurettes inutiles ?

  • jejomau , 28 avril 2013 @ 22 h 49 min

    Les entreprises qu’il faut boycotter pour leur soutien à la loi Taubira et leur positionnement contre nos enfants. On peut d’ores et déjà les prévenir par e-mail :

    http://tuboycotteras.blogspot.fr/

  • JeanP , 29 avril 2013 @ 2 h 07 min

    J’incite NDF a se pencher sur l’émission du nouveau billet de 100$ américain :

    http://img15.hostingpics.net/pics/320989100.jpg

    certains voit dans l’intégration en lettre d’or d’un passage de la Constitution un signe d’un retour au dollar adossé au métal or/argent dans un proche futur.

    “Quelques membres du GATA, dont Bix Weir, voient dans ce nouveau billet américain un changement monétaire majeur. Ecrite en lettres d’or, une partie de la constitution originale des Etats Unis est lisible en bas à droite du billet. Or, la constitution américaine définit que l’unité monétaire de base est le Silver Dollar avec un ratio fixe pour l’or. Une partie du billet est gravée couleur or : la Liberty Bell et le chiffre 100.”

    fantasme ou réalité, je ne saurais dire.

  • Francois Desvignes , 29 avril 2013 @ 3 h 47 min

    Entièrement d’accord avec l’article :

    1/ Ne sachant ni comment relancer la croissance ni comment rembourser la dette provoquée par la relance budgétaire,

    2/ Quitte à ne plus pouvoir espérer de croissance, ils ont pris le parti sans le dire de rembourser la dette par l’inflation,

    3/En procédant , au besoin en imposant, une dévaluation généralisée des monnaies de référence (dollar, yen, euro, livre)

    4/ En effet, une croissance de la masse monétaire de 100% dévalue la dette libellée dans cette monnaie de 50%

    5/Avec deux effets pernicieux qu’ils oublient cuurieusement de préciser : l’entrepreneur est en faillitte, l’épargnant ruiné,

    6/ L’entrepreneur est en faillite parce que dans son cycle économique il a acheté ses matières première à un cout 100 alors qu’il ne pourra revendre ses produits finis qu’à une valeur de 50 (sauf course aux étiquettes où il aura toujours un train de retard)

    7/ Et encore plus, l’épargnant est ruiné puisque la valeur faciale de son épargne reste inchangée, tandis que sa valeur reelle a diminué de 50%. Outre que c’est injuste, c’est suicidaire car depuis A. SMITH l’épargne et le travail sont les conditions nécessaires à la croissance. Casser l’épargne, vous ruinerez le cycle économique

    8/ Enfin, la solution dialectique de l’inflation épargnicide et entrepreneuricide, c’est la guerre. Car seule la guerre qui fait taire tous les opposants (et les chomeurs) et d’abord ceux qui disent la vérité ou s’indignent , permet par la destruction massive de tout, en un temps très court de repartir “sur des bases saines” : il nous en a couté la dernière fois, 50 000 000 de morts, rien qu’en Europe, 10 000 000 par an..

  • Serge Baby , 29 avril 2013 @ 8 h 15 min

    C’est hélas le vrai schéma.
    Votre commentaire est vrai, simple et limpide.
    Rien à rajouter.
    La suite, on la connait.

Comments are closed.