Des trous au goût d’IGP…

Un billet d’Isabel Orpy

Nul n’en parlait…

Vous l’ignoriez très probablement mais, depuis cinq ans, la France était en belligérance avec la Suisse.

C’était la guerre du Gruyère…

Si la convention internationale de Stresa (1951) quant aux fromages reconnaissait le nom de Gruyère propriété franco-suisse, via une guérilla larvée, Helvètes et Français continuaient toutefois à revendiquer la paternité de ce célébrissime fromage et tout d’abord, le droit à l’appellation.

Et la querelle perdurait…

Grande exportatrice, la Suisse ne cessait de rappeler que les origines de son premier fromage remontait au Moyen Âge et qu’il fut toujours très apprécié des VIP de ce monde, son gruyère ayant déjà une place privilégiée à la table de Louis XIV. Alors, quand en 2007, la France voulut faire reconnaître l’AOP (Appelation d’Origine Protégée) de son gruyère au niveau européen, un différend explosa entre Bern et Paris.

AOP versus IGP…

Bien plus large que sa zone de production, sa zone d’affinage étant donc sans lien précis avec son territoire, condition sine qua non quant à l’obtention d’une AOP, Bruxelles considéra le dossier français fort peu convainquant. Et enfin, pour une fois, l’on comprend “l’Europe”.

Effrayée pour les 13 000 tonnes d’exportations annuelles de son fromage star, la Suisse rétorqua alors par une demande identique… En 2010, obtenant l’exclusivité de l’AOP, la Confédération remporta donc une victoire écrasante via un accord bilatéral avec l’union Européenne : seul son Gruyère était désormais autorisé à se prévaloir du “titre” (un peu comme pour les Miss).

Jouant à l’ONU, la Commission européenne vient enfin de mettre un terme aux hostilités fratricides, octroyant à notre Gruyère une IGP (Identitée Géographique Protégée), la décision n’ayant plus qu’à être officialisée par un règlement d’exécution publié prochainement, sous conditions.

Contrairement à son rival Suisse qui, en est tristement dépourvu, notre Gruyère devra avoir des trous “de la grosseur d’un pois à celle d’une cerise” (en l’occurrence, nous comprenons moins car il en est “automatiquement” équipé !).

Et pour éviter toute confusion, la mention du pays d’origine devra se situer dans le même champ visuel que la dénomination Gruyère, dans un corps similaire à celui utilisé pour cette dénomination. Et pour mieux protéger les ineptes (que nous sommes ?), il lui est interdit d’arborer le blason savoyard que d’aucuns pourraient confondre avec le drapeau suisse…

Un même nom pour deux fromages

Le mot Gruyère a une origine fort ancienne. Il remonterait aux officiers “Gruyers”, lesquels, à l’époque de Charlemagne, percevaient les impôts sous forme de fromages, dans ces territoires qui formeraient un jour la France et la Suisse.

Fabriqué depuis le XIIIème siècle, c’est l’un de nos plus anciens fromages. Son histoire se confond avec les contraintes de la montagne, de l’hiver et d’une production laitière saisonnière, se conjuguant à la solidarité des familles paysannes d’antan et d’un fromage capable de nourrir la communauté tout l’hiver, un fromage de garde, suffisant, nécessitant le lait de plusieurs fermes…

Le Gruyère, dont la recette comprend vingt pages, est un fromage au lait cru provenant de deux traites, matin et soir. À la différence de son confrère suisse, le Gruyère AOC français développe des ouvertures (trous), la version helvétique étant plus corsée, avec un goût plus marqué et nécessitant cinq mois d’affinage a minima, tandis que le nôtre a un goût plus sucré.

Le Gruyère AOC français est un fromage au lait cru à pâte pressée et cuite, affichant 47 % à 52 % de matière grasse, se présentant sous forme d’une meule de 53 cm à 63 cm de diamètre et 13 cm à 16 cm d’épaisseur. Une plaque jaune de caséine sur le pourtour en assure la traçabilité et selon les fromages, sa croûte varie du brun à l’orange. Plus ou moins dorée, selon la saison de fabrication, sa pâte est parsemée d’ouvertures relatives à la flore d’affinage.

Toutefois, celui que nous consommons majoritairement, en l’appellant Gruyère est un autre ! En fait, il s’agit de l’Emmental. Sa meule de 80 à 100 kilos présente de gros trous, alors que ceux du vrai Gruyère français sont petits.

Premier fromage consommé en France où, il se prévaut de deux IGP, sa production est de 340 000 tonnes contre 2 000 pour le Gruyère.

L’Emmental, c’est le fromage de tous les jours, “l’ami de la cuisine”, dont plus de 60% est consommé sous forme râpée. Il a un goût moins prononcé, une pâte ferme et plus souple, contrairement au Gruyère, plus friable.

Les Suisses ont peut-être gagné l’AOP, certes, plus connue que l’IGP, mais peu importe, c’est Notre Gruyère, nous le protégerons et le consommerons français et troué !

Related Articles

5 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • JSG , 12 décembre 2012 @ 11 h 21 min

    “…il ne faut pas prendre l’Helvètie pour des lanternes…”
    “..les enfants du Bon Dieu pour des canards suvages…”
    Il me semble que ces deux boutades ont été reprises par Charles de Gaulle ?

    Bref et la souris dans tout ça, elle est estampillée ?
    Ce qui me semble beaucoup plus dramatique dans tout ça, c’est l’insistance avec laquelle l’Europe s’est acharnée contre nos fromages au lait cru, et pâte molle sous le prétexte fallacieux de bactéries machin-chose, histoire de favoriser les produits insipides hollandais et autres.

    JSG

  • Tarantik , 12 décembre 2012 @ 18 h 52 min

    Cocorico !
    Nous français, n’avons pas des trous que dans le fromage,
    Une majorité de nos hommes politiques en ont dans le cerveau, c’est pour ça qu’ils ne soufflent souvent que du vent.

  • xanpur , 12 décembre 2012 @ 20 h 37 min

    Excellent !

  • Olizefly , 12 décembre 2012 @ 22 h 38 min

    Dédidément ! Je perds tous mes repères un à un : d’abord j’apprends que le mariage c’est l’union de deux personnes quel que soit leur sexe, ensuite qu’un enfant a deux parents mais pas forcément un père et une mère, et maintenant j’apprends que le gruyère suisse n’a jamais eu de trous et en plus que le gruyère à trous c’est du gruyère français ! Le changement, c’est maintenant !

  • Goupille , 13 décembre 2012 @ 18 h 41 min

    Des trous petits, le Gruyère français.
    Les gros trous c”est l’Emmental.
    Et le sans-trou, chez nous, c’est du Comté.

    Tout cela fait envie : s”il n’était pas si tard, je sortirais pour en acheter…

Comments are closed.