Le rayon bleu

Le rayon bleu avait été sa dernière vision de ce monde – à moins que ce ne fût déjà la lumière de la mort? […] Il n’avait jamais vu un tel bleu dans la nature, à la fois glacial et consumant. Ou plutôt, si: dans les tableaux de Roerich. Dans ses visions de Shambhala, la vallée heureuse.

Un accident de petit réacteur s’est produit dans un laboratoire souterrain, en Russie, il y a quelques décennies. Belodarev, avant de devenir aveugle, puis de mourir quelques mois plus tard, a vu le Rayon bleu et en a parlé en ces termes à Kouzmine, le seul physicien resté pour veiller sur les lieux et leur appareillage.

Kouzmine est maintenant le directeur technique de l’institution sur laquelle se dresse une grande parabole. Toutes les dix matinées, via cette grande oreille , il reçoit un message codé. Après l’avoir ré-encodé, il compose un numéro de téléphone en France et le transmet si on décroche et qu’on lui donne le mot de passe…

Ce numéro de téléphone correspond à un appareil en bakélite, installé seul sur sa console comme une stèle funèbre dans le château familial des Lesmures, à Sainte-Éleuthère. Dans cette propriété de campagne se sont établis Herbert de Lesmures et sa femme Andrée au milieu du siècle précédent.

Herbert de Lesmures s’est donné la mort dans son pied-à-terre parisien, alors qu’il était le plus proche conseiller stratégique de Doudelanier, le Président de la République de l’époque, qui finissait alors son second mandat : Son corps portait deux impacts, tirés à bout portant. L’un au coeur, l’autre au niveau de la clavicule.

La fille d’Herbert, Carole-Anne, demande au narrateur d’écrire la vraie vie et la vraie mort de son père. Mais ce n’est que bien plus tard, que, devenu journaliste à la Revue nationale de Défense et Affaires étrangères, il se plongera vraiment dans la biographie du maître de Sainte-Éleuthère, dont la mort l’a fasciné.

Pour la reconstituer il aura à sa disposition le journal d’Herbert, que sa veuve Andrée lui a fait parvenir à l’heure où elle n’était plus là pour [l]’éclairer dans leur exploration. .. Cela ne lui suffira pas pour découvrir ce qu’était réellement Herbert de Lesmures, cet homme d’exception , que des images accablent.

Quelles images accablent cet homme intelligent, suréduqué, grand patriote, infiniment doué et fiable ? Pour le savoir, il devra mener une enquête approfondie: rencontrer des personnes qui l’ont bien connu (le hasard, ou la providence, faisant parfois bien les choses) et remonter le fil téléphonique russe.

Sans la délicieuse terreur qu'[il avait] sentie [lui] remonter l’échine en entendant sonner le téléphone dans les couloirs déserts du château , l’aurait-il entreprise cette enquête? Non pas. Et le roman de Slobodan Despot ne serait pas intriguant, avec son parfum d’apocalypse et ses moments de pure poésie:

La poésie, c’est exactement cela: des mots humains forcément faibles, plus ou moins bien assemblés, plus ou moins dissonants, indiquant aux âmes capables de les comprendre des réalités plus vraies, plus solides que la nôtre.

Francis Richard

Le rayon bleu, Slobodan Despot, 194 pages Gallimard

Related Articles