Le ministre de la Justice polonais au commissaire européen chargé des médias : plutôt que de parler de menaces fictives pour la liberté des médias en Pologne, condamnez la censure en Allemagne

Les commissaires européens n’ont sans doute pas l’habitude de se faire remettre à leur place de la sorte ! Dans une lettre ouverte à l’Allemand Günther Oettinger, le commissaire européen à l’Économie et à la Société numériques qui a déclaré vouloir demander qu’on mette sous surveillance de l’UE la Pologne à cause de la réforme des médias publics par le gouvernement polonais issu des élections du 25 octobre, le ministre de la Justice polonais Zbigniew Ziobro lui reproche de ne pas s’être intéressé auparavant aux agissements du gouvernement de Donald Tusk, l’actuel président du Conseil européen, et l’invite à s’intéresser de plus près au silence des médias allemands après les agressions sexuelles massives de la Saint-Sylvestre par des demandeurs d’asile.

Cette lettre, dont voici la traduction intégrale en français, a été publiée le 9 janvier :

 

Monsieur le Commissaire,

Je n’ai pas l’habitude de répondre aux remarques peu intelligentes sur la Pologne formulées par des hommes politiques étrangers, car elles sont surtout révélatrices d’eux-mêmes. Mais ce qui m’a incité à écrire cette lettre, c’est ce que vous n’avez pas dit et que j’aurais pourtant attendu de vous, en tant que commissaire européen responsable des médias.

L’opinion publique en Allemagne, et aussi en Pologne, a été secouée par les agressions sexuelles massives contres des femmes survenues la nuit de la Saint-Sylvestre dans plusieurs villes allemandes. Ces événements, qui font craindre y compris pour la sécurité des Polonais séjournant en Allemagne, ont été tenus secrets pendant plusieurs jours par les médias allemands. L’ancien ministre de l’Intérieur allemand, Hans-Peter Friedrich, a même appelé cela un cartel du silence. La censure de ces informations par les médias allemands a stupéfait l’opinion publique dans le monde. J’ai attendu en vain une réaction décidée de votre part à une telle violation du droit des citoyens à l’information. J’en suis arrivé à la triste conclusion qu’il vous est plus facile de parler de menaces fictives pour la liberté des médias dans d’autres pays que de condamner la censure dans le vôtre.

Monsieur Oettinger,

Il y a une semaine dans une interview pour le « Frankfurter Allgemeinen Sonntagszeitung » vous avez critiqué l’action du parlement et du gouvernement polonais élus démocratiquement, une action qui vise a rétablir l’objectivité et l’indépendance des médias publics en Pologne. Vous avez exigé que la Pologne soit mise sous surveillance.

De tels mots formulés par un homme politique allemand sont lourds de connotations pour les Polonais. Y compris pour moi. Je suis le petit-fils d’un officier polonais qui a combattu pendant la Deuxième guerre mondiale dans l’Armée de l’intérieur secrète, dans cette Pologne qui était sous la « surveillance allemande ».

Monsieur le Commissaire,

Où étiez-vous quand en juin 2014 des agents des services spéciaux ont pénétré de force dans la rédaction d’un des plus grands hebdomadaires en Pologne, « Wprost », et ont malmené le rédacteur en chef pour lui arracher son ordinateur portable avec des enregistrements compromettants pour le gouvernement dirigé par l’actuel président du Conseil européen Donald Tusk ?! Dans votre pays, une action du même type dans la rédaction de l’hebdomadaire « Der Spiegel » avait causé en 1962 un énorme scandale qui avait fait chuter le gouvernement.

Pourquoi le fait qu’on avait mis sur écoute plus de 80 journalistes et juristes polonais qui s’occupaient de cette affaire d’enregistrements compromettants pour le gouvernement précédent a-t-il donc échappé à votre attention ? Pourtant, les services spéciaux ont eu recours à des informateurs secrets pour surveiller des rédactions de presse indépendantes.

Quelle justification trouvez-vous au renvoi d’un demi-millier de salariés de la télévision publique polonaise en les obligeant à se faire embaucher dans une entreprise externe à des conditions humiliantes, comme cela a été le cas sous le gouvernement PO-PSL ?! Après tout, ces partis sont vos alliés du PPE au Parlement européen et l’épuration massive dans la télévision publique avait déjà commencé avec le renvoi de plusieurs dizaines de journalistes indépendants peu après l’arrivée au pouvoir de la coalition PO-PSL.

Et que pensez-vous du fait que le gouvernement précédent ait obtenu le renvoi du rédacteur en chef et de journalistes du quotidien indépendant de référence « Rzeczpospolita » et de l’hebdomadaire populaire « Uważam Rze » ? La majorité des parts dans les deux journaux [qui étaient entre les mains de l’État, NDLR] ont été cédées par le gouvernement PO-PSL à un homme d’affaires ami. Ces renvois étaient consécutifs à un article mettant en doute les résultats de l’enquête gouvernementale sur la tragédie de Smolensk où le président de Pologne, qui était lié au camp politique adverse, a perdu la vie.

Pourquoi vous taisez-vous quand la maison d’édition germano-suisse Ringier Axel Springer, propriétaire de plusieurs médias en Pologne, dont l’hebdomadaire « Newsweek », viole gravement l’exigence d’objectivité de la presse et soutient ouvertement des manifestations contre le parlement et le gouvernement démocratiques de la Pologne ?! Les dirigeants de ce groupe étranger approuvent le comportement du rédacteur en chef de « Newsweek », Tomasz Lis, qui est sorti de son rôle de journaliste et a attisé pendant des manifestations de rue les discours antigouvernementaux. Vous tairiez-vous si le dirigeant du plus gros hebdomadaire allemand « Der Spiegel », Klaus Brinkbäumer, manifestait dans le centre de Berlin en exigeant le renversement, par des protestations de masse, du gouvernement d’Angela Merkel ?!

Monsieur le Commissaire,

On dit dans votre pays, en Allemagne : « cuius regio – eius radio », c’est-à-dire « tel pouvoir, telle radio ». Dans la pratique, en Allemagne, les chefs des radios et télévisions publiques sont désignés par les politiciens qui exercent le pouvoir à un moment donné. La loi sur les médias sur laquelle travaille le gouvernement polonais prévoit des solutions nettement plus démocratiques. Elle prévoit que le Conseil national des médias sera choisi par le président et les deux chambres du parlement.

Je n’ai pas votre toupet pour faire la leçon aux Allemands et leur dire d’adopter des règles similaires. Je ne vais pas non plus demander, suite à la censure des informations sur les agressions de la Saint-Sylvestre, de mettre le drapeau allemand en berne, comme vous avez dans le passé proposé d’agir avec les drapeaux des États de l’Union européenne endettés vis-à-vis de l’Allemagne. Je vous prie simplement, eu égard au prestige de votre charge, de faire preuve dans vos déclarations d’une plus grande prudence et surtout d’objectivité.  

Respectueusement vôtre,

 Zbigniew Ziobro

 

Source : Telewizja Republika


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33 Comments

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  • pierre , 10 janvier 2016 @ 15 h 53 min

    Bien envoyé…

  • jpm , 10 janvier 2016 @ 16 h 29 min

    chers amis Polonais , il ne sert à rien de vous en prendre à l’Allemagne même si cela est effectivement une bonne occasion !
    Vous demandez à l’OTAN de s’installer chez vous ! essayez pour une fois d’être intelligents ! Ce n’est pas la Russie qui prend votre âme ! ce sont les USA et l’Allemagne et les USA plus que l’Allemagne !

  • keskispas , 10 janvier 2016 @ 18 h 26 min

    Je salue le courage de cet homme. Quelle claque ! quelle leçon de savoir vivre !
    Mais j’aimerai que la Pologne donne véritablement l’exemple aux autres nation qui composent cette UE ( Urinoir Etranger). Qu’elle sorte de cette bouse puante que représente l’UE dirigée par cette merdekel et ce pov idiot d’ollande.

    Montrez aux peuples le chemin à suivre, fière Pologne !

  • JBSERBIST , 10 janvier 2016 @ 18 h 26 min

    Il faudrait que nous puissions manifester notre soutien à tous ces chefs d’Etat de L’Europe orientale, à Wladimir Poutine en particulier, afin qu’ils sachent qu’un grand nombre de citoyens français sont de tout cœur avec eux et ont honte de ceux qui les représentent à Bruxelles comme à Paris.

  • Antoine , 10 janvier 2016 @ 18 h 49 min

    Ceci prouve que pour l’Union européenne la liberté d’expression est celle qui va dans son sens tout comme les politiques (économiques, sociales et sociétales). On soulignera la formidable contradiction où elle dénonce des soit disantes menaces contre les libertés publiques mais qu’elle interdit la parole à ses opposants dans les grands médias. C’est bien l’hôpital qui se moque de la charité.

  • Christiane , 10 janvier 2016 @ 19 h 20 min

    Bravo à ce ministre polonais qui n”hésite pas à dire la vérité au commissaire européen qui ferait mieux de se mêler de ce qui se passe vraiment dans les médias et laisser les Polonais maîtres chez eux. Pour achever leur liberté souverainiste les Polonais devraient à présent sortir de l’OTAN.

  • Chevalier-de-.Moncaire , 10 janvier 2016 @ 21 h 59 min

    Les polonais de 2016 ne sont pas ceux de 1938 ni meme ceux de 1945. Les polonais de 2016 ont bien appri la leçon d’histoire,

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