Épuration religieuse dans les «Républiques populaires» de Donetsk et de Louhansk

Poste de contrôle des séparatistes à Horlivka (photo MAYSUN /EPA/pap pour Gość Niedzielny)

Un article d’Andrzej Grajewski, reporter à l’hebdomadaire catholique polonais Gość Niedzielny, qui a pu visiter les territoires occupés par les séparatistes et discuter avec plusieurs témoins des événements décrits. Paru sous le titre « Czystka na wschodniej Ukrainie » (Épuration dans l’est de l’Ukraine) dans le Gość Niedzielny du 27 juillet 2014 et traduit en français pour Nouvelles de France avec son aimable autorisation :

 

Épuration dans l’est de l’Ukraine

Les enlèvements et les meurtres d’ecclésiastiques chrétiens dans le Donbass montrent que les séparatistes ont entamé une épuration religieuse sur les territoires qu’ils contrôlent. Il ne doit rester que des chrétiens orthodoxes reconnaissant l’autorité du Patriarcat de Moscou.

Ces derniers jours [l’article est paru le 24 juillet, ndlr], la situation dans l’est de l’Ukraine s’est aggravée. L’armée ukrainienne a il est vrai repris Sloviansk et Kramatorsk, deux villes importantes qui constituaient les principaux foyers de résistance des séparatistes, mais elle n’est pas parvenue à empêcher le retrait de l’ensemble de leurs forces. Ils ont réussi à fuir la région menacée en camions, avec leur armement lourd, et à se regrouper dans les deux plus grandes villes du Donbass : Louhansk et Donetsk. Il sera maintenant très difficile à l’armée ukrainienne de les en chasser, d’autant plus que les séparatistes bénéficient d’un fort soutien de la Russie. Outre les nouvelles unités qui passent la frontière et les livraisons d’armes lourdes, y compris des chars d’assaut, les forces armées russes prennent directement part aux combats. La situation à Donetsk-même s’est détériorée de manière dramatique. Cette ville d’un million d’habitants est entièrement sous le contrôle de la « République populaire de Donetsk ». La tentative des forces ukrainiennes pour prendre le contrôle de la banlieue de Donetsk s’est soldée par un échec. La ville est coupée du reste du pays. L’aéroport a été détruit lors des derniers combats, les routes sont contrôlées par les séparatistes qui ont également détruit les ponts et certaines voies ferrées. Il n’y a que par le train qu’on peut se rendre à Donetsk, mais à la gare de Donetsk tous les passagers sont contrôlés et les hommes voyageant seuls y subissent des interrogatoires ou sont tout simplement arrêtés. Les forces des séparatistes sont estimées à quelques milliers d’hommes. Ils affirment vouloir se battre dans la ville jusqu’au bout. Parallèlement, les actes de terreur à l’encontre des membres du clergé des différentes Églises chrétiennes se sont intensifiés. Du point de vue de l’administration de l’Église catholique romaine, les terrains des combats correspondent au doyenné de Donetsk. Celui-ci est rattaché au diocèse de Kharkiv-Zaporijia créé en 2002. C’était le dernier district catholique créé par Jean-Paul II en territoire ukrainien. Le tir de missile contre l’avion de la Malaysia Airlines au-dessus de ce territoire a encore enflammé la situation, aggravant la situation déjà particulièrement difficile des chrétiens résidant ici.

Enlèvement du curé-doyen de Donetsk

Le père Wiktor Wąsowicz (photo Gość Niedzielny)

Le lundi 14 juillet, les séparatistes ont enlevé le prêtre Wiktor Wąsowicz, curé-doyen du doyenné de Donetsk couvrant les territoires autoproclamés de la  « République populaire de Donetsk » et de la « République populaire de Louhansk ». Le père Wąsowicz est le curé de la paroisse du Sacré-Cœur de Jésus à Horlivka, une ville industrielle du Donbass. Il servait aussi dans les paroisses d’Artemivsk, de Makiivka et de Yenakiieve qui se trouvent aussi sur le territoire contrôlé par les séparatistes. Même s’il avait déjà été arrêté et contrôlé de nombreuses fois par les séparatistes, il assurait à ses fidèles qu’il ne les quitterait pas. Je l’ai moi-même eu au téléphone l’avant-veille de son enlèvement. Il était calme et me répétait qu’en ce moment les gens ont particulièrement besoin de son aide. L’arrestation du père Wąsowicz est survenue lundi matin, alors qu’il se rendait de Donetsk à Horlivka pour y célébrer la messe, ainsi que le père Mikołaj Pilecki, curé de la paroisse Saint-Joseph à Donetsk, a déclaré à notre hebdomadaire Gość Niedzielny. Comme il n’y avait plus d’eau à Horlivka depuis plusieurs jours, le père Wąsowicz était venu dimanche à la paroisse Saint-Joseph pour s’y laver et laver ses affaires. Il était de bonne humeur et ne pensait pas qu’il pouvait lui arriver quelque chose. Il avait traversé tous les points de contrôle sans gros problèmes et les séparatistes savaient qu’il était le curé du coin. Sur la route de Donetsk à Horlivka (environ 40 km), il fallait passer quatre points de contrôle. Il a été contrôlé trois fois sans problème et c’est au quatrième point qu’il a été arrêté, alors qu’il entrait dans Horlivka, nous a informé le père Pilecki. Le père Wąsowicz est issu d’une famille polonaise de la région de Jytomyr dans le centre de l’Ukraine. Il a terminé le séminaire à Horodok et il est citoyen ukrainien. Il est très respecté des fidèles aussi bien de langue polonaise que de langue russe et ukrainienne.

Les circonstances entourant son arrestation sont complètement différentes de ce qui s’était passé avec le prêtre polonais Paweł Witek arrêté en juin. Ce dernier n’était pas un prêtre local mais un visiteur arrivé dans le Donbass du Kazakhstan où il travaille. Il tournait autour du bâtiment de l’administration de l’oblast de Donetsk, le QG des séparatistes, et il était observé avant d’être arrêté. Il n’avait pas de papiers sur lui, et les séparatistes ont pensé avoir affaire à un sniper du Secteur droit en train de reconnaître le terrain avant une opération. Une fois son identité vérifiée, le père Witek a été rapidement relâché, notamment grâce à l’intervention de l’évêque orthodoxe local du Patriarcat de Moscou, Mgr Hilarion, qui a demandé sa libération. Le cas du père Wąsowicz est différent. Il ne peut être question ici d’une erreur ou du hasard. Il est connu dans la région et il n’avait pas auparavant été menacé par les séparatistes. On sait que le père Wąsowiczest est retenu dans le bâtiment du Service de sécurité d’Ukraine (SBU) à Horlivka, où les séparatistes ont leur siège. L’intervention des paroissiens demandant aux séparatistes de libérer leur curé a été sans effet. Mgr  Marian Buczek, évêque auxiliaire du diocèse catholique-romain de Kharkiv-Zaporijia, est aussi intervenu, l’évêque diocésain Stanislav Szyrokoradiuk étant actuellement absent du diocèse. [Le père Wiktor Wąsowicza finalement été libéré le 25 juillet, ndlr]

Guet-apens contre l’archevêque

Une semaine plus tôt, les séparatistes de la « République populaire de Donetsk » avaient enlevé le prêtre orthodoxe Iouri Ivanov, secrétaire de l’archevêque Serge, du diocèse local du Patriarcat de Kiev. Il avait auparavant reçu des lettres avec des menaces de mort s’il ne quittait pas immédiatement Donetsk. Nombre d’autres prêtres du Patriarcat de Kiev sont partis sous la menace des séparatistes. Le père Ivanov est curé de la paroisse de l’Assomption-de-la-Vierge-Marie située dans un des quartiers de mineurs de Donetsk. Il assurait ses fidèles qu’il ne céderait pas aux menaces et ne quitterait pas la paroisse. Actuellement, toute la zone est sous le contrôle des séparatistes. Selon des informations officieuses, le père Iouri aurait été convoqué par les séparatistes qui auraient voulu se faire conduire à l’archevêque. Face à son refus de coopérer, il a été arrêté et on a perdu toute trace de lui [le père Ivanov a finalement été libéré au début du mois d’août, ndlr]. Les séparatistes considèrent que les chrétiens orthodoxes du Patriarcat de Kiev sont des traîtres qui ont abandonné le Patriarcat de Moscou et ont rejoint les « structures bandéristes ».

Le père Tikhon chassé

On est resté aussi longtemps sans nouvelles du père Tikhon (Sergiy Kulbaka), un prêtre gréco-catholique. Le père Tikhon est le secrétaire du Conseil des Églises auprès des autorités de l’oblast de Donetsk. C’était un des initiateurs du marathon de prière pour la paix en Ukraine qui se déroule depuis plus de cent jours dans le centre de Donetsk. Il publiait régulièrement ses observations, très populaires, sur Facebook. Il était très critique par rapport à la situation actuelle où sa ville d’un million d’habitants est terrorisée par une armée de séparatistes venus d’ailleurs qui font la loi dans le centre-ville. Les partisans de la « République populaire de Donetsk » le menaçaient régulièrement au téléphone et par courriel. Des inconnus ont endommagé sa voiture sur laquelle ils ont peint en rouge l’inscription « Mort aux bandéristes ». Le père Tikhon a quitté sa paroisse le 3 juillet et on a perdu toute trace de lui. Les recherches dans les hôpitaux et les morgues n’ont donné aucun résultat. L’exarque uniate de Donetsk, Mgr Stefan Meniok, a appelé les ravisseurs à relâcher le père Tikhon qui est gravement malade et dont les jours sont en danger s’il ne prend pas ses médicaments. Le père Tikhon a été relâché au bout de 11 jours et a quitté immédiatement Donetsk, ce qui était une des conditions posées par les séparatistes pour le libérer. Il avait aussi interdiction de parler des conditions de sa détention. Les agresseurs l’ont menacé de se venger sur ses paroissiens restés à Donetsk s’il parlait.

Les quatre protestants assassinés pour “sectarisme et trahison” (photo Euromaidan Press)

Des diacres assassinés

Les séparatistes vouent une haine particulière aux pasteurs des Églises évangéliques. L’un deux, le courageux Sergiy Kosiak, également organisateur des prières pour la paix dans le centre de Donetsk, a été enlevé fin mai et passé à tabac. Malgré les menaces, après sa sortie de prison il continue de conduire le « marathon de prière » auquel participent des représentants de différentes confessions chrétiennes. Pendant mon séjour à Donetsk, je participais à cette prière lorsque nous est parvenue la nouvelle du harcèlement dont faisaient l’objet un des pasteurs de Sloviansk et sa famille. Les gens étaient troublés, mais personne ne s’attendait au destin tragique qu’allait subir cette famille. C’est après que la ville a été reprise par l’armée ukrainienne qu’on a découvert dans le centre-ville une tombe toute récente avec quatre corps dedans. Il s’agissait des cadavres de deux diacres, Volodymyr Velytchko et Viktor Bradarsky, et des fils Rouvime et Albert du pasteur de l’Église des chrétiens de foi évangélique d’Ukraine [une Église pentecôtiste, ndlr] à Sloviansk, Aleksander Pavenko. Les séparatistes cherchaient le pasteur Pavenko accusé d’être hostile à la « République populaire de Donetsk » et de soutenir l’armée ukrainienne. Ils ne l’ont toutefois pas trouvé car le pasteur avait fui la ville avec ses plus jeunes enfants. Les séparatistes ont donc décidé de se venger sur ses deux fils adultes. Ceux-ci ont été enlevés après l’office de la Pentecôte et assassinés le lendemain après avoir été torturés pour avoir porté des vivres pour l’armée ukrainienne.

Les diacres assassinés ont laissé deux veuves, l’une avec huit enfants, l’autre avec trois enfants. Lors d’un rassemblement récent à Jytomyr, l’Église des chrétiens de foi évangélique d’Ukraine a demandé à ses fidèles de prier et de jeûner à leur intention. Les Églises évangéliques ont dans le Donbass de nombreux fidèles qui se joignent volontiers à différentes actions sociales. Depuis le début du conflit, les séparatistes de la « République populaire de Donetsk » traitent les protestants comme des ennemis particulièrement dangereux, ils exercent des chantages et les forcent à quitter les régions sous leur contrôle.

Une lutte pour la vérité divine ?

Tous ces événements n’ont suscité aucune réaction de l’Église orthodoxe ukrainienne rattachée au Patriarcat de Moscou. Mgr Onuphre (Orest Berezovsky), administrateur temporaire de l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou [élu hier métropolite de Kiev par le synode des évêques de l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou, ndlr], métropolite de Tchernivtsi et de Bucovine, a bien appelé dernièrement les séparatistes à déposer les armes, mais son appel est resté sans effet. Il n’y a par contre pas eu de réaction des hiérarques orthodoxes aux enlèvements et assassinats de prêtres chrétiens qui ont eu lieu sur le territoire de la « République populaire de Donetsk ». Les séparatistes, qui soulignent sans arrêt qu’ils se battent aussi pour la foi orthodoxe et qui bénéficient du soutien d’une partie du clergé de la région, reçoivent également un soutien spirituel de Moscou. Après les enlèvements de prêtres à Donetsk, l’archiprêtre Vsevolod Tchapline, président du Département synodal pour les relations de l’Église avec la société, a expliqué qu’au sein de l’Église orthodoxe russe les combats en Ukraine sont perçus comme une lutte pour la vérité divine. La réalité, c’est que nous avons affaire à une épuration religieuse brutale dont le but est de forcer les prêtres de toutes les Églises non inféodées au Patriarcat de Moscou à abandonner le Donbass. Dans la conception géopolitique des nationalistes russes, le Donbass doit devenir le noyau de la Nouvelle Russie qui couvrira aussi à l’avenir le reste des régions orientales et méridionales de l’Ukraine. C’est pourquoi il ne doit pas rester sur ce territoire d’éléments non sûrs, sensibles à la propagande de l’ennemi ou agissant en sa faveur. Tous les religieux victimes de répressions étaient des gens qui affichaient leur loyauté envers l’État ukrainien. Les séparatistes cherchent donc à les obliger à fuir. Ils savent bien que si les prêtres s’en vont, les fidèles de leurs paroisses et communautés suivront bientôt. Or si c’est le cas, le territoire des « Républiques populaires » de Donetsk et Louhansk deviendront, ainsi que cela a été inscrit dans la constitution de ces deux États autoproclamés, un territoire canonique de l’orthodoxie russe, soumis exclusivement au Patriarcat de Moscou.

 

Auteur : Andrzej Grajewski

Article original (en polonais) : Czystka na wschodniej Ukrainie

 

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31 Comments

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  • 0 / 10
  • Sully , 22 août 2014 @ 22 h 19 min

    N’importe quoi !! La connerie et la candeur des tridentins , qui se croient encore au temps de la guerre froide , est sans limite !

  • Luc Ruy , 23 août 2014 @ 1 h 15 min

    Lire deux opinions contradictoires ne peut pas faire de mal. On peut supposer le lecteur suffisamment intelligent pour penser par lui-même, après qu’il ait pris en considération les parties opposées.

  • Luc Ruy , 23 août 2014 @ 1 h 19 min

    Pour étudier l’influence d’Israël, de la préparation des nouilles à la guerre des étoiles, vous pouvez consulter http://www.egaliteetreconciliation.fr/

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