Snowden

« Si nous ne les informons pas, les gens ne sont pas libres ! »

Empruntant au genre du film d’espionnage, suivant la trajectoire personnelle qui fit d’un patriote idéaliste le plus grand lanceur d’alerte connu à ce jour, Snowden interroge chacun d’entre nous. Oliver Stone aime l’histoire autant qu’on aime qu’il nous en raconte. Il l’a prouvé avec Platoon ou JFK. S’emparant d’un fait historique majeur pour les États-Unis, Stone aime recourir aux ressorts de la fiction pour éclairer d’un nouveau jour l’enchaînement des faits.

Entre histoire et clichés : l’homme

Snowden est du même acabit. Mais disons-le d’emblé, si Oliver Stone aime raconter l’histoire, il ne fait pas pour autant l’histoire. Comme Platoon racontait la guerre du Vietnam à ceux qui l’ont connue (voire vécue comme ça a été le cas du réalisateur) ou JFK, l’assassinat de Kennedy à ceux qui ont suivit le procès, Snowden n’apporte rien de nouveau. Pas de révélation fracassante sur les arcanes des services secrets (du moins pour ceux qui ont suivi le traitement médiatique de l’affaire Snowden). Oliver Stone se concentre davantage sur une trajectoire personnelle. Il dresse le portrait d’un homme ordinaire qui échappe à cette banalité par un acte hors du commun, s’intéressant aux ressorts intimes d’une affaire à propos de laquelle il a déjà été écrit et dit à peu près tout.

Là où il avait déjà décrypté à sa manière la mécanique du vice et de l’avidité à travers son génial Gordon Gekko dans le film Wall Street, Stone s’intéresse désormais à la quête de vérité qui va conduire Snowden à un acte de bravoure rare : le sacrifice de sa personne au nom d’une éthique et du bien commun. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Une fois mis de coté les révélations sur les moyens dont disposent les services secrets américains – faits bien connus de nos jours – et les quelques scènes de genre du film d’espionnage – sacrifice rituel hollywoodien –, reste la dimension psychologique et humaine qui fait toute la valeur de se film réussi tant sur la forme que sur le fond.

Ni angélisme, ni cynisme dans ce scénario qui se veut au plus proche de la réalité malgré les habituels clichés américains comme cette fâcheuse tendance à tout vouloir politiser de manière bilatérale : vous pensez qu’il est juste de questionner votre gouvernement sur ses méthodes ? Bravo vous êtes démocrate. Vous êtes au contraire patriote ? Bienvenu chez les Républicains ! Pourtant à mesure qu’avance le film, quelques clefs de lectures viennent au jour et la caricature se fissure tandis que le portrait gagne en complexité.

« Amour et vérité se rencontrent »

Au cœur de l’histoire, un jeune homme patriote et brillant qui découvre l’étendue des ressources de renseignement américaine et participe à leur développement. Mais ce faisant, il développe dans le même temps un doute qui ne le lâchera plus : jusqu’où peut-on violer les lois élémentaires de protection de la vie privée au nom de la sécurité nationale ?

Cette question qui sonne comme un sujet de philosophie de terminal sera la croix de Snowden. Elle le conduira sur des chemins ardus, les chemins que certains philosophes ont arpentés avant lui, s’interrogeant sur le prix de la vérité, la responsabilité individuelle et collective de ceux qui savent et se taisent… Sur celui de Snowden, le film place une rencontre décisive : celle de sa compagne. « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » (Ps 84) : c’est le souci des siens et de sa vie privée qui le conduisent presque malgré lui sur la voie des lanceurs d’alerte. C’est le scandale de la liberté bafouée qui le laisse sans répit.

Platon sera fidèle jusqu’à boire la cigüe. Snowden, ni prophète ni philosophe, endossa pourtant sa responsabilité et vit désormais en exil. Cela en fait-il nécessairement le sujet d’un tel film agiographique ? Peut-être pas mais son sacrifice de 2013 méritait qu’on s’intéresse de plus près à cet homme qui fut, de l’aveu du directeur adjoint de la CIA Michael Morell, l’auteur de La divulgation d’informations confidentielles la plus grave de toute l’histoire du Renseignement américain. Oliver Stone a endossé la mission délicate et réussi un bel exercice de style. Mais le réalisateur reconnait « quand on s’attaque à une grosse machine historique comme cele-ci, on sait que le matériel va continuer à tomber pendant des années ». L’avenir jugera la part de fiction et de réalité qui font ce film.

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