Victoire sur l’Annapurna!

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Le matin du 30 mars 1950 un avion décolle du Bourget. Il emporte à son bord quatre tonnes de matériel et huit alpinistes à destination de New Delhi en Inde, puis du Népal. La deuxième expédition française à la conquête d’un sommet himalayen de 8000 mètres d’altitude quitte la France.
Deux années ont été nécessaires pour mener à bien ce projet lancé par le Club Alpin Français et la Fédération Française de Montagne, présidés par Lucien Devies. La diplomatie française obtient en 1949 l’autorisation du Maharadjah du Népal -pays fermé jusque-là aux alpinistes occidentaux- d’envoyer en 1950 une expédition. Elle peut explorer la haute vallée de la Krishna Gandaki: soit les massifs du Dhaulagiri et de l’Annapurna soit celui de Gaurisankar. La première option est retenue.
La mission française de 1950 comprend neuf membres

L’équipe de l’expédition est composée de Maurice Herzog (31 ans), alpiniste amateur et chef de l’expédition. De trois alpinistes qui sont des guides professionnels, Louis Lachenal (28 ans), Gaston Rébuffat (28 ans) et Lionel Terray (28 ans). Jean Couzy ingénieur en aéronautique (26 ans) et Marcel Schatz (29 ans) physicien de formation, sont tous deux alpinistes amateurs. Jacques Oudot (37 ans) est le médecin. Marcel Ichac (43 ans) cinéaste d’exploration a déjà participé à la première expédition française dans l’Himalaya de 1936. Et Francis de Noyelle (30 ans) secrétaire à l’ambassade de New Delhi -qui rejoint l’équipe en Inde- est chargé de liaisons. Il doit faciliter le transfert du matériel, s’occuper du recrutement des porteurs népalais et obtenir les bulletins météo.

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À la conquête d’un 8000

Après un long périple le 21 avril 1950 la mission française atteint Tukucha, situé à 2600 m, au fond d’une vallée népalaise sans aucune route pour s’approcher de la base des sommets convoités. Le premier objectif pour Herzog et ses compagnons de cordée est le massif du Dhaulagiri (la Montagne blanche). Il s’agit de l’explorer par toutes ses faces, d’ouvrir des pistes afin de trouver une voie d’accès au sommet.
Première difficulté: la mauvaise connaissance des lieux. Les cartes sont fausses. Fantaisistes. Et les montagnes immenses. Pendant vingt jours à pied ou à ski on fait le siège du Dhaulagiri. Bravant le brouillard, les avalanches, les chutes de séracs, et les rochers lisses, ils font des tours et des détours à la recherche de la faille permettant d’atteindre la cime du glacier. Mais toutes les tentatives sont vaines. «Le Dhaula» se révèle difficile, dangereux. Inaccessible.
Dernière chance de vaincre l’Annapurna

L’équipe tourne les yeux vers l’autre massif à l’Est. L’Annapurna. Schatz, Couzy et Oudot l’ont un peu exploré en avril. Ils pensent qu’il est possible d’atteindre les pentes sommitales. Le 14 mai 1950 au soir à Tukucha, la décision est prise de s’attaquer à l’Annapurna (dont le nom signifie déesse de l’abondance ou des moissons). Dernière chance de vaincre un 8000.
Le rapport météo fourni avant le départ annonçait l’arrivée de la mousson vers le 8 juin 1950. Et avec elle le sommet disparaitra sous des tourmentes de neiges. Le temps est compté. Il reste 23 jours pour que les cordées d’assaut attaquent l’Annapurna, installent les camps, escaladent le sommet et en redescendent.
Vers le sommet

Il faut de nouveau explorer le glacier, faire des reconnaissances, ouvrir des pistes. Un plateau glaciaire est découvert. La route est enfin trouvée. L’attaque se fera uniquement par voie glaciaire.
Cette carte, parue dans Le Figaro du 3 août 1950, figure l’Annapurna et sa face nord. En pointillé l’itinéraire de l’excursion. Le numéro des camps et l’altitude ont été colorisés.
Le 17 mai 1950 l’avant-garde de l’expédition atteint le fond du cirque intérieur de l’Annapurna et installe le camp de base à l’extrémité du glacier.
Le 24 mai 1950 le camp 1 (sur le plateau du glacier) et le camp 2 (à 5 600m d’altitude) sont installés. Le 27 mai le camp 3 est accroché en pleine pente à 6400m. Le 29 mai 1950 le camp 4 est établi à 6900m au bord de l’immense entonnoir du glacier de La Faucille. Ce même jour la mousson est arrivée à Calcutta. Encore un camp et c’est le sommet. Toutes les forces de l’expédition sont échelonnées entre 6000 et 7000m. Prêtes à l’assaut final. Décisif.
C’est à partir du camp 2 que commencent les difficultés: murs de glaces, couloirs d’avalanches.
Herzog fait parvenir un télégramme à Paris: «Donnons assaut Annapurna par voie glacière difficile mais permettant progressions rapides malgré danger avalanche et chute de glaces. Camp 3 établit à 6400. Camp 4 à 6900. Pensons établir camp 5 vers 7400. Espérons remporter victoire. Physique et moral de tous parfait».
Plus que trois jours pour réaliser l’exploit avant la mousson

Le 31 mai 1950 Herzog et Lachenal partent pour le camp 3 dans l’espoir d’atteindre le sommet. Le 1er juin ils dorment au camp 4. Le 2 juin ils franchissent La Faucille et installent le camp 5 à 7400m. Ils espèrent qu’un temps clément le lendemain leur permettra de faire l’ascension du sommet. Après il sera trop tard. La mousson rendra la conquête impossible.
Le 3 juin 1950 le ciel est dégagé et le soleil au rendez-vous. Vers six heures, la cordée Herzog-Lachenal s’élance vers le sommet. Ils s’enfoncent dans la neige, peinent à ouvrir la trace. Enfin c’est l’exploit. À 14 heures l’Annapurna -8078m- est vaincu.
Lire: Le récit exclusif, dans Le Figaro du 10 août 1950, du cinéaste de l’expédition Marcel Ichac relatant l’assaut final d’Herzog et Lachenal.
Lorsque ce 5 juin 1950 Herzog arrive au camp 2 il annonce à Marcel Ichac la nouvelle: «Mon vieux ça a été terrible. J’ai les pieds gelés -et les mains aussi. Je ne vois plus clair. Mais on vous ramène une belle victoire, nous avons vaincu l’Annapurna, Lachenal et moi, avant-hier…» (propos relatés par le cinéaste dans Le Figaro du 12-13 août 1950). Et ce n’est que le 26 juin 1950 que l’annonce de la victoire de l’expédition française arrive à Paris.
Le calvaire de la descente

La descente est une épreuve supplémentaire pour les alpinistes. Maurice Herzog et Louis Lachenal rejoignent au camp 5 Lionel Terray et Gaston Rébuffat. Quand ils partent le 4 juin 1950 pour regagner le camp 4 ils sont pris dans une tempête. Aveuglés par des tourbillons de neige, ils passent à 200 mètres du couloir qui mène au camp 4 sans le voir. Et doivent improviser un bivouac à 7000 mètres d’altitude. Ensevelis dans la nuit par une avalanche, ils restent pieds nus en chaussette une heure, le temps de retrouver leurs chaussures.
Herzog et Lachenal, les plus longtemps exposés au froid, ont de graves gelures aux pieds, aux mains. Rébuffat a une sérieuse gelure aux orteils. Tous ont été aveuglés par les ultraviolets. Par chance Marcel Schatz, basé au camp 4, les trouve en leur faisant une trace dans la neige pour les guider sur le chemin du retour. Le lendemain, le 5 juin 1950, guidés par les sherpas ils redescendent tous au camp 2. Les blessés sont alors pris en charge par le médecin Jacques Oudot.
Photographies publiées dans Le Figaro du 21 juillet 1950 figurant le retour des alpinistes au camp 2 le 5 juillet 1950: Lionel Terray (à gauche) soutenu par un porteur népalais, Louis Lachenal (au centre) appuyé sur des sherpas et Maurice Herzog (à droite) les mains gélées par le froid.
La délicate opération de sauvetage commence

Il faut transporter les blessés sur des kilomètres de glacier, franchir des barres rocheuses, des moraines. Le retour des héros est interminable. 23 étapes. Les blessés sont transportés sur des traineaux, les épaules des sherpas, des brancards. Sous la pluie incessante de la mousson. Il faut traverser la rivière Miristi Khola en crue. Se frayer un passage dans la jungle. Recruter des porteurs chaque jour, car les coolies recrutés au départ, sont partis pour repiquer le riz. Et les soins et amputations pratiquées sur Herzog et Lachenal se font dans des conditions rudimentaires.
Lire: Après la victoire, le calvaire du retour raconté en exclusivité par Marcel Ichac dans Le Figaro des 12-13 août et celui du 14 août 1950.
Malgré son état de santé, Herzog, avec ses compagnons, porte un cadeau au Maharadjah du Népal à Katmandou. Comme il était convenu avant le départ. Et ce n’est que le 17 juillet 1950 que les premiers vainqueurs de l’Annapurna arrivent à Orly.
Une victoire pour l’alpinisme français et pour la France

Cette conquête de l’Annapurna est une victoire pour l’alpinisme français et une victoire bienvenue pour la France au sortir de la guerre. Pour la première fois un sommet de 8000 mètres est conquis par des hommes. Et ils en sont redescendus vivants. Les vainqueurs de l’Annapurna sont fêtés en héros à leur retour sur le sol français. Le 20 juillet 1950 Maurice Herzog et Louis Lachenal reçoivent la légion d’honneur dans leur chambre à la clinique de Vaugirard, où ils soignent leurs blessures. Les huit alpinistes de l’expédition sont reçus à l’Élysée par le Président Vincent Auriol le 2 novembre 1950. Si Maurice Herzog est le seul à véritablement entrer dans la légende, la réussite est celle de neuf personnes, -soutenues par leurs porteurs et sherpas. Chacun a joué sa partition, rempli sa mission. Et rendu possible l’exploit.

Source

Illustration: l’équipe de l’expédition Herzog (de gauche à droite et de haut en bas): Gaston Rébuffat, Lionel Terray, Marcel Ichac, Jacques Oudot, Francis de Noyelle, Maurice Herzog et Marcel Schatz coupant les cheveux de Louis Lachenal. En haut au centre l’Annapurna. Photomontage des photos parues dans Le Figaro du 3 août 1950.

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