Les obligations pour les nuls

Le meilleur moyen de comprendre ce qu’est une obligation, c’est encore d’en revenir au bon vieux temps où ces choses-là se faisaient sur un morceau de papier. Imaginez donc que vous soyez un entrepreneur du XIXe siècle, lancé dans la grande aventure des chemins de fer. Naturellement, construire une ligne coûte cher, très cher, et vos banquiers ont des sueurs froides lorsque vous évoquez £300 000 que vous envisagez d’emprunter (1). Fort heureusement pour vous, il existe désormais une autre solution : vous pouvez émettre des obligations.

Le principe en est très simple : le 1er avril 1850, vous proposerez aux investisseurs de la City de vous prêter £1 000 en contrepartie de quoi, vous leur délivrerez un des 300 documents imprimés qui ouvrent droit à leur porteur (i) au remboursement de £1 000 le 1er avril 1855 et (ii) au paiement d’un coupon (2) annuel de £100. Il est très important de comprendre que ces conditions, imprimées sur les documents que vous avez remis à vos bailleurs de fonds, sont fixées une fois pour toutes : le 1er avril 1850 vous recevrez £300 000 pour construire votre ligne, chaque année vous devrez payer £30 000 de coupons et, le 1er avril 1855, vous devrez rembourser le capital de £300 000.

Une autre caractéristique des obligations, c’est que, contrairement à un crédit contracté auprès de votre banque (3), elles sont négociables ; c’est-à-dire que vos premiers créanciers, ceux qui ont acheté vos obligations sur le marché dit primaire le 1er avril 1850, peuvent céder vos reconnaissances de dette et les coupons qui y sont attachés à d’autre investisseurs sur le marché dit secondaire. Cette propriété des obligations est très importante parce qu’elle permet à vos créanciers de ne pas être coincés pendant 5 ans ce qui, incidemment, vous permet d’emprunter à moindre coût. Du coup, comme elles sont négociables, le prix des obligations est susceptible de varier dans le temps.

Le taux et le prix

Puisque vos conditions d’emprunt sont définitivement scellées, nous allons maintenant nous intéresser à la situation d’un de vos créanciers. Il a payé £1 000 le jour de l’émission, va toucher £100 de coupon chaque année et, à l’issue des cinq années prévues au contrat, il se verra rembourser ses £1 000. Par définition, le taux de rendement de son investissement est le taux k qui permet de faire en sorte que :

Ou, dans une forme plus générale, avec P, le prix ; Ct, les coupons des années t de 1 à T et N, la valeur de remboursement de l’obligation (i.e. valeur Nominale) :

En l’occurrence, le taux de rendement est égal à 10%.

Imaginons maintenant que, juste après avoir achetée votre obligation, ce créancier a connu de graves difficultés financières et a dû rapidement la revendre sur le marché secondaire pour £950. Par application de la formule ci-dessus, le taux de votre obligation est maintenant de 11,4%. Pour vous en tant qu’emprunteur, je rappelle que rien n’a changé : c’est parce que votre créancier initial a été obligé de brader une de vos obligations (il a perdu £50 au passage) et donc, que votre nouveau créancier a pu l’acheter à bon prix que le taux a augmenté.

De la même manière, si un investisseur rachète une de vos obligations pour £1 100, son taux ne sera pas de 10% mais seulement de 7,5%. C’est-à-dire que ce qui fait varier le taux d’une obligation au cours de sa vie, c’est son prix sur le marché secondaire : si le prix monte, le taux baisse ; si le prix baisse, le taux monte. Mais pourquoi le taux (et donc le prix) d’une obligation varie-t-il ?

L’offre et la demande

Un an plus tard, l’heureux propriétaire d’une de vos obligations vient de toucher son premier coupon mais, pour des raisons qui lui sont propres, souhaite la revendre. Au premier abord, il pense en tirer £1 000 – son prix d’achat au marché primaire – et s’apprête donc à vendre une obligation qui arrive à maturité dans 4 ans à un taux de 10%. Sauf que, entre-temps, le nombre de lignes de chemin de fer qui cherchent à se financer sur le marché a explosé et que, du coup, la concurrence entre emprunteurs qui cherchent à s’attirer les faveurs des investisseurs est devenue extrêmement rude. De fait, les emprunts émis ces derniers temps promettent des rendements de 12% sur 4 ans. Votre créancier n’a donc pas d’autre choix que d’accepter de baisser son prix de vente : à £939, votre obligation rapporte du 12% annuel et elle est donc vendable.

Par ailleurs, construire une ligne de chemin de fer est une opération qui comporte sa part d’aléas ; on a déjà vu des compagnies pourtant prometteuses faire purement et simplement faillite. Et là, malheureusement pour vous, les choses se passent mal, vos créanciers commencent à s’inquiéter de votre solvabilité et certains décident de ne pas prendre plus de risques : ils souhaitent revendre leurs obligations. Seulement voilà : à un taux de 10% sur 4 ans, il y a des dizaines d’autres placements beaucoup moins risqués que vos obligations et donc, le seul moyen de trouver acquéreur, c’est encore une fois d’accepter de baisser le prix : à £883, vos obligations rapportent du 14% ; c’est peut être un taux suffisant pour convaincre certains investisseurs de prendre le risque.

Les spéculateurs

C’est ce qui s’est passé lorsque la situation financière de l’État grec a commencé à faire la « une » des journaux : les investisseurs qui avaient financé les déficits grecs ont commencé à paniquer (4), ils ont cherché à vendre, ont été obligés de brader leurs obligations : d’où la hausse spectaculaire des taux grecs. Bien sûr, comme pour notre compagnie de chemin de fer, ça n’a eu aucune incidence sur les coupons que l’État grec s’était engagé à payer : la seule chose qui a changé pour lui, c’est que s’il souhaiter creuser de nouveaux déficits et émettre de nouvelles obligations, il devait alors s’acquitter de taux beaucoup plus élevés. Ceux qui avaient fait confiance à Athènes en lui prêtant de l’argent, en revanche, y ont laissé quelques plumes.

Évidemment, si certains investisseurs ont bradé leurs obligations grecques, c’est que d’autres les ont achetées sur des niveaux de taux très élevés. On parle souvent des fonds vautours comme s’ils avaient commis-là un acte infâme et honteux alors qu’ils sont les derniers investisseurs à accepter encore de détenir de la dette grecque et que, sans eux, l’envolée des taux aurait sans aucun doute été encore plus spectaculaire. En réalité, ce sont des investisseurs qui acceptent de prendre des risques très importants – en l’occurrence, le risque de n’être tout simplement pas remboursés par Athènes – mais qui ne font ça que s’ils en espèrent un rendement très élevé ; sinon, autant prêter à l’Allemagne. Si vous continuez à penser que c’est immoral, allez donc prêter vos économies à l’État grec et on en reparle.

> le blog de Georges Kaplan

1. En livres sterling de l’époque bien sûr – pour mémoire, la Liverpool and Manchester Railway a couté plus du double : £637 000 soit £52 680 000 actuelles.
2. Appelés ainsi parce qu’à l’époque ils prenaient la forme de véritables coupons de papier que l’on détachait au fur à et mesure du titre obligataire ; aujourd’hui encore, quand l’émetteur d’une obligation paye les intérêts qu’il doit à ses créanciers, on parle d’un détachement de coupon.
3. Depuis, poussées par la règlementation bancaire, les banques ont trouvé un moyen de revendre une partie de leur portefeuille de prêts sur les marchés – on appelle ça la titrisation ; sauf les journalistes français qui appellent ça actif toxique.
4. D’autre n’ont pas paniqué mais ont été contraints de vendre par leur règlementation lorsque les agences de notation ont dégradé la note de l’État grec.

Related Articles

8 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • Charly , 2 avril 2013 @ 10 h 44 min

    Mes arrière-grands-parents, vignerons, devenus trop âgés, avaient vendu leurs terres à vigne en Bourgogne pour acheter des emprunts russes…

  • K. , 2 avril 2013 @ 11 h 58 min

    D’ou la notion de risque contre rendement non?

  • perchè_no , 2 avril 2013 @ 13 h 54 min

    Éclairez-moi s’il vous plaît M. Kaplan : j’essaie d’y voir un peu clair car je suis nul, pas partout j’espère, mais en tout cas dans la finance.

    Je comprends bien que l’on prête volontiers à une compagnie de chemins de fer pour une ligne que l’on devine facilement rentable, mais plus difficilement que l’on fasse de même à un état déjà en déficit (‘financé les déficits grecs’, comme vous dîtes); j’y vois tout à fait l’intérêt de la Grèce au départ, mais mal celui des investisseurs, n’ayant jamais vu une dette être prometteuse …

  • Gisèle , 2 avril 2013 @ 17 h 44 min

    Qui ou quoi a financé la multitude d’autoroutes encore désertes qui ont fleuri du côté de l’Adriatique ? Et à quoi va bien servir ce ” placement ” ? A votre avis ?

  • Charly , 2 avril 2013 @ 18 h 29 min

    Je tire plutôt la conclusion. On ne succombe pas au miroir aux alouettes quand on ne connaît rien aux affaires. Tout nouveau, tout beau, jusqu’à ce que tout s’écroule.

  • François , 2 avril 2013 @ 21 h 32 min

    Très bien votre billet Georges, je rajouterais la notion “d’obligation subordonée”.

    Obligation subordonnée, (et comprendre la crise espagnole)

    Il n’y pas que les sociétés de chemin de fer qui peuvent émettre des obligations, les banques aussi. Mais c’est de peu d’intérêt car pour qu’une banque gagne de l’argent elle doit prêter sur ses fonds propres à ses clients pour réaliser un gain.

    L’obligation subordonnée, est une obligation assortie de certaines conditions de remboursement du capital lié à la solvabilité de l’établissement. C’est en gros “je rembourse si je peux”. Le législateur a autorisé (notamment en Espagne) les banques à émettre ces obligations avec un superbonus : la dette subordonnée sera désormais considérée comme des FONDS PROPRES.

    Bingo pour la banque car quand elle a 1€ de fonds propres elle peut prêter jusqu’à 10€ (encadré par les ratios de solvabilité). Bref il lui suffit d’émettre 1€ d’obligation subordonnée pour prêter 10€ à ses clients emprunteurs. Du coup elle peut promettre des taux alléchants sur son titre obligataire à 7,8 ou 10% et prêter à 3% tout en conservant un bénéfice.

    C’est la potion magique des banques (espagnoles notamment) !

    Car rapidement un investisseur malin va choisir de s’endetter auprès de la banque à 3% pour acheter des obligations à 10% décuplant ainsi le montant des fonds propres de la banque qui pourra de nouveau prêter à un deuxième investisseur et ainsi de suite… Les banque vont ainsi proposer aux clients de s’endetter (parfois avec une hypothèque) à 3% afin d’acheter des obligations à 5,6 ou 7%.

    Cet argent factice va droguer les banques et les clients naïfs durant 2 ou 3 ans, ensuite à la première secousse (retournement immobilier par exemple), l’édifice s’effondre sur les créances douteuse des clients.

    Il n’est pas idiot de vérifier que vos contrats d’assurance vie ne sont pas gavés des ces obligations spéciales, et vérifier que le montant du capital correspond bien à la valeur réelle des obligations sur le marché et non à leur valeur nominale…. En gros si votre contrat “sans risques” rapporte plus de 2% par an, dites vous qu’il n’est pas “sans risques” et regardez ce qu’il y a dedans, vraiment.

    Ceci dit je renouvelle ma confiance et mon admiration envers le gouvernement, la crise ne peut nous atteindre.

  • degabesatataouine , 3 avril 2013 @ 0 h 01 min

    ” Par définition, le taux de rendement de son investissement est le taux k qui permet de faire en sorte que :”
    Suit une équation impressionnant dont je ne peux faire un copier coller.
    Or déterminer qu’une obligation de 1.000 unités qui en rapporte 100 par an a un taux de 10% ne parait pas nécessiter l’usage d’une telle équation, d’autant plus que le taux est fixé à l’avance en fonction des conditions du marché, dont le taux d’inflation qui, quand il baisse comme dans les années 90, permet des plus values et non toujours des pertes comme semblent indiquer les exemples donnés.
    Quant à la deuxième équation , P, le prix à une année t donnée je suppose,elle n’intègre pas,et pour cause les variations des conditions du marché ,imprévisibles bien sûr,durant la vie de l’obligation.
    Eclaircissements bienvenus.

Comments are closed.