L’ignoble projet angora!

Alors que les prisonniers du camp de concentration d’Auschwitz mouraient de faim, les nazis y gavaient des lapins angora pour en faire de la fourrure… Au lendemain de la guerre en 1945, Sigrid Schultz, reporter de guerre du célèbre journal américain Chicago Tribune, pénétrait dans la villa des chefs de la SS, de Henrich Himmler à Tegernsee. Surtout, elle en a profité pour fouiller la maison de fond en comble. On ignore si elle cherchait une autobiographie d’Hitler ou des preuves des crimes des nazis contre l’humanité. Mais elle a trouvé un agenda fait à la main portant un morceau de fourrure de lapin sur la couverture, les signes distinctifs de la SS et l’inscription “Angora”.

L’agenda contenait 150 photos de lapins bien portants, affectueusement tenus par des femmes joyeuses, des soldats de la Gestapo et des individus maigres en pyjamas rayés. Sur ces photos, on peut voir ces boules de poils manger une immense carotte ou poser joyeusement sur deux pattes. Sur l’une des pages au-dessus des photos de cages de lapins, on pouvait lire: Buchenwald, Sachsenhausen, Dachau, Auschwitz et encore une trentaine de noms de camps de la mort.

Mais ce n’est pas tout. L’agenda contenait aussi des descriptions: “Petit lapin, plus grand, très grand”. Avec des chiffres sous chaque photo: 6 500, 13 000, 25 000. Cela signifie qu’en 1941, il y avait 6 500 lapins dans les camps de concentration, 13 000 en 1942 et 25 000 en 1943. Sur une autre page: des plans pour approvisionner l’armée allemande en vêtements en pelage d’angora soit 12 100 chandails, 13 100 caleçons, 52 500 chaussettes. Ce projet mystérieux, baptisé Angora, était né dans l’esprit du nazi Himmler.

Henrich Himmler, ancien agronome, appréciait beaucoup les animaux (en octobre 1943 il avait remercié les Allemands d’avoir été “les seuls à traiter correctement les animaux”). Tout comme les autres dirigeants du IIIe Reich: Hitler adorait son berger allemand Blondi et quand il est arrivé au pouvoir en 1933 il a signé peu de temps après une loi sur la protection des animaux. Entre autres, la vivisection était interdite.

“C’est nécessaire pour protéger les animaux et éviter de les faire souffrir. Cette loi vaut pour toute l’humanité”, disait Hering du décret d’Hitler.

En 1942, alors que de très nombreux wagons de bétail transportant des humains arrivent depuis l’Est dans les camps allemands, alors qu’à Stalingrad meurent des soldats allemands et que des bombes tombent sur les villes allemandes, le ministre de la Science, de l’Éducation et de la Culture nationale Bernhard Rust est préoccupé par autre chose: il envoie une circulaire aux universités allemandes car à la veille de la période hivernale, il s’inquiète du sort des cochons d’Inde destinés à des expériences et écrit qu’il faut éviter “en toute circonstance de longs voyages à ces animaux cobayes”…

Concernant les lapins, Himmler se souvenait de l’excellent pelage d’angora qui avait déjà fait ses preuves pendant la Première Guerre mondiale. La production de cette fourrure était d’ailleurs une spécialité de l’industrie allemande depuis le XVIIe siècle, quand le pelage blanc avait été pour la première fois importé dans le pays depuis le Royaume-Uni. Toutefois, à en juger par les rapports, dans les années 1930 seulement 65 à 100 éleveurs de lapins étaient enregistrés en Allemagne.

Berlin a alors décidé de lancer la production de cette fourrure de luxe sous les regards des prisonniers des camps de concentration. Pour mettre en œuvre son plan, Himmler a créé une organisation unifiée des éleveurs: le Reich Specialized Group.

Il était prévu de fournir en fourrure l’élite de l’armée allemande et les hauts dirigeants de l’État, de concevoir des chaussettes pour les sous-mariniers, des blousons de vol et des cols pour les as de la Luftwaffe ou encore des caleçons pour les soldats de la Wehrmacht. Et pour que les lapins ne manquent de rien, on y cultivait des légumes en tout genre pour nourrir non seulement l’armée mais aussi les animaux. On en prenait grand soin dans de vastes cages propres et chauffées, de la nourriture préparée avec des recettes spéciales, les meilleurs traitements vétérinaires et beaucoup d’affection.

Sigfrid Schultz, qui a mis la main sur l’agenda “Angora” (qui appartient aujourd’hui à la Société historique du Wisconsin aux USA) écrivait: “Les outils utilisés pour prendre soin des lapins semblait arriver des vitrines d’Elizabeth Arden”, la célèbre marque de cosmétiques.

En 2007, le professeur Harold Marcuse a évoqué dans une interview un épisode pendant lequel plusieurs détenus affamés avaient osé manger un lapin — avant d’être exécutés pour cet acte. Des témoignages indiquent également que les SS exécutaient tous ceux qui traitaient les lapins “irrespectueusement”.

Bien qu’on en sache peu sur le projet Angora, de toute évidence il a échoué avant d’être abandonné en 1943. Quand la guerre s’est retournée contre l’Allemagne, Himmler a dû dire adieu à son plan. Les libérateurs des camps n’ont retrouvé que des cages vides. Le soldat Jack Dewitt a trouvé sur l’étagère d’un entrepôt du camp de Dachau une jaquette de fourrure et l’a prise en l’appelant “touloupe de lièvre”. Mais où étaient passés les lapins angoras?

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