Barcelonnette, cité mexicaine ( Vidéo)

Ouverte depuis toujours au commerce et aux échanges, l’économie de la vallée a longtemps reposé sur l’activité textile associant manufacture de laine et filatures de soie.

Les habitants de l’Ubaye, formés très tôt à « l’art d’être marchand » quittaient la vallée pour aller vendre leur production de draps et soieries en Provence, en Dauphiné, en Piémont, en Flandre…
Au milieu du XIXe siècle, l’émigration définitive remplace l’émigration saisonnière et conduit les entrepreneurs de la Vallée jusqu’aux Amériques, d’abord en Louisiane au Souvenir Français, puis au Mexique où Jacques Arnaud (1781 – 1828) installe vers 1818 – 1820 un magasin de tissus, associé à ses frères Dominique et Marc-Antoine, ouvrant ainsi la voie aux soyeux du Mexique.
Destination privilégiée depuis le Second Empire, le Mexique va concentrer la plus importante communauté d’émigrants originaires de l’Ubaye, appelés les Barcelonnettes, donnant naissance à plusieurs générations d’industriels, négociants et banquiers, qui seront les « interlocuteurs préférentiels » (Jean Meyer) de la jeune république des États-Unis du Mexique entre 1870 et 1910.

Arrivée à Mexico, l’installation (1840 – 1870)
C’est au cœur de la capitale de la jeune république fédérative des états du Mexique (1824) que choisissent de s’implanter les premiers commerces de tissus, cajones de ropa, alignés les uns sur les autres. Au nombre de 46 en 1846 (dont 20 magasins pour le seul district fédéral de Mexico), ils représentent plus de 110 établissements 40 ans plus tard, en 1886, implantés dans les principaux centres urbains : à Puebla, à Morélia, à Guadalajara, à Durango, à Tampico…

Du commerce à l’industrie (1870 – 1910)
Sous la longue présidence de Porfirio Diaz (1830 – 1915), les entrepreneurs barcelonnetttes deviennent “l’interlocuteur préférentiel du gouvernement mexicain” (Jean Meyer), et prennent une part active à l’industrialisation et à la modernisation du pays.
Dessinés par des architectes français, de nouveaux établissements copiés sur les modèles parisiens du Bon Marché et de la Samaritaine adoptent tous « une écriture on ne peut plus post-haussmanienne de dômes et de grands combles cintrés dont la protubérance accentue la majesté des volumes, silhouettés à chaque carrefour » (François Loyer). Le maître verrier nancéen Jacques Grüber signe les imposantes verrières des grands magasins El Palacion de Hierro (1891) et du Centro Mercantil (1896), aujourd’hui transformé en grand hôtel.
Soucieux de maîtriser aussi la production, les négociants barcelonnettes fondent d’importantes compagnies industrielles (Compagnie industrielle d’Orizaba et la Compagnie industrielle Veracruzana), à la tête de nombreuses fabriques de filature, tissage et impression du coton, dont les plus importantes sont dans la vallée de Rio Blanco (État de Véracruz). La banque attire les entrepreneurs barcelonnettes qui prennent d’importantes participations dans toutes les banques du pays et détiennent le monopole de l’émission des billets… (Patrice Gouy).
Sous la longue présidence de Porfirio Diaz (1876 – 1911), qui manifeste un vif intérêt pour la France, les barcelonnettes, soucieux désormais de maîtriser aussi la production, se lancent dans l’industrie. Constitués en société anonyme, ils fondent en 1889 la Compagnie Industrielle d’Orizaba, située dans la vallée du fleuve Rio Blanco dans l’État de Veracruz. La compagnie est bientôt en possession de quatre fabriques de filature, tissage et impression du coton et de la grande fabrique modèle de Rio Blanco, considérée comme ” le Manchester du Mexique “, qui fondera la première cité ouvrière du Mexique. Le processus d’industrialisation et d’équipement amorcé sous le Porfiriato (1876 – 1911), conduit à une modernisation et à une spécialisation du langage architectural fortement influencé par le ” style français “, omniprésent dans la capitale mexicaine.

Les nouveaux établissements commerciaux édifiés par les négociants barcelonnettes entre 1890 et 1910 remplacent les modestes maisons cajones de ropa de la première heure. El Palacio de Hierro, le Palais de Fer, le premier grand magasin barcelonnette construit à Mexico pour le négociant Henri Tron, inaugure une série d’édifices commerciaux de prestige, copiés sur les modèles parisiens du Bon Marché ou de la Samaritaine.
Toutes les manufactures importantes implantées au Mexique entre 1890 et 1910, qui emploient plus de 30 000 ouvriers et représentent 133 fabriques, comptent des barcelonnettes dans leur conseil d’administration. Ainsi, la principale manufacture de tissus de laine, la Sociedad de San Ildefonso (1895), fondée par le Gascon Ernest Pugibet, la seule fabrique importante de papier , la Compania de San Rafael (1894) ; la première manufacture de cigarettes du monde, El Buen Tono (1889), fondée par Ernest Pugibet ; la fonderie de fer et acier de Monterrey (1900) ; la fabrique de bières Moctezuma de Orizaba (1896) ou la maison Clément Jacques à Mexico, spécialisée dans les conserveries et denrées alimentaires.

De la révolution à l’intégration (1911 – 1950)
Cette étonnante réussite économique ne saurait masquer la dure réalité quotidienne d’une grande partie des émigrants, employés et ouvriers. Les tous premiers mouvements de contestation éclatent en janvier 1907, à l’intérieur de la fabrique de Rio Blanco fondée par les barcelonnettes. Sept ans plus tard, à l’aube du premier conflit mondial, les barcelonnettes se mobilisent et se portent volontaires. À leur côté des mexicains aussi tomberont pour la France.
Les années post-révolution marquent une rupture et modifient les règles alors favorables aux investisseurs étrangers : lois sur la restriction de l’émigration, limitation du personnel étranger…
Une dernière vague d’émigrants rejoint le Mexique dans les années 1950, ils ne sont plus qu’une dizaine dans les années 1960. Les barcelonnettes sont de plus en plus intégrés et les retours définitifs dans la vallée deviennent de plus en plus rare.
Aujourd’hui, le nombre de descendants barcelonnettes dépasse largement le nombre des habitants de la Vallée (7500). Chaque année, de nombreux hollandais, américains et mexicains, tous originaires de l’Ubaye, découvrent la terre de leurs ancêtres.
Désormais deux musées, consacrés à l’histoire des entrepreneurs barcelonnettes, témoignent d’une histoire commune à la vallée de l’Ubaye et au Mexique : le musée de la Vallée à Barcelonnette, ouvert en 1988, et le tout nouveau Museo Comunitario à Ciudad Mendoza, inauguré en avril 2001.

Modernisation et mutation aux XIXe et XXe siècles
De profondes mutations marquent la ville médiévale et sa périphérie entre 1880 et 1935. Intra-muros, le centre historique connaît d’importants chantiers (nouveaux édifices publics) ; extra-muros, apparition d’un tout nouvel urbanisme de villégiature avec la création d’un parc de villas.

Au cœur de la ville : disparition des arcades, « portiques » (1890 – 1897), réseau de drainage et apparition en 1897 de l’éclairage public de la ville, soit 18 ans seulement après Paris. De nouveaux équipements publics : construction du collège André Honnorat (1919), casernes (les plus confortables de France, 1919), reconstruction de l’église paroissiale dédiée à Saint Pierre (1924 – 28), monument aux morts (1921) et statue du maréchal de Berwick par le sculpteur Paul Landowsky (1926), banque de Barcelonnette (1925), reconstruction de l’Hôtel de ville et du marché couvert (1934 – 36).

À la périphérie de la ville : naissance du parc des villas construites de retour du Mexique (1870 – 1930) par les anciens négociants et industriels textiles, originaires de la vallée de l’Ubaye. « Cette ceinture de villas cossues lui donne un air de ville d’eau à la mode ou plutôt de ce qu’elle commence à être, de ce qu’elle deviendra certainement, une charmante station d’été » (François Arnaud).

Villas…
Étalée sur un demi-siècle (1880 – 1930), la construction des villas de Barcelonnette et Jausiers regroupe 80 édifices qui ont favorisé la création d’un nouvel urbanisme proche de celui des villes d’eau contemporaine où, de la même façon, les parcs et jardins l’emportent sur le bâti. Il en résulte un esprit et un mode de villégiature qui vont caractériser l’émergence de cette nouvelle architecture plus familière du littoral méditerranée et des stations balnéaires de la côte Atlantique.

Les commanditaires sont tous des enfants du pays, de retour après de longues années d’émigration et qui ont tous brillamment réussi dans l’industrie textile et le négoce. Ainsi, après avoir longtemps été à la pointe du goût et de la modernité, ils s’attachent à la construction d’une villa moderne où ils passeront l’été avant de rejoindre le front de mer dès les premiers frimas de l’hiver. Alexandre Reynaud, père de Paul Reynaud (1878 – 1966), homme d’état français, construit parmi les premiers une élégante villa dont les proportions et la parfaite symétrie rappellent celles des grandes demeures bourgeoises classiques du centre historique de Barcelonnette. Aujourd’hui, transformée en musée (musée de la Vallée), la villa la Sapinière (1878 – 1910) conserve intacts ses riches parquets en marqueterie, le salon-bibliothèque et son élégant cabinet de bains entièrement décoré de faïences de Sarreguemines. De cette première génération, datent encore la villa le Verger et la villa Mireio. Seule la villa édifiée par Émile Chabrand (1843 – 1893) se distingue par son langage pittoresque associant pour la première fois la brique, le bois et les produits céramiques.

Les riches années 1890 – 1910 instaurent de nouvelles pratiques architecturales. Les villas deviennent ambitieuses, les modèles se multiplient, les façades s’ornent et surtout les toitures se compliquent, toujours plus hautes. Des architectes venus des principales métropoles dessinent d’imposantes “villas châteaux” et puisent dans toutes les ressources de l’éclectisme fin de siècle. L’accent est mis sur l’effet de silhouette. Regroupées à l’est de Barcelonnette, les villas de la seconde génération témoignent de la diversité des formes architecturales et du vocabulaire décoratif.
Au castel néo-gothique succède un palazzo florentin avec son ordonnance de pilastres. La villa château est développée autour d’une aile en retour d’équerre et coiffée d’une poivrière symbole de triomphe parmi les autres modèles. Agrémentée d’une véranda métallique enrichie de vitraux, elle se distingue encore par sa toiture en ardoise d’Angers. À Jausiers, d’imposantes constructions affichent une écriture quasi balnéaire, sous la houlette d’un architecte originaire de Lugano, dont le fleuron est le château des  Magnans. Achevé en 1913, il offre ses tours couronnées de merlons, ses baies géminées, son imposant soubassement mettant en  scène un effet de silhouette spectaculaire qui rappelle le château du prince Louis II de Bavière. Depuis 1985, il est inscrit à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques.

L’entre-deux-guerres marque le déclin. Les villas, moins nombreuses sont aussi plus modestes. Edifiée en 1930, seule la villa Bleue développe un programme architectural ambitieux autour d’un vaste hall central éclairé par un vitrail monumental dont l’iconographie évoque la réussite du commanditaire dans l’industrie textile. On y découvre les métiers à tisser, les usines et le grand magasin de nouveautés qui appartient au commanditaire. Comme le château des Magnans, la villa Bleue est inscrite à l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques.

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