“Madame Schiappa ne semble pas encore avoir pris la mesure des obligations imposées par ses nouvelles fonctions”

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Par médias interposés, Marlène Schiappa et Alain Finkielkraut ont eu de vifs échanges quant aux anciennes prises de position de la Secrétaire d’État. Caroline Valentin appelle cette dernière à plus d’honnêteté intellectuelle.


Caroline Valentin est coauteur d’ Une France soumise, Les voix du refus.


Dimanche 21 mai 2017, Alain Finkielkraut, s’exprimant sur le nouveau gouvernement, consacre quelques minutes de son intervention à fustiger un certain nombre de prises de position que la nouvelle «secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes», Marlène Schiappa, avait prises à diverses occasions avant sa nomination, sur le voile, sur l’antisémitisme et sur l’islam politique.

Piquée au vif, cette dernière saisit quelques jours plus tard sa toute nouvelle plume ministérielle pour répondre au philosophe. Deux longues pages, sur papier à en-tête de la République, au cours desquelles Marlène Schiappa ne lâche pas sa proie. Naviguant entre sarcasmes et fausse déférence, Marlène Schiappa brosse le portrait d’un Alain Finkielkraut non seulement approximatif («vous faites dans le commentaire de commentaire de propos rapportés») mais également sexiste, anti-féministe et méprisant. Pour Marlène Schiappa, les critiques formulées par Alain Finkielkraut sont évidemment moins dues à ce qu’elle a dit qu’à ce qu’elle est, «femme», de surcroît «féministe», de surcroît «jeune», «non diplômée d’une grande école». Marlène Schiappa accuse plus qu’elle ne répond. Une phrase, «jamais, je n’ai milité contre l’interdiction du port du voile par les enseignants ou par les élèves à l’école», sera ainsi la seule référence directe aux positions qu’Alain Finkielkraut lui a reprochées. Le tout est communiqué au journal Libération, trop heureux de l’aubaine qui lui est donné de participer à la curée.

Sans s’attarder sur les critiques personnelles, Alain Finkielkraut prend cependant la peine de rédiger dès le lendemain une réponse lapidaire au seul élément factuel mentionné par Madame Schiappa. Dans les colonnes du même journal, l’académicien rappelle notamment à cette dernière le verbatim des propos sur le voile qu’elle nie avoir tenus … mais qu’elle avait pourtant publiés deux ans plus tôt dans le Huffington Post. Marlène Schiappa désavouée par elle-même. Alain Finkielkraut, charitable, n’en rajoute pas.

Le paradoxe est que, de son point de vue, Marlène Schiappa a sans doute atteint l’objectif qu’elle s’était fixé, à savoir maximiser d’emblée son temps d’audience et sa plus-value médiatique, faire la preuve de sa pugnacité, en s’attaquant à la tête de turc préférée de la gauche morale.

Sur le fond toutefois, la tentative a surtout montré la pusillanimité et l’absence totale de rigueur intellectuelle de son auteur. Anecdotique peut-être, mais surprenant quand même, le fait que pour donner un peu de lyrisme à sa diatribe, Marlène Schiappa convoque Rudyard Kipling, qui n’en demandait pas tant, et son fameux «if» («tu seras un homme, mon fils»). Mais là encore, patatras: sur les deux vers que Madame Schiappa cite, l’un ne figure tout simplement pas dans le poème. Si Rudyard Kipling écrit bien «si tu peux supporter de voir tes paroles travesties par des gueux pour exciter des sots et, les entendant mentir, sans toi-même mentir d’un seul mot», le vers s’arrête là et n’est pas suivi des mots «pour répondre et te défendre» ; malchance, c’est cet ajout inventé qui prétendait mobiliser ce vers en sa faveur.

Le tronquage de citation semble d’ailleurs une habitude chez Madame Schiappa. Dans sa désormais fameuse lettre à Manuel Valls, elle met dans la bouche de ce dernier des mots qu’il n’a pas prononcés, l’accusant d’avoir stigmatisé des quartiers populaires «antisémites», là où ce dernier avait en réalité déploré l’antisémitisme qui se «répand (…) dans nos quartiers populaires, auprès d’une jeunesse souvent sans repères (..)». La nuance est de taille, elle aura échappé – opportunément? – à Madame Schiappa.

Surtout, Madame Schiappa ne semble pas encore avoir pris la mesure des obligations que ses nouvelles fonctions lui imposent. L’autorité publique dont elle est désormais investie ne peut, dans une société démocratique, être utilisée qu’à des fins d’intérêt général. La Marianne tricolore qui ornera les courriers de Madame Schiappa jusqu’à la fin de son mandat ne saurait cautionner des règlements de comptes personnels. Lorsqu’un membre du gouvernement de la cité fait d’un citoyen une tête de turc qu’il attaque ouvertement dans les colonnes d’un grand quotidien national, c’est un abus de pouvoir, ce sont les prémisses de l’utilisation de la force publique dans un but à proprement parler tyrannique. C’est le contraire de la conception du pouvoir exécutif dans une démocratie libérale. Cela inspire l’effroi, et la démagogie qui motive cet acte – complaire au segment de l’électorat dont on sait que les coups pleuvant sur l’une de ses cibles favorites exciteront son plaisir – n’est pas pour rien dans ce sentiment.

Pourtant, les inquiétudes exprimées par Alain Finkielkraut sont bien légitimes. Compte tenu de sa charge, sa position sur le voile devient celle de la France. Et à cet égard, oui, le déni qu’elle a exprimé quant à l’influence funeste d’un islam politique qui utilise le voile comme arme symbolique de son projet de conquête territoriale est pour le moins préoccupant. La co-auteur que je suis d’Une France soumise, Les voix du refus, dirigé par Georges Bensoussan et préfacé par Elisabeth Badinter – dont Alain Finkielkraut recommande d’ailleurs fort opportunément la lecture à Madame Schiappa – peut, hélas, en témoigner. Car elle est désormais responsable de la DILCRA (Direction Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la haine), sa position sur le problème de l’antisémitisme en France nous concerne tous. Là encore, ses prises de positions témoignent d’un manque fondamental de connaissances de ce sujet pourtant primordial. Là encore, Madame Schiappa doit d’urgence s’atteler à se mettre très rapidement à niveau si elle veut mener à bien sa mission.

Puisque Madame Schiappa semble apprécier Rudyard Kipling, nous ne saurions que trop lui recommander de méditer davantage l’un des sages enseignements de ce poème magnifique: «si tu vas dans la foule sans orgueil à tout rompre, ou frayes avec les rois sans te croire un héros»… C’est effectivement cette attitude qu’il appartient à Marlène Schiappa de retrouver pour être – peut-être pas une Femme avec un grand F – mais en tout une Secrétaire d’État digne des responsabilités qui lui incombent désormais.

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